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Y a-t-il quelqu'un pour sauver le FFS?
LE PARTI FAIT FACE À UNE GRAVE CRISE
Publié dans L'Expression le 01 - 02 - 2007

Le parti d'Aït Ahmed a échoué à faire sa mue dans le sillage des changements qu'a connus l'Algérie, ces dernières années.
La crise ‘'existentielle'' qui secoue le plus vieux parti d'opposition du pays n'est pas anodine et pose le problème du fait politique en Algérie et plus particulièrement l'ascendant qu'ont, ou ont eu, certains dirigeants sur les formations politiques qu'ils ont à conduire. Et c'est singulièrement le cas du FFS dont le sort a été, durant plus de quarante ans, lié à celui de son premier responsable et fondateur, Hocine Aït Ahmed. Mais, à bientôt quatre-vingt-un ans -il est né en août 1926- Aït Ahmed, un «historique» et un géant du mouvement national, a son avenir politique plutôt derrière lui, alors que se pose avec acuité la question du devenir, sinon de la survie du parti qu'il a fondé un jour de septembre 1963. Il est ainsi question de la pratique qui détermine la gouvernance d'un mouvement politique lorsque l'ambition politique prend le pas sur l'intérêt collectif et sur la pérennité même du parti. Et le moins qui puisse être dit aujourd'hui est que le problème qui se pose au FFS est paradoxalement celui que pose son fondateur et mentor, Hocine Aït Ahmed. Or, le militant au long cours qu'est Aït Ahmed, est de la race des grands dirigeants, même s'il n'a pas été en vérité un grand politique, et, comme tel, ne supporte ni la contradiction ni qu'on lui tienne tête, ce qui fait qu'il a conduit le parti à sa guise selon sa propre conception de la politique et de la démocratie. On ne peut comprendre la crise actuelle du FFS si l'on ne met pas en exergue l'influence et le poids qu'a sur le parti Hocine Aït Ahmed issu d'une grande famille de notables du village d'Aït Ahmed dans la daïra d'Aïn El Hammam.
Il ne fait pas de doute que Aït Ahmed est un démocrate mais aussi et surtout un «zaïm» une figure emblématique qui a su faire le consensus autour de lui. Or, si le concept de dictateur est usité, celui du Zaïm- qui peut signifier aussi bien «grand patron» que «gourou» non du point de vue pédagogique mais dans son sens politique- l'est beaucoup moins. Et pour cause! Or, le ‘'Zaïmat'' ou «zaïmisme» partage avec le jacobinisme la doctrine de «démocratie centralisatrice» -a contrario du concept marxiste de centralisme démocratique-, dont Aït Ahmed, qui en est un adepte, en est aussi, au sein de son parti, le cerveau et le guide, ne s'écartant jamais de ce principe tout au long de sa vie politique, jusqu'à en faire son leitmotiv.
Les idées et les concepts...
En fait, le zaïmisme est une forme pernicieuse de césarisme qui fait que le débat d'idées est absent laissant place au seul programme conçu et imposé par le grand homme, induisant en réaction l'immobilisme et la démobilisation. Or, pour encore mieux contrôler son parti, le leader du FFS a instauré, depuis quelques années, l'exercice tournant du Premier secrétariat du parti, avec pour résultat de créer, outre les courants qui minent aujourd'hui le vieux parti, des clivages encore plus nuisibles pour l'unité des rangs. Le temps imparti à ces responsabilités tournantes ne laisse pas, d'autre part, aux titulaires du poste de faire leurs preuves et faire valoir leurs capacités et compétences, d'autant plus que rien n'explique, lorsque l'on s'affirme démocrate, une démarche qui, à la longue, a induit des retombées négatives sur le parti. Notons, pour mémoire que, lors des trois dernières années, trois hommes ont dirigé, à Alger (la précision est d'importance), le FFS et qui sont MM.Bouhadef (qui démissionna rapidement), Mammeri, puis Laskri (par deux fois).
Il n'est nul besoin d'être politologue dès lors pour faire le constat que le FFS ne se porte pas bien. Et les échos qui viennent de l'entourage du Boulevard Souidani Boudjemaâ (siège du FFS), ne sont pas les meilleurs. Et ce n'est pas seulement les conditions de la pratique politique qui en sont la cause, même si elles ont largement participé à l'anémie d'un parti qui n'a pas, au final, répondu aux promesses et espoirs qu'il a laissé poindre. Aussi, la crise du parti FFS est-elle indissociable des états d'âme de son fondateur. Le FFS, parti politique créé par M.Aït Ahmed (en compagnie d'une poignée d'hommes politiques convaincus qu'il fallait rompre avec le modèle FLN dont la fin de mission était évidente pour tous dès l'indépendance du pays acquise -modèle qui ne convenait plus à une Algérie qui devait tout construire ou reconstruire, à commencer par les institutions politiques et de gouvernement-) qui avait pour objectif déclaré d'implanter la démocratie en Algérie a, au fil des ans, -tant du fait de la répression qui lui fut imposée par le régime en place, que du fait de l'incapacité de ses dirigeants à dépasser des querelles de personnes- fini par prendre certaines des caractéristiques les plus rébarbatives du parti unique, alors qu'une sorte de culte de la personnalité prenait forme dont était l'objet le premier responsable du FFS, lequel n'a rien fait, par ailleurs, pour décourager ses laudateurs. De fait, il est apparu rapidement qu'Aït Ahmed -qui a été le lien unificateur entre des hommes venus d'horizons politiques différents mais avaient en commun de croire en la démocratie et aux libertés citoyennes- est devenu l'alpha et l'oméga du FFS, le début et la fin d'un parti qui, sans lui, n'existe pas ou n'a pas d'existence discernable.
Cet avenir incertain, en demi-teinte, fait sourdre la crainte dans les milieux militants sincères du FFS qui se demandent ce que deviendrait leur parti une fois qu'Aït Ahmed se soit, d'une manière ou d'une autre, retiré des affaires. On est donc, à tout le moins, loin de la profession de foi qui était celle de Hocine Aït Ahmed au lendemain de la rupture avec le régime issue de la crise de l'été 1962, quand le leader de l'opposition affirmait dans un entretien à Jeune Afrique (du 1er Octobre 1962) «L'opposition, si opposition il doit y avoir dans l'avenir, ne peut se faire que sur la base d'idées, de conceptions, de méthodes et non pas sur l'approbation de tel ou tel chef» (cité par Ramdane Redjala, in L'opposition algérienne depuis 1962, le FFS, le PRS-CNDR, Editions Rahma, Alger, 1991). Que reste-t-il aujourd'hui de ces belles paroles qui, pourtant, disaient bien la foi des premiers militants de l'indépendance de construire une Algérie plurielle, garantissant les libertés pour tous? Mais c'est une lapalissade de dire, n'est-ce pas, que le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu fait de son détenteur un homme hors normes. N'est-ce pas César? C'est un peu le cas d'Aït Ahmed dont l'hégémonie sur le parti risque de se retourner demain contre un mouvement qu'il a su pourtant élever à la lumière sans qu'il parvienne cependant à concrétiser tout ce que ce parti a laissé espérer alors qu'il a été à l'avant-garde de la lutte pour la démocratie et les libertés citoyennes.
Mais un autre handicap, l'exil, volontaire et/ou forcé de son fondateur, est venu réduire l'assise du parti et son espace de proposition, quand le comité national du parti devenait une sorte de chambre d'enregistrement des pétitions et recommandations venues de Lausanne. En sus des conditions générales qui sont celles du pays, qui ont fait que le pluralisme politique n'a pas réellement pu prendre racine en Algérie, ce qui a miné et paralysé le fonctionnement normal du parti est la question de prérogatives, de direction et de gestion laquelle se pose dès lors que le mouvement en est venu à consommer un nombre abusif de Premiers secrétaires, alors que la réalité du pouvoir est détenue par un homme vieillissant, vivant à l'étranger, coupé des réalités politiques du pays, qui ont mis le vieux parti en porte-à-faux avec la réalité et la prise de décision politique, en temps réel.
Il est indéniable que les raisons qui ont amené le leader du FFS à agir ainsi sont sérieuses, dont la moindre n'est pas l'exil où il s'est trouvé forcé. Mais, cela étant, Hocine Aït Ahmed avait néanmoins la possibilité de déléguer tout ou une partie de son pouvoir dans l'optique, justement, de préserver la primauté du parti sur tout autre considération.
Il n'est pas étonnant, dès lors, que le FFS sans pouvoir dans le champ politique où il se meut et ne pouvant pas réagir en temps réel aux événements qui marquent le pays, ait commencé à péricliter, rejoignant la cohorte des «partis politiques» marqués par le spleen -lesquels existent pour exister faisant, en revanche, vivre une armée d'apparatchiks- alors que le FFS s'enfonçait dans des querelles intestines que l'on imaginait réservées au vieux parti unique au moment où les clivages entre les courants s'approfondissaient. Force alors de dire que l'origine du mal insidieux qui mine le FFS en est son fondateur et mentor, Hocine Aït Ahmed, cause première du départ volontaire ou forcé, de nombreux cadres du parti. Cadres parmi lesquels l'on retrouve autant les hommes sages du mouvement, par leur âge et expérience, que surtout la relève formée par le mouvement qui constituait en fait le substrat d'un parti de pouvoir qui aspire à diriger un jour le pays. Or, comme le dernier cacique du FLN, M.Aït Ahmed a éliminé tous ceux qui pouvaient lui faire ombrage ou devenir des adversaires ou concurrents sérieux pour la direction du FFS. En témoignent les premiers accrocs sérieux apparus lors du 2e congrès du parti de mars 1996 lorsque quatre dirigeants importants ont exprimé leurs désaccord avec la ligne suivie par Aït Ahmed alors que 10 membres fondateurs du parti prenaient leurs distances vis-à-vis du leader du FFS.
Courants et clivages démobilisateurs
Mais, c'est sans doute surtout l'inexistence «d'un cadre d'expression libre d'affirmation des uns et des autres» et conditionnant un «fonctionnement démocratique du parti», comme l'indiquaient, à l'époque, les dissidents, qui est ainsi reproché à Hocine Aït Ahmed. De fait, sa longévité à la tête du Front des forces socialistes, qu'il dirige sans partage depuis quarante-quatre ans, n'a rien à envier aux plus durs des apparatchiks et dinosaures du FLN qui ont blanchi sous le harnais. Hocine Aït Ahmed a eu pourtant une opportunité singulière en 1999 de sortir la tête haute par la grande porte- et sauvegarder par là autant l'auréole qui l'entoure en tant que l'un des pères de la révolution algérienne, que de rétablir l'unité de rang et la sérénité dans son parti- quand il a eu une défaillance cardiaque qui le priva de participer à l'élection présidentielle organisée au mois d'avril de cette année.
L'émotion qu'a suscité son malaise, y compris parmi ses adversaires politiques, n'était pas feinte tant le vieux militant était estimé de tous les Algériens. Hélas, ces péripéties de santé l'ont, certes, éloigné de l'Algérie mais pas des arcanes de la politique. D'ailleurs, autre reproche qui est fait au leader du FFS est celui de se tenir à l'écart du processus politique qui a lieu en Algérie. Et Alger est toujours à l'écoute de ce que décide Lausanne tant l'omnipotence d'Aït Ahmed sur le parti est sans partage. Il est indéniable cependant, qu'Aït Ahmed est, et reste, un «historique» et un géant du mouvement national qui n'a pas toujours eu la consécration que, sans doute, il méritait. Mais ce sont là les aléas de la politique et, à l'instar de grands hommes passés par pertes et profits de l'histoire, Aït Ahmed est quelque part pénalisé par un certain sentiment d'échec, lui qui n'a pas pu, ou su, faire de son parti, le FFS, un parti de pouvoir et sans doute aussi, de n'avoir pu contribuer plus efficacement à l'éclosion de la démocratie en Algérie.


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