Le génocide du 8 mai 1945 était un acte prémédité par la France coloniale. Lors de la conférence intitulée «Témoignages et analyses sur les massacres de mai 1945», organisée par l'association Machaâl Echahid au siège d'El Moudjahid, hier, le professeur Amar Bentoumi est revenu sur la conjoncture politique de l'époque et la stratégie mise en place par la France coloniale menant aux massacres du 8 mai. «Dès janvier 1945, une réunion tenue au siège du Gouvernorat général de l'Algérie (actuel Palais du Gouvernement à Alger), réunissant les plus hautes autorités militaires, les responsables de la sécurité, des politiciens et l'envoyé spécial de Charles de Gaulle, Yves Chataigneau (Gouverneur général de l'Algérie de 1944 à 1948) avait comme objectif d'élaborer une stratégie pour contrer le mouvement nationaliste. Il faut dire qu'entre 1944 et 1945, le mouvement des Amis du manifeste de la liberté (AML), fondé par Ferhat Abbès, et dont le SG était Asselah Hocine, parti de rien, comptait plus d'un demi million de fidèles», explique le conférencier. La France qui voyait la victoire des alliés sur l'Allemagne nazie se dessiner, selon Amar Bentoumi, moudjahid et militant du PPA-MTLD dès 1943, a consolidé ses forces sur le territoire algérien. 30 000 militaires dans l'Algérois, 15 000 à Oran et 3 000 dans le Sud, énumère-t-il. A cela, il ajoute le grand nombre de policiers, de gendarmes, de CRS, de harkis, de tirailleurs maghrébins et sénégalais et des soldats de la légion étrangère mobilisés. En termes de moyens, il citera l'aviation, avec 12 chasseurs-bombardiers, 12 bombardiers moyens, 16 JU52 et 61 P6, sans compter les blindés et autres matériel militaire. «Le premier ennemi de la France était devenu le peuple algérien. Surtout avec la poussé des indépendantistes du PPA à l'intérieur de l'AML, qui prônait l'autodétermination». D'après le conférencier, le génocide du 8 mai 45 était donc prémédité et avait pour déclencheur la manifestation du 1er mai où fut brandi le drapeau national. «C'était prémédité. Un complot contre le peuple algérien. Les autorités coloniales avaient refusé d'accorder l'autorisation de manifester à l'AML. Ils ont instruit les forces de l'ordre de tirer sur les manifestants s'ils brandissent encore le drapeau algérien», poursuit-il. Et ce qui devait arriver arriva. A Sétif, ce 8 mai de l'année 1945, Saâd Bouzid, un jeune scout est abattu par le responsable de la police pour avoir porté le drapeau. Ce fut le début du carnage. «106 européens ont été tués contre 45 000 algériens. La méthode du carnage qui a touché toute la région est du pays était rodée. Les militaires faisaient descendre les habitants des hameaux vers les villages de colonisation. Les milices des colons étaient les plus virulentes dans le massacre. Il suffisait de suspecter une personne de sympathie pour le mouvement national et ils passaient tous sous les blindés. Les fuyards étaient mitraillés», raconte Amar Bentoumi. Sur la sauvagerie des exécutions, il ravive des images atroces. Des légionnaires pariant sur le sexe d'un fœtus, éventrent la mère pour désigner le gagnant. Des bébés éclatés sur des murs et des rochers. Des hommes et des femmes jetés dans les gorges de Kherrata. «L'Armée française a même utilisé les prisonniers de guerre allemands et italiens pour massacrer les Algériens. Les soldat refusaient d'enterrer les morts. Ils voulaient que leurs corps soient dévorés par les bêtes. Et cela sans parler des fours crématoires d'Héliopolis (Guelma)», s'offusque-t-il. Réfutant la thèse selon laquelle les évènements du 8 mai se soient déroulés seulement à l'Est, «Il y a eu des morts également à Alger, Cherchell et Saïda» révélera-t-il. Le conférencier fait état de 10 000 arrestations parmi la population, dont 166 condamnés à mort par le tribunal militaire. «Ce sont des chiffres officiels français». Parmi ces gens arrêtés, Amar Bentoumi cite : Larbi Ben M'hidi, les Colonels Bouguerra, Ouamrane et Boubnider. Des noms illustres de la Guerre d'indépendance. Bentoumi, le premier ministre de la Justice de l'Algérie indépendante regrette qu'«après l'indépendance, les évènements du 8 mai 1945 ont été oubliés». il rendra hommage à feu Bachir Boumaza et à Sassi Benhamou qui ont longtemps entretenu cette mémoire. Le dernier cité étant un témoin vivant du génocide. S. A.