Le chef rebelle kurde emprisonné, Abdullah Öcalan, doit annoncer aujourd'hui, à l'occasion des célébrations du Nouvel an kurde, un cessez-le-feu «historique» qui ravive l'espoir de mettre enfin un terme à un conflit qui déchire depuis vingt-neuf ans la Turquie et a déjà causé la mort de 45 000 personnes. Après plusieurs mois de discussions serrées avec le gouvernement islamo-conservateur, le fondateur du Parti des travailleurs des Kurdistan (PKK) a lui-même confirmé lundi, depuis son île-prison d'Imrali, non loin d'Istanbul, qu'il s'apprêtait à lancer pour les fêtes de Newroz un appel à la paix «historique». «Je veux résoudre la question des armes rapidement, sans qu'aucune autre vie ne soit perdue», a expliqué Abdullah Öcalan dans un message lu par le coprésident du Parti pour la paix et la démocratie (BDP), Selahattin Demirtas, qui venait de lui rendre visite. Le message du détenu le plus célèbre et le plus haï de Turquie doit être lu aujourd'hui par un élu kurde à Diyarbakir, la grande métropole du sud-est, considérée comme leur capitale par les 12 à 15 millions de Kurdes (20% de la population totale) du pays. Des centaines de milliers de personnes y sont attendues pour la célébration du Nouvel an kurde, théâtre traditionnel de manifestations hostiles au pouvoir. Depuis qu'il a fait le choix de la lutte armée en 1984, le PKK a déjà déclaré à quatre reprises des cessez-le-feu unilatéraux. Mais aucun ne s'est concrétisé. A chaque fois, les pourparlers engagés pour tenter de trouver une issue politique au conflit, comme ceux menés secrètement à Oslo (Norvège) jusqu'en 2011, ont échoué. Cette fois, les perspectives de paix paraissent solides dans les deux camps, qui semblent avoir écarté l'idée d'une solution militaire au conflit. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a récemment promis de tout faire pour la paix, «même si ça doit me coûter ma carrière politique». «Il est temps de dire adieu aux armes», a pour sa part confié M. Öcalan, cité par ses récents visiteurs. C'est à la fin de l'automne dernier que le fil du dialogue a été renoué, au terme d'une année de combats particulièrement meurtriers et d'une longue grève de la faim de détenus kurdes, interrompue sur ordre du chef du PKK. Rapidement, Ankara a levé l'isolement imposé à Abdullah Öcalan, qui purge depuis 1999 une peine de réclusion à vie. En retour, son mouvement, considéré comme une organisation terroriste en Turquie et dans de nombreux pays occidentaux, a libéré la semaine dernière huit prisonniers turcs détenus en Irak. Telle qu'esquissée par les déclarations des deux parties, l'architecture du plan de paix prévoit un retrait de Turquie des quelque 2 000 combattants du PKK d'ici la fin de l'été. Le Premier ministre s'est engagé à leur assurer un sauf-conduit pour l'Irak. De son côté, le gouvernement a déposé récemment au Parlement un «paquet» législatif qui doit permettre la remise en liberté de centaines de Kurdes incarcérés pour leurs liens avec le PKK. Et le projet de nouvelle Constitution en cours de discussion doit élargir les droits de la minorité kurde de Turquie. Le climat est favorable mais de nombreux obstacles demeurent. A commencer par le sort réservé à Abdullah Öcalan. Ankara a écarté toute idée d'amnistie générale mais les Kurdes insistent pour sa remise en liberté ou, à défaut, son assignation à résidence. Les discussions avec le «terroriste» Öcalan suscitent également l'hostilité d'une majorité de Turcs. Mardi encore, le chef du parti ultranationaliste MHP, Devlet Bahçeli, a dénoncé la «trahison» du Premier ministre et l'a accusé de «vendre le pays à une clique de bandits». L'opposition soupçonne aussi le pouvoir de «marchandage» : plus de droit pour les Kurdes en échange de leur soutien à un projet de constitution renforçant les pouvoirs du président. Un mandat brigué par M. Erdogan, contraint de quitter le gouvernement en 2015. «Nous ne cachons rien à qui que ce soit», a assuré le Premier ministre. Malgré ces difficultés, le pari de la paix paraît incontournable. «Il n'y a pas de garantie (de succès)», a résumé le ministre de la Justice, Sadullah Ergin, «mais nous savons ce qui se passera si nous échouons». Agences