Si les chiffres de la misère sociale ne sont pas disponibles ou rendus peu fiables en Algérie par l'environnement socioéconomique et surtout politique, le phénomène en lui-même est quantifiable à la mesure des doléances quotidiennes de la population transmises et émises par divers moyens de communication et de contestation sociale à l'endroit des institutions de l'Etat, quand ce ne sont pas des actions violentes de remise en cause des décisions d'organismes publics et privés de plusieurs secteurs sensibles qui enfoncent davantage la population dans le tunnel noir de la paupérisation. Il est aussi important de souligner qu'en général, ce sont les salariés et les retraités qui protestent contre le coût trop élevé de la vie alors que ces deux catégories, pourtant, théoriquement, à l'abri de la case des démunis, ne représentent pas beaucoup devant la large frange des chômeurs dont un nombre significatif ont des parents ou des membres de la famille à charge. Que déduire alors et que penser de la majorité des chômeurs et des milliers de travailleurs occupant des postes d'emplois précaires, quand la minorité couverte socialement montre à chaque occasion qui se présente son insatisfaction ou son rejet des conditions et de la cherté de la vie ? Même si l'informel dans les échanges commerciaux et le travail au noir et les circuits maffieux d'enrichissement rapide ne permettent pas une visibilité totale du phénomène. «Dans les sociétés occidentales, la pauvreté est facilement identifiable par le travail. Chez nous, on ne peut pas reprendre le même schéma. Quelqu'un qui ne travaille pas n'est pas nécessairement pauvre. Notre société fonctionne à l'envers. Le travail n'est plus une source de richesse. C'est le système informel qui l'emporte. Le problème est le même avec le logement. Quelqu'un qui habite dans un bidonville est-il considéré comme pauvre, alors qu'il a une voiture ou un commerce ?», a affirmé cette semaine à un confrère, Noureddine Hakiki, directeur du laboratoire Changement social à l'université de Bouzaréah à Alger. Comme des centaines, voire des milliers de familles de Kabylie qui vivent exclusivement des retraites en devises des parents et ascendants ayant exercé à l'étranger, notamment en France alors que beaucoup parmi elles n'ont ni travail, ni attache avec la sécurité sociale en Algérie. Il y a de quoi ! Dans la wilaya de Tizi Ouzou, des produits de large consommation n'ont pas vu leurs prix baisser, et ce depuis des mois, voire même des années pour certains, malgré les plans de régulation promis par les pouvoirs publics pour y remédier. Depuis au moins deux gouvernements, un kilogramme de pomme de terre coûte environ 50 dinars, l'oignon 70 dinars, les haricots verts sont hors de prix (le chiffre est incroyable et il n'est nul besoin de le citer ici), la plupart des légumes de saison varient entre 70 et 100 dinars alors que les prix des légumes secs et ceux des fruits de saison produits localement, dépassant en général la barre des 150 dinars n'inquiètent plus personne chez les responsables de l'Etat, notamment ceux en charge du secteur du Commerce. Comment les foyers affrontent-ils cette situation plus que difficile notamment avec les enfants et les vielles personnes ? A Tizi Ouzou, l'hiver 2011, on a vu, pour la première fois peut-être dans la région, des milliers de retraités battre le pavé au chef-lieu de wilaya pour crier leur désarroi, exiger des revalorisations de leurs pensions et demander même le départ du secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens (Ugta). Des vieux en détresse, qui ne peuvent profiter tranquillement de leur retraite après des décennies de labeur au service de l'Etat. Des vieux marchants en plein hiver pour demander (à leurs enfants) à manger à leur faim, à vivre dignement sans quémander. «Nous voulons nos droits», «Nous ne demandons pas l'aumône», «Respect et dignité pour les retraités», «Retraités en misère», «Y'en a marre de l'injustice», «Non à la tripartite», «Non à la hogra (mépris)», «Non à la précarité». Des scènes et des mots d'ordre qui devraient faire partir tous les responsables qui se respectent. Outre cette catégorie longtemps méprisée, une autre risque de faire parler d'elle incessamment à côté des chômeurs dont les revendications sont connues du dernier agent du ministère de l'Emploi. Il s'agit des milliers de jeunes, pour la plupart diplômés, contenus dans la misère des rémunérations des dispositifs de renforcement d'emploi comme l'Emploi saisonnier d'intérêt local (Esil), les Travaux d'utilité publique à haute intensité de main-d'œuvre (TUP-Himo) et l'Indemnité pour activités d'intérêt général (Iaig). Sans compter les bénéficiaires de contrats de pré-emploi, les centaines de jeunes entrepreneurs déçus par l'environnement bancaire et professionnel par la suite de crédits contractés (difficilement) dans le cadre de l'Agence nationale pour l'emploi de jeunes (Ansej), la Caisse nationale d'assurance chômage (Cnac) et l'Agence nationale pour la gestion du microcrédit (Angem)…etc. En attendant, la paupérisation continue son chemin bien tracé par les politiques de sous-développement.