Est-ce de la faute d'Einstein si une bombe atomique a anéanti Hiroshima ? Les savants auraient-ils dû s'arrêter avant de donner naissance à des animaux clonés ? Comment concilier avancée de la connaissance et sécurité de la population ? «Il faudrait que les chercheurs se posent ce genre de questions», estime Pierre-Henri Gouyon, généticien et agronome. Le Cnrs lancera la discussion, demain, lors d'un grand débat. Détruire la planète ou découvrir que E=MC2 ? «Il faudrait que les chercheurs se préoccupent des conséquences de ce qu'ils font, que ce soit au niveau de la santé publique ou de l'environnement, poursuit Pierre-Henri Gouyon. Par exemple, à chaque fois qu'un chercheur en biologie présente un programme de recherche, il devrait donner toute une série de pistes sur ce à quoi elle pourrait servir. Une recherche sur les risques potentiels de ce qu'on fait serait nécessaire.» Mais lorsque le risque est tout simplement de détruire toute forme de vie sur la planète, faut-il continuer à clamer que E=MC2 ? «Le débat le plus important au sein de la communauté scientifique a eu lieu au moment de la Seconde guerre mondiale, après la course à la fabrication de la bombe atomique, explique Amy Dahan, historienne des sciences. Après guerre, certains scientifiques disaient qu'il fallait arrêter la recherche sur le nucléaire, mais la science a alors changé de statut et est entrée au cœur de la sécurité et de la défense de l'Etat en période de Guerre froide.»
De la morale dans la science Car, si les scientifiques font des découvertes, ce ne sont pas eux qui les mettent en application ensuite. «Le problème vient de la valorisation de la recherche, estime Sonia Canselier-Desmoulins, docteur en droit privé. On évolue vers une recherche technoscientifique encadrée par un droit des brevets destiné à assurer des monopoles et inciter les financeurs privés à financer la recherche.» Ce sont donc de plus en plus les commanditaires des recherches qui décident de jusqu'où il faut aller. Pour défendre les scientifiques, quelques lois ont néanmoins vu le jour : «Par exemple, dans la recherche biomédicale, il existe un principe de respect du consentement et de dignité de la personne humaine, dans le domaine de la recherche expérimentale sur le vivant, des principes régissent la protection des animaux, et enfin dans tous les domaines le principe de précaution s'applique», illustre Sonia Canselier-Desmoulins. Néanmoins, ces principes éthiques ne règlent pas tous les problèmes. «Ce ne sont que des bonnes pratiques, juge Pierre-Henri Gouyon. A l'heure actuelle, aux Etats-Unis, des chercheurs travaillent sur la possibilité de sélectionner des embryons sur la base de critères génétiques sans se poser de questions sur ce qui pourrait en découler.» Mais se poser des questions signifierait aussi porter un jugement moral sur le bien ou le mal des conséquences. «Pour moi, la science est une activité humaine et il faut garder une certaine morale», estime Pierre-Henri Gouyon. «Science sans conscience n'est que ruine de l'âme»: Rabelais était (déjà) d'accord. A. C.