Dans son rapport, le Cnes a montré du doigt l'administration locale et les élus locaux. La défaillance était visible à l'œil nu. Si les élus locaux n'ont aucun pouvoir sur le Wali et le chef de daïra, ils n'en sont pas moins responsables quant à la gestion des affaires publiques. Lors des assises du Cnes tenues à Alger en 2012, clôturant sa tournée nationale, les choses ont été dites. La majorité des walis se comportent comme des chefs de provinces sans partage et gèrent les wilayas à leur convenance et ne se soucient guère des préoccupations des citoyens. Boughazi qui a lu un message de Bouteflika devant l'assistance, avait reconnu l'échec des programmes de développement en raison de «défaillances de l'administration locale». Babès, président du Cnes, a, pour sa part, défendu la neutralité de son organisme chargé par le président de «sonder» le citoyen et de «l'écouter», face à une assistance dominée par les représentants de l'administration locale, responsable de cet échec. Certains représentants associatifs se sont d'ailleurs plaints de l'exclusion de nombreuses associations par les walis chargés du dispatching des invitations pour les assises d'Alger. Et puis les associations habituelles, celles de la périphérie du pouvoir, présentes en grand nombre. En fait, des personnes qui, d'une manière ou d'une autre, participent soit à la gestion ou dans les décisions et dont, certainement, le citoyen se plaint. En plus des problèmes du logement et de l'emploi, les jeunes réclament, selon M. Babès, «une place» dans la gestion locale. Des problèmes connus mais que l'administration locale n'arrive pas à résoudre. Mais le véritable problème de l'Algérie et des échecs chroniques de toutes les politiques de développement engagées, réside dans la forte centralisation aussi bien de la réflexion que de la décision. Le Cnes a relevé cet aspect et reconnaît par ailleurs la rupture entre le citoyen et l'administration locale qui s'exprime souvent par la méfiance. Son président propose, entre autres, le rétablissement de ce lien de confiance. Il préconise également l'implication et la participation du citoyen à la gestion des «affaires» locales à travers un droit de regard. La démocratie participative. L'état doit, selon M. Babès, céder certaines de ses prérogatives, surtout la gestion et la décision locales, et garder ses prérogatives régaliennes. Le Cnes a consigné toutes ses remarques et recommandations dans son rapport soumis au président de la République. M. Babès indiquera que le gouvernement devra appliquer ces recommandations. Le gouvernement a-t-il pris en compte ce rapport ? A la lumière de ce qui se passe un peu partout à travers le pays, ce rapport doit jaunir dans un tiroir. Si le constat n'est pas nouveau, il a néanmoins été confirmé par une institution officielle : «Dysfonctionnements, anachronismes, disparités sociales et déséquilibre régional en matière d'emploi, d'éducation, de logement, de transport, de santé publique, de relation entre administration et administrés et entre élus et citoyens.» Le rapport du Cnes comporte cinquante recommandations et prône «un plan d'urgence» pour sortir du marasme. Pour M. Babès, «le changement doit être radical. Les méthodes de gestion doivent changer afin de parvenir à une nouvelle dynamique apte à réaliser un véritable développement local à la hauteur des aspirations des citoyens et de leurs ambitions». Le Cnes, qui qualifie sa mission dans le rapport de «démarche visant à analyser et évaluer la problématique de développement local à travers l'écoute des doléances des citoyens et de leur vécu réel et dans un véritable esprit critique», note que «les Algériens demandent l'amélioration de leurs conditions de vie, ce qui est une revendication légitime». Selon le Soir d'Algérie, «le rapport aurait gêné bon nombre des membres du gouvernement, nous a-t-on dit, car il met le doigt sur leur mauvaise gestion et leur absence de vision». Le rapport du Cnes s'apparente à un plan d'action à défaut d'être une stratégie globale de développement. Le Cnes appelle à l'application de réformes globales, à court, moyen et long terme, et met l'accent sur la nécessité de rattraper le retard et de rectifier le tir et ce, en intégrant ce plan dans l'action du gouvernement. Parmi les axes ayant eu un pan important de l'expertise du Cnes:
Redéfinition du rôle de l'Etat et de ses démembrements Pour atteindre un nouveau système de gouvernance dans une approche de la base au sommet, le Cnes recommande la décentralisation des pouvoirs. L'objectif étant de définir les missions et les rôles de chaque acteur pour éviter le chevauchement et les interférences entre l'administration centrale, l'administration locale et les élus. La décentralisation permettra également aux collectivités locales une autonomie d'action. Pour ce faire, le rapport insiste sur la «libération des énergies créatrices et innovantes, l'instauration d'une démocratie participative qui impliquerait la société civile». La révision de la fiscalité locale est également au menu des recommandations. Il est conseillé aussi plus de prérogatives aux walis pour qu'ils soient «en mesure de prendre des décisions, superviser la création d'entreprises et les accompagner, notamment celles créées par les jeunes promoteurs, et ce travail pourra être renforcé par la création d'un observatoire national du développement local ayant pour mission l'étude, l'analyse et l'évaluation des projets pour le compte des collectivités locales». Une dynamique qui devra également être «expurgée des contraintes de la bureaucratie, et apte à instaurer des canaux d'écoute et de dialogue avec l'administration et les élus pour répondre à la demande sociale». En outre, «le développement des villes doit se faire dans le respect des normes universelles et sur des bases scientifiques avec une plus grande implication du mouvement associatif, notamment des comités de quartier, et une consécration de la culture civique et celle du vivre-ensemble».
Inefficacité des dispositifs d'emploi de jeunes On peut lire dans le rapport du Cnes, «l'emploi est l'une des préoccupations majeures des citoyens et suite aux pertes de postes d'emploi aussi bien dans le secteur public que privé, la seule alternative, notamment pour les jeunes, reste les mesures décidées dans le sens de la création d'emplois», cependant note le Cnes, «en dépit des coûts exorbitants engagés dans la lutte contre le chômage, les dispositifs mis en place n'ont pas prouvé leur efficacité. Les jeunes qui ont eu à s'exprimer lors des consultations se sont dits exaspérés par ces dispositifs et ce, à cause des passe-droits, de la bureaucratie et la mainmise de certains réseaux occultes». Le Cnes recommande «la révision globale de tous ces dispositifs et la possibilité de transformer les projets individuels en projets collectifs orientés, sous l'égide de l'Ansej et de la Cnac, et d'inclure la notion de l'emploi pérenne dans l'essence même du développement local, tout en accompagnant les jeunes promoteurs en leur accordant des avantages incitatifs pour la création de PME (petites et moyennes entreprises), TPE (très petites entreprises), ainsi que des start-up (entreprises émergentes)». Le rapport insiste sur «l'élaboration d'une stratégie politique en faveur des jeunes». Si on part du principe que plus de 75% de la population est constituée de jeunes, on peut dire sans complexe que le peuple algérien est jeune et pourtant leur exclusion des domaines de la vie sociale, politique et économique est flagrante et ne répond à aucune logique.
Déblocage du programme des 100 locaux par commune. Le programme, lancé en grande pompe et qui devait constituer une bouffée d'oxygène pour les jeunes porteurs de projets est en stand-by, et souvent quand les jeunes se rapprochent des APC pour s'en enquérir, ils ont cette phrase en guise d'explication «l'opération n'est pas encore terminée». Le Cnes a son point de vue là-dessus et analyse la situation en mettant le doigt sur les dysfonctionnements qui entachent l'exécution dudit programme. Le document souligne que le programme présidentiel des 100 locaux par commune «est une très bonne initiative mais son application est truffée de problèmes». Le Cnes précise que «ce programme enregistre un grand retard inexpliqué dans son exécution» et relève «les choix inappropriés des assiettes de terrain qui sont éloignées des habitations, la distribution opaque des locaux, leur l'exiguïté et les conditions inadéquates en rapport avec leurs activités». Le Cnes conseille de «revoir l'application de ce programme et lui donner toute l'attention qu'il mérite». Outre le secteur de l'emploi, le Cnes, après ses moultes pérégrinations, exhorte le gouvernement à «élaborer une stratégie nationale en faveur des jeunes car il s'avère que les efforts consentis dans les domaines de l'éducation, la formation, l'emploi, la protection sociale, la santé et le sport ont donné des résultats en deçà des attentes de cette frange de la population». C'est pour cette raison qu'«il faut revoir la perception que l'Etat a des jeunes et rétablir la confiance entre les deux et ce, en faisant une évaluation détaillée des différentes politiques pour déceler les failles et élaborer une nouvelle politique en adéquation avec la réalité». Et d'ajouter : «Il est impératif d'inscrire la question des jeunes dans les priorités urgentes du gouvernement.» Parmi les propositions, on citera «l'organisation de congrès nationaux de jeunes qui seront un espace de concertation aptes à concentrer les visions, notamment dans l'élaboration des politiques en faveur des jeunes qui regrouperaient tous les secteurs de l'Etat et dans lequel le mouvement associatif sera un acteur principal».
Révision profonde du code des marchés publics L'octroi des marchés publics tel que conçu, favorise la corruption qui mine l'Etat, notamment avec le lancement des grands chantiers. Le Cnes estime que «le code des marchés actuel est un texte qui nécessite une révision profonde». Il est précisé que «le développement local a besoin de ressources financières et de suivi pour la création d'annexes régionales de la commission nationale des marchés publics et afin de réduire les délais s'agissant des études techniques des projets d'investissements. Ce qui a pour objectif d'ouvrir le champ à la consultation et aux appels d'offres pour plus de souplesse, une plus grande participation des entreprises dans l'exécution des programmes. Ce qui évitera les pertes de temps et d'argent». Le Cnes souligne qu'il faut également «déterminer de manière explicite la définition de la promotion immobilière dans le nouveau code des marchés publics». Et de poursuivre : «Il faut et de façon solennelle et déterminée utiliser les systèmes électroniques dans les opérations financières et l'octroi des marchés publics et ce, pour lutter contre la corruption et lever les obstacles qui entravent les responsables locaux dans leur action.» Outre la révision du code des marchés, le Cnes table sur la redynamisation du programme des 200 000 PME qui, selon l'entité de Babès, «ne doit pas être improvisée mais émanant d'une initiative locale partant des demandes exprimées localement, et soutenue par un accompagnement efficient, un suivi et un contrôle». Le Cnes exhorte le gouvernement «à impliquer les grandes entreprises publiques ainsi que le privé dans cette opération». Le rapport du Cnes indique que «parmi les obstacles à l'investissement national et étranger réside la problématique du foncier industriel. Le manque de terrains pour la construction a eu pour conséquence la concentration dans certaines villes urbaines et a causé des dommages irréversibles au foncier agricole, alors que les communes recèlent un énorme patrimoine qualifié de dormant constitué de bâtiments industriels et de terrains appartenant aux Opgi qu'il est utile d'utiliser à bon escient, surtout que ces biens sont déjà équipés de toutes les commodités». Ajoutez à cela, «l'autoroute Est-Ouest permet aux communes de s'ouvrir de nouvelles perspectives pour proposer des terrains industriels». Le tourisme est l'un des moteurs du développement local et national et constitue le secteur par excellence à promouvoir pour préparer l'après-pétrole, le Cnes souligne qu'«en dépit des tentatives pour relancer le tourisme, il subsiste beaucoup de points faibles, alors que l'Algérie dispose de ressources extraordinaires, à tous les niveaux, qu'il est urgent d'exploiter».
Programmes de logements insuffisants Source du mécontentement social, au même titre que le chômage, le secteur du logement souffre de la mauvaise gestion à tous les niveaux et qu'exacerbent les malversations, le népotisme et le copinage. En dépit de tous les programmes lancés et des unités réalisées, la crise du logement persiste Le Cnes constate que «la question du logement est récurrente et elle attire particulièrement l'attention de différentes manières. Les programmes sont insuffisants et inadaptés, les conditions d'accès ainsi que la distribution ne sont pas claires». Le rapport insiste sur «la transparence et l'équité dans la distribution des logements sociaux, l'augmentation des quotas réservés aux jeunes. La redéfinition des critères d'octroi du logement social pour permettre à un plus grand nombre de citoyens d'en bénéficier, l'augmentation des aides aux particuliers désireux de construire leurs propres maisons, notamment dans les zones rurales, ce qui leur permettrait une stabilité et réduirait les exodes, et enfin la construction de logements destinés exclusivement à la location, notamment dans les grandes villes et les agglomérations». Le rapport du Cnes s'étonne que «les formats de logements soient totalement inadaptés au Sud, alors qu'ils doivent être intégrés à l'environnement saharien avec des cours, des terrasses, et des endroits aménagés pour les bêtes».
L'agriculture, un secteur sous-exploité Si le secteur de l'agriculture a réalisé des résultats satisfaisants indéniables en termes de quantité, il n'en demeure pas moins que la qualité reste en deçà des attentes et que le citoyen n'en bénéficie pas en raison de la spéculation qui caractérise la commercialisation des produits agricoles et l'anarchie qui y règne. A ce sujet, le rapport du Cnes a ciblé les failles et place le secteur de l'agriculture en pole position des secteurs à forte valeur ajoutée. Il constate que ce secteur «recèle des richesses colossales du nord au sud, d'est en ouest mais, malheureusement, elles sont sous-exploitées et parfois inexploitées». Le document suggère de «procéder en urgence à un balayage de toutes les terres agricoles sur tout le territoire national en tenant compte des spécificités de chaque région. De protéger les terres agricoles en appliquant les lois avec rigueur, intégrer les énergies renouvelables dans l'agriculture, moderniser et développer toutes les formes d'élevage en mettant en place un mécanisme de protection des races». Le document préconise d'«organiser des formations techniques en faveur des agriculteurs, encourager les jeunes à s'orienter vers le secteur de l'agriculture en leur octroyant des exploitations agricoles, organiser et créer des marchés pour les produits agricoles et appliquer un contrôle sur les bénéfices des intermédiaires et mandataires afin d'éviter la spéculation, généraliser l'assurance sur les risques liés à la production agricole et, enfin, mettre en place un conseil consultatif supérieur de l'agriculture qui intégrerait toutes les parties prenantes aux fins d'une participation dans l'élaboration des politiques agricoles». A. G.