Les jeunes porteurs de projets en souffrent beaucoup avec résignation, les opérateurs économiques la dénoncent avec vigueur, les simples citoyens la subissent au quotidien, les dirigeants en sont arrivés à s'en accommoder et tout le monde s'est fait une raison : en Algérie, la bureaucratie est plus forte que tout. Plus forte que les mesures de «débureaucratisation» annoncées par les autorités et plus puissante que les campagnes d'assainissement et de moralisation du service public lancées depuis bientôt une année. La situation n'a jamais vraiment changé et le simple retrait d'un document administratif de base relève presque de la gageure. «Je hais l'administration, ses lenteurs et ses files d'attente, peste Amine. Dès que je dois me rendre dans une APC ou une daïra, je me crispe parce je sais que la tâche n'est jamais facile et que je risque d'y passer la journée.» Et l'ouverture, ces dernières années, de nouvelles structures administratives, l'acquisition d'équipements sophistiqués et les instructions données par les responsables dans le sens d'un traitement rapide des dossiers des citoyens n'ont que très peu influé sur le cours des choses, les administrés algériens continuant de subir les mêmes tracasseries administratives.
La librairie, annexe de l'administration Dans le nouveau siège de la daïra de Bir El Djir - subdivision administrative située à l'est d'Oran sur laquelle les pouvoirs publics comptent beaucoup dans le cadre du programme de modernisation de la wilaya- les formulaires nécessaires au dossier de la carte nationale d'identité (CNI) sont encore, cet été 2013, introuvables et il faut se rendre à la librairie d'en face pour s'en procurer. Et pour des raisons que seuls les fonctionnaires de cette institution peuvent comprendre, les CNI sont rarement prêtes dans la semaine, comme annoncé par les responsables, et il n'est pas rare que les attributaires de ces documents découvrent des erreurs : une date de naissance erronée, une fausse taille ou un signe particulier qui n'en est pas un (port de lunette ou de barbe, par exemple). Ce qui donne lieu à des démarches supplémentaires génératrices d'un tel stress et d'une telle tension que beaucoup, par écœurement, ont préféré abandonner en chemin. A cause d'un dossier perdu dans les méandres de l'administration, à mi-chemin entre l'annexe de l'APC de Sédikia et la daïra d'Oran, un citoyen a ainsi laissé tomber le renouvellement de son passeport alors que d'autres «vivent» avec des documents périmés ou comportant de faux renseignements qu'ils hésitent à faire modifier en raison des lourdeurs que l'on sait. Dans certaines villes et villages, les documents officiels de l'Etat-civil (fiches familiale et individuelle, extrait d'acte de naissance…) sont vendus dans le bureau de tabac d'à côté, qui est, évidemment, alimenté par un agent de l'Etat-civil. Aucun responsable local ne s'en offusque. Quant au citoyen, las de courir, il ne pense même plus à s'en plaindre, trop content qu'il est d'avoir déniché le document introuvable à la mairie. Pis, les timbres fiscaux sont vendus dans des commerces alentours des daïras et mairies.
A quand le paiement en ligne ? Bien que de très légères améliorations aient été enregistrées dans de rares administrations, notamment celles qui n'enregistrent pas une grande fréquentation, la situation dans la grande majorité des bureaux administratifs est similaire à celle de la daïra de Bir El Djir. Qu'il s'agisse des mairies, des daïras, de la Poste, de Sonelgaz, d'Algérie Télécom, des banques, des Impôts..., les usagers, clients et abonnés, sont logés à la même enseigne et doivent faire face aux mêmes désagréments : lenteurs administratives, files d'attente, erreurs d'écriture et d'autres tracas qu'ils doivent subir stoïquement, alors que dans d'autres pays tout se règle pas Internet : moins de pression sur l'administration et moins de stress pour les administrés. Pourquoi la «chose» n'a-t-elle pas encore cours chez nous ? Mystère. Y compris, manifestement, chez des agents d'Algérie Télécom qui disent ne pas comprendre que le paiement des abonnements Internet, par exemple, ou des factures du téléphone, ne se fasse pas encore en ligne. Et, naturellement, les administrés ne comprennent toujours pas qu'on ne puisse pas imprimer, directement chez soi, son acte de naissance alors que l'on parle régulièrement de 3G, d'informatisation de l'état civil et d'autres avancées technologiques. Si, comme l'a affirmé Albert Einstein, la bureaucratie réalise la mort de toute action, l'administration algérienne n'a pas encore fini de compter ses victimes. S. O. A.