Parler du FFS, qui achève aujourd'hui son cinquième congrès, c'est d'abord évoquer - comment y échapper-, le parcours d'un homme au destin exceptionnel, souvent contrarié mais forçant toujours le respect. Hocine Aït Ahmed a blanchi, deux fois plutôt qu'une, sous le harnais du combat pour la libération de l'Algérie, immédiatement suivi d'un engagement constant dans l'opposition pour l'instauration d'un Etat de droit où il n'y aurait pas de choix à faire entre patriotisme et démocratie, comme il vient de le souligner très opportunément dans son message aux congressistes. Une vie de combat, la fidélité aux principes et l'attachement à une morale politique et une éthique, c'est aussi cela. Au moment où il quitte à 86 ans la présidence d'un parti quasiment éponyme, tant son nom y a été intimement associé, sa vie n'aura pas été, décidément, un long fleuve tranquille. Sur les 70 ans de son parcours militant, un demi-siècle aura été occupé à temps plein par son opposition à un pouvoir qui, pour perdurer, a substitué au diptyque généreux du vieux leader (patriotisme et démocratie), la notion pas seulement réductrice mais dévoyée, d'un nationalisme, à l'épreuve plus clientéliste que rassembleur. Au total, et à l'heure des bilans, les principes pour lesquels l'homme et son parti ont inlassablement combattu ne se retrouvent qu'édulcorés ou accommodés dans la doxa de l'Algérie d'aujourd'hui. C'est ce qui ajoute au sentiment de tristesse que peuvent éprouver en ces assises d'adieux les militants du FFS et, avec eux, toutes les forces qui se retrouvent, au moins en partie, dans la doctrine inaltérable du plus vieux parti de l'opposition. Ainsi est faite la politique dans notre pays, Hocine Aït Ahmed sera sollicité en tant que chef révolutionnaire par les «décideurs» pour succéder en 1992 à Mohamed Boudiaf, mais les idées de son projet démocratique ne seront pas prises en compte. Encore une fois, une certaine idée du nationalisme aura eu raison d'une certaine idée du patriotisme et de la démocratie. La confusion entre l'homme et son parti, bénéfique à l'unité des rangs et à la force des propositions, n'est cependant pas un style de direction à la validité permanente. Le FFS, comme d'autres partis, a lui aussi connu des moments de dissensions et de fractionnements, sans doute favorisés par son vieillissement dans l'opposition. Mais la personnalité du leader charismatique a toujours été préservée et en retour elle a préservé le parti de divisions plus graves, même si elle n'a pas toujours empêché des périodes de lassitude et d'atonie. Autant dire que, la succession étant ouverte, la partie ne va pas être facile, surtout que ces toutes dernières années ont vu l'émergence de courants très opposés et les accusations mutuelles prendre une tournure parfois triviale. On a même assisté à un entrechoc violent d'ambitions personnelles entre responsables qui se sont pris au jeu du leadership. Il faut dire aussi que si Aït Ahmed le militant est intransigeant sur les principes et les idéaux du parti, Aït Ahmed l'homme est rompu aux luttes d'appareil et n'ignore rien ni de la ruse paysanne ni de la stratégie d'étouffement de l'adversaire. Contraint par la force des choses à diriger son parti depuis l'étranger, il le fera avec une certaine fermeté allant jusqu'à frapper d'une main de fer quelques irréductibles contestataires. D'ailleurs, le système d'un premier secrétaire «tournant» n'a pas favorisé l'émergence d'une ou plusieurs personnalités fortes qui auraient aujourd'hui figuré parmi ses successeurs naturels. Pas plus que sa proposition d'instaurer, pour prendre sa relève, une présidence collégiale, une proposition qui serait loin de faire l'unanimité parmi les congressistes, à en juger par les échos en provenance de Zéralda où se tiennent les assises du parti. Au final, quelles que soient les résolutions qui en sortiront, la démission d'Aït Ahmed de la présidence du FFS signe la fin d'une époque. Dans une atmosphère de nostalgie et de regrets. L'homme emportera dans le capuchon du burnous de son grand-père Cheikh Mohand-oul-Hocine un pan d'histoire d'un pays qu'il a servi avec acharnement et courage. Le goût d'inachevé qu'il doit ressentir est dans la bouche de nombreux militants et Algériens anonymes. Tristesse et gâchis… A. S.