Par Hana Brixi* and Yasser El-Gammal Dans le monde arabe, les gouvernements recourent depuis longtemps à des subventions pour réduire le coût des carburants et des denrées alimentaires, principalement pour protéger les pauvres et partager la richesse. C'est du moins ce qu'ils prétendent. Or, les subventions posent un problème fondamental : elles profitent bien davantage aux riches qu'aux pauvres. Elles sont aussi onéreuses qu'inefficientes car elles ne procurent pas des bienfaits économiques ou sociaux correspondant aux dépenses qu'elles nécessitent. Les subventions ont également des effets secondaires délétères, à savoir qu'elles faussent la consommation et l'activité économique de manière non productive. L'exemple de plusieurs pays montre qu'il existe des méthodes nettement plus efficaces et moins onéreuses pour protéger les pauvres. C'est pourquoi de nombreux pays de par le monde ont supprimé les subventions et opté pour des instruments plus efficients, comme les transferts monétaires ciblés et l'amélioration de la prestation de services sociaux. Les gouvernements sont bien conscients que les subventions consomment une part indûment élevée des deniers publics. Le monde arabe affiche le niveau de subventions le plus substantiel au monde, à 5,8 % du produit intérieur brut en moyenne. L'essentiel de ces dépenses est consacré aux carburants. Or, ce sont là les subventions qui ont l'impact le plus inégalitaire, car ce sont les riches qui en profitent le plus. Les gouvernements savent aussi qu'il existe des façons plus équitables, plus efficientes et moins onéreuses de protéger les pauvres et de contribuer au développement économique, humain et social. En outre, ils savent comment les réformes peuvent être mises en œuvre. On trouve, dans des pays aussi différents que l'Iran, l'Indonésie et le Brésil, plusieurs exemples de solutions permettant de résoudre les nombreux problèmes que pose le processus de réforme. Dans ces conditions, pourquoi une réforme complète des systèmes de subventions n'a-t-elle pas encore eu lieu dans la région ? Certains gouvernements ont fait des tentatives de réforme, mais n'ont pas réussi à faire comprendre à la population que les subventions ont des effets délétères. Ils n'ont, dans l'ensemble, pas su présenter d'arguments convaincants pour expliquer que les subventions peuvent et doivent être remplacées par des programmes plus efficaces. Il leur fallait en outre persuader les citoyens que les ressources ainsi dégagées seraient réorientées sur les pauvres. Ces efforts de réforme ont généralement été engagés durant des périodes de difficultés économiques, alors que l'opinion publique était particulièrement sensible à toute hausse des prix. Sans vue d'ensemble du contexte économique et politique plus large dans lequel s'inscrivaient les réformes, les citoyens ont naturellement eu peur de la hausse des prix qu'induirait la suppression des subventions, en particulier lorsque rien n'indiquait que les filets de protection sociale seraient améliorés, ce qui aurait permis de contrebalancer l'effet de la hausse des prix. La réforme de chaque subvention soulève des problèmes qui lui sont propres. Ainsi, la réforme des subventions portant sur les ressources naturelles va à l'encontre du sentiment qu'il s'agit de choses pour lesquelles personne ne doit avoir à payer. Un agriculteur égyptien aux revenus modestes aura du mal à accepter de payer de l'eau provenant du Nil, ou encore les habitants des pays du Golfe, riches en pétrole, ont l'habitude que l'essence soit fortement subventionnée. Mais le problème peut-être le plus paralysant tient au fait que les segments les plus riches de la société, ceux qui profitent le plus des subventions, s'opposent à la réforme. Forts de certains avantages au sein de la société, comme une facilité d'accès aux médias, les riches et la classe moyenne dominent le débat sur les subventions dans la région. La réforme peut être menée, doit être menée et voici comment : Etant donné tous les problèmes que suscite la réforme des subventions, quel espoir a-t-on d'y parvenir ? Sans aucun doute, il est possible d'engager des réformes dans le monde arabe, comme on a pu en mener dans d'autres régions du monde. Et le moment n'a jamais été aussi opportun. C'est en effet une période de changements profonds et un certain nombre de bonnes pratiques peuvent servir de guides. En outre, de nombreux pays n'ont guère d'autre solution s'ils veulent gérer la pression budgétaire dans le contexte financier mondial actuel. La réforme n'est jamais facile, mais pour qu'elle se déroule paisiblement et soit menée à bien, les pouvoirs publics doivent veiller aux quelques points suivants : avant d'abaisser les subventions, l'Etat doit convaincre les citoyens que les nouveaux programmes de protection sociale seront efficaces. Et pour gagner leur confiance, il devra prouver que ces mécanismes nouveaux protègeront efficacement les pauvres. Il faudra également dédommager la classe moyenne et lui assurer un soutien pendant tout le processus de réforme. Pour démontrer le bien-fondé des réformes, il sera important de lancer une solide campagne de communication afin d'expliquer aux citoyens pourquoi des réformes sont nécessaires, ce qu'elles induiront et comment elles se dérouleront. Il convient de procéder par étapes, en se concentrant d'abord sur les subventions les plus régressives (comme celles sur l'essence, qui absorbent la majorité des ressources budgétaires et profitent quasi exclusivement aux catégories de revenus les plus élevées) et en laissant les subventions moins régressives (comme celles sur les denrées alimentaires) pour plus tard. La réforme des subventions ne se limitera jamais à la signature d'un décret par le Premier ministre ou le Président. Mais les difficultés du processus de réforme sont gérables, et les résultats en valent largement la peine. Il s'agit en effet de réformes que les pays arabes n'ont pas les moyens de négliger en cette période de changement. Elles sont essentielles en ceci qu'elles garantiront la stabilité budgétaire et amélioreront le retour sur investissement de précieuses ressources publiques. Ces réformes doivent être mises en œuvre dès aujourd'hui si l'on veut répondre aux attentes de la population, qui aspire à une plus grande inclusion sociale et économique. H. B/Y. EG *Economiste principale pour le Développement humain à la Banque Mondiale