Le sang chaud des Méditerranéens est connu pour être celui de la passion et de l'énervement, cette fameuse «taghenant» de la «chèvre qui reste chèvre, même si elle vole». Ceci pour dire que si le projet de révision de la Constitution ne soulève pas l'enthousiasme de la majorité des algériens, ceux qu'il intéresse, beaucoup d'entre eux du moins, ne l'entrevoient qu'à travers le petit bout de la lorgnette. Prégnance et préoccupations trop pesantes du présent ? Il y a un peu de cela, mais la désaffection et le désintérêt viennent surtout de ce clair-obscur qui enveloppe le but précis du projet. Initié par le chef de l'Etat, la suspicion semble alors devenir la règle, voire la meilleure attitude «politiquement correcte». Mais à qui la faute ? Il n'y a donc pas lieu de s'étonner ni de trouver «politiquement incorrect» que, l'initiateur du projet étant le deus ex machina du jeu politique et occupant la centralité de tous ses enjeux, tout ce qui vient de lui apparaît lié à l'exercice personnel de son pouvoir et à la façon de le pérenniser au-delà même de sa propre personne. C'est dire que l'art et la manière n'y étaient pas, alors qu'il était possible de faire en sorte, par un jeu d'artifice bien rodé, qu'ils soient. C'est pourquoi, en dehors du traditionnel personnel politique dont la mission est d'aller dans le sens du poil, les autres intervenants dans le débat ont commencé par déployer toute leur énergie à recadrer le projet en le vidant de tout ce qui apparaît comme sa substance factuelle trop imbriquée dans le présent. Attitude parfaitement symbolisée par le «quadrilatère» en 4 non des deux personnalités politiques de l'opposition Benbitour et Soufiane Djillali : «Non à un 4e mandat pour Bouteflika, non à la prolongation de son mandat actuel, non à la révision de la Constitution, non à la fraude électorale.» Depuis ce refus anaphorique du 31 mars dernier, d'autres voix se sont exprimées, certaines allant dans le même sens, d'autres proposant une Constitution qui configure réellement un avenir garanti par un vrai équilibre des pouvoirs et confronté à des contre-pouvoirs reconnus comme des acteurs à part entière de la vie politique. C'est assurément une question en quadrature de cercle que celle de savoir comment aller vers une nouvelle Constitution pour l'avenir de l'Algérie et des Algériens, tout en acceptant que l'initiateur de son projet soit un président de la République en exercice et auquel il ne répugnerait pas de briguer un quatrième mandat, sachant par ailleurs qu'il sera impossible d'éluder le point focal de la limitation du nombre des mandats présidentiels. Invité en décembre dernier par le Conseil constitutionnel algérien, l'éminent juriste Ahmed Mahiou, agrégé de droit public et conseiller juridique à la présidence de la République sous Boumediène, déclarait sans qu'on puisse le soupçonner de complaisance que «la révision de la Constitution peut toujours apporter des solutions à un certain nombre de problèmes». D'après lui, la principale question «est l'équilibre des pouvoirs au sein des différentes institutions (…) Pour l'instant, la seule institution qui existe est celle du président de la République, les autres institutions ne comptent pas ou comptent peu». Faisant siennes les revendications de nombre de partis politiques algériens, le professeur Mahiou pense qu' «il est temps que les autres institutions aient un rôle dans la gestion de l'Etat (…) par exemple, qu'il y ait un vrai Premier ministre, un Parlement qui assume son rôle et non pas une chambre d'enregistrement et un Sénat qui discute réellement les textes et la politique du gouvernement». Mais à ce stade de focalisation des enjeux et de crispation autour de positions difficilement conciliables, on voit mal d'où pourrait venir cette sérénité patriotique qui, en privilégiant le seul intérêt de la nation, imprimera au débat la seule direction qui vaille, soit une Constitution pour l'avenir. Si les pouvoirs étaient un minimum équilibrés et si les institutions avaient vraiment chacune joué leur rôle, assisterait-on à ce déballage nauséabond de toutes ces affaires de corruption d'une ampleur sans précédent ? A. S.