Le soulèvement populaire du 8 mai 1945, a été un tournant historique dans la prise de conscience du fait national et une rupture radicale avec toutes les thèses assimilationnistes, réformistes et même les thèses indépendantistes par la voie pacifique. Dahou Djerbal a vu juste lorsqu'il affirme que les manifestants de ce jour glorieux n'ont pas radicalisé leur action en réponse à un quelconque appel du PPA. Les rues de Sétif ont été investies par les populations pour répondre en effet à l'appel du PPA de manifester pacifiquement d'une part pour célébrer la défaite des nazis et, d'autre part, pour rappeler à la France ses engagements en faveur de l'indépendance de l'Algérie en cas de victoire contre l'Allemagne hitlérienne. Durant tout le 19e siècle, la résistance du peuple algérien ne s'était pas interrompue. Jusqu'en 1916, les Algériens signifiaient de différentes manières, leur rejet de l'ordre colonial et de ses méthodes. C'est à ce titre que Djerbal considère l'insurrection du 8 mai 1945 comme le point culminant d'une série de soulèvements populaires ayant marqué l'Algérie depuis le début de la colonisation en 1830. Pour l'universitaire, «l'insurrection du 8 mai 1945 était intervenue après les conflits qui avaient éclaté dans les villages et douars d'Algérie». Il a expliqué que les activistes des mouvements politiques et anticolonialistes algériens avaient «récupéré» ces mouvements de protestations relevant de conflits locaux pour les politiser et les transformer en «dissidence larvée» qui avait commencé à s'installer à partir des années 1940. Pour M. Djerbal, il s'agit d'un mouvement de protestation contre l'ordre établi, dans la mesure où, a-t-il expliqué, ceux qui étaient fidèles à la France se sont retrouvés progressivement dans les mouvements insurrectionnels. Il a indiqué, dans ce cadre, que le mot d'ordre ayant amené au soulèvement du 8 mai 1945 «n'avait pas été donné» par le Parti du peuple algérien (PPA). Il a affirmé que ce constat est le fruit de ses propres recherches historiques à ce sujet. «Le PPA avait simplement demandé à ses militants, membres de l'association des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), de participer aux événements», a précisé M. Djerbal, faisant observer que cette «association avait réussi à rassembler le plus grand nombre d'adhérents à l'époque». Pour cet universitaire et maître de conférences en histoire, trois facteurs «importants» avaient conduit aux événements du 8 mai 1945, à savoir le basculement de la majorité du peuple algérien dans le front nationaliste et la dissidence de nombreux algériens qui étaient favorables à la France, notamment dans le Constantinois. Il y a eu aussi la mobilisation générale des AML qui avaient fait part de leur désir de manifester le 8 mai 1945 pour revendiquer l'indépendance de l'Algérie et dresser l'étendard de l'Algérie, symbole de l'identité et du fait national, alors que le troisième facteur consistait en la célébration de l'armistice après la fin de la 2e Guerre mondiale, a encore expliqué M. Djerbal. Pour ce qui est du nombre de morts durant les massacres du 8 mai 1945, il a estimé que des «études systématiques» doivent être menées par des spécialistes et des historiens, bien que le chiffre de 45 000 morts ait été avancé. Il a toutefois indiqué que 79% des Algériens tués et massacrés durant cette période étaient âgés entre 15 et 45 ans, et plusieurs autres avaient été déportés. M. Djerbal a également souligné que 800 soldats irréguliers et deux régiments de tirailleurs ont été engagés dans la seule région de Sétif pour «pacifier» les djebels, alors que l'aviation avait été utilisée contre les douars entre les 9 et 19 mai. Qualifiant ces massacres de «véritable guerre contre des civils», il a indiqué que la région de Sétif uniquement avait reçu 38 tonnes de bombes. Ces éléments d'informations fournis par Djerbal, attestent de la férocité de la France coloniale qui, à travers cette répression génocidaire, a mis fin au statu quo qui perdurait depuis le début du 20e siècle, ne laissant pas d'autre choix aux Algériens que le recours à la violence révolutionnaire légitime pour chasser l'occupant. C'est en effet, à partir de ce drame collectif que la dynamique indépendantiste allait prendre forme mettant à mal le PPA-Mtld, dont la direction politique tergiversait avant de s'enliser dans une crise de leadership en apparence mais de choix stratégique au fond. La crise dite berbériste n'était en fait qu'une crise de management démocratique du parti, et le démantèlement de l'OS justifiait a posteriori, les thèses attentistes au sein du Mtld pour calmer les ardeurs et les élans révolutionnaires des futurs activistes du Crua, qui finiront par avoir raison à la fois de la direction du parti et des manœuvres colonialistes. Pour les jeunes militants fondateurs du Crua puis du FLN, les massacres du 8 mai 1945 constituaient un message clair aussi bien des Algériens qui étaient prêts à se sacrifier pour libérer la patrie, et de la France qui était prête à tout faire pour briser le rêve indépendantiste. Les arguments de la direction du PPA, aussi bien ceux de Messali, que ceux des centralistes, ont été démentis par le 1er Novembre 1954. Les conditions objectives nécessaires au déclenchement de la lutte armée ont été réunies après avoir forcé la main du sort, car les conditions subjectives étaient mûres depuis ce 8 mai 1945. A. G.