Les autorités locales à Béjaïa parlent beaucoup de la vocation touristique et culturelle de la wilaya. L'administration, les élus et les opérateurs économiques ne ratent aucune occasion pour exprimer leur volonté de promouvoir ce secteur. Tous les walis, qui se sont succédé dans la région depuis 1990, n'ont pas tari de promesses dans ce sens. Invariablement, les élus locaux et les parlementaires inscrivent aussi ce point en tête de leurs programmes électoraux. Les opérateurs économiques se promettent aussi de lancer d'ambitieux projets, mais qui se transforment, très souvent, en promotions immobilières à peine déguisées, avec la complicité de la bureaucratie. Des villages touristiques, pompeusement érigés à même le rivage marin, sont en vérité des cités où chaque villa ou bungalow a son richissime propriétaire. Dans les faits, on ne s'intéresse qu'aux intérêts financiers qu'on peut en tirer dans l'immédiat. Bien au contraire, on déplore l'abandon du patrimoine historique, la dégradation des monuments culturels et la détérioration avancée des sites naturels qui constituent les principales attractions de la région. Dans le présent papier, on s'intéressera exclusivement au triste sort réservé aux fameuses gorges de Chaabet Lakhera, dans la commune de Kherrata. Ce site pittoresque et chargé d'histoire est aujourd'hui complètement profané. Situées à la sortie ouest de la ville en prenant l'ancienne route, les gorges ravinées de Chaabet Lakhera étaient autrefois un haut lieu du tourisme. Durant les années 1970, l'endroit exerçait un attrait particulier sur les visiteurs étrangers de passage. Ce canyon impressionnant, faisant le lit agité du cours impétueux de l'oued Agrioun, offre au regard un panorama exceptionnel. Une sympathique peuplade de singes magots et de sources d'eau fraîche et cristalline, jaillissant en cascade sur des parois rocheuses, ajoutent au lieu un charme particulier. C'est une espèce d'escale obligée pour tous les automobilistes qui empruntent ce chemin escarpé. Chaabet Lakhera, c'est aussi l'empreinte sanglante de la légion étrangère gravée sur la roche grisâtre, le souvenir du docteur Hanouz et des martyrs du 8-mai 1945. La route, jalonnée de minuscules tunnels et de petits ponts en maçonnerie, a également sa petite histoire. En 1852, lors de l'ouverture de ce passage étroit pour relier les villes de Sétif et Béjaïa, les autorités coloniales y rencontrèrent une farouche résistance. C'est seulement en 1865, au prix de plusieurs opérations de déportation des populations locales, que l'ouvrage fut réalisé. C'est dire, qu'en plus de son exceptionnelle beauté naturelle, le site constitue un haut lieu de mémoire qu'on doit préserver et valoriser. Rien de tout cela. Complètement délaissé, le site est transformé, depuis plusieurs années déjà, en décharge communale. En plus des déchets laissés sur place par les pique-niqueurs, la mairie y déverse quotidiennement des tonnes d'ordures ménagères au su et au vu de tout le monde. Ni la direction de l'environnement, ni celle de la culture, ni celle du tourisme, ni l'organisation des moudjahidine, ni la wilaya n'ont exprimé la moindre objection. L'alerte récurrente de certaines associations environnementales ne suscite aucun écho, ni parmi la population, ni auprès de l'administration. La végétation est couverte de sachets en plastique et d'immondices de toutes sortes. Des fumées, acres et nauséabondes, se dégagent à longueur de journée de l'endroit, devenu un refuge pour des meutes de chiens errants. La faune locale (poissons, oiseaux, singes…), empoisonnée et sinistrée, se trouve presque décimée. Maintenant, quand on s'y arrête, on n'a qu'une seule envie : vomir ! K. A.