La junte militaire ne lâchera pas de sitôt le pouvoir en Mauritanie. Le général putschiste, Mohamed Ould Abdelaziz, « technicien » en coups d'Etat, dont celui du 6 août dernier qui a renversé le premier président démocratiquement élu Mohamed Ouled Cheikh Abdelahi (Sidioc) le proclame d'un ton haut, clair et martial. « Nous ne ferons pas marche arrière », a-t-il déclaré la semaine dernière en réponse à la demande ferme et pressante de la communauté internationale de rétablir l'ordre constitutionnel et de libérer le Président déposé, placé depuis l'été en résidence surveillée au palais des Congrès de Nouakchott. Plus de deux mois après le putsch qui a mis fin au règne très mouvementé de Sidioca, le général Ould Abdel Aziz, président du Haut conseil d'Etat, continue de narguer la communauté internationale. Ni les menaces d'embargo économique et diplomatique qui pèsent lourdement sur le pays, encore moins la très forte mobilisation des partis opposés au putsch, fédérés sous la bannière du FNDD, ne semblent avoir de prise sur les militaires décidés à s'éterniser au pouvoir. L'armée y est déjà depuis 1978, année du premier coup d'Etat dirigé contre le premier président Mokhtar Ould Dada (1961-1978), le « père » de l'indépendance mauritanienne. La junte militaire au pouvoir reste droite dans ses bottes, inflexible, insensible même aux critiques acerbes émanant aussi bien de la classe politique, des syndicats et des organisations de la société civile que de la communauté internationale qui lui dénient toute légitimité. « Les militaires ne sont pas près de céder », fait observer un diplomate arabe rencontré à Nouakchott. La capitale mauritanienne, lasse des coups d'Etat cycliques – elle en est à son quatrième putsch réussi en moins de 20 ans –, respire en cette matinée incandescente du 23 octobre son habituel bol d'air. Un air vicié. Le taux d'humidité de 65% annoncé la veille par le journal météo y est peut-être pour quelque chose (la ville est située à quelques kilomètres seulement de l'océan Atlantique) mais ne peut, à lui seul, expliquer la pesanteur des temps qui courent. L'incertitude est ambiante, martiale. « Nouakchott ne sent pas la rose », plaisante Mamadou, le chauffeur de taxi qui nous dépose au quartier des ambassades et des ministères. L'armée est là, visible et à cran. Les principaux édifices publics, y compris l'aéroport international, sont sous sa surveillance. L'état d'exception n'est certes pas déclaré, même pas pour la forme, mais qu'importe, la junte militaire sait se rendre visible et sa présence est dissuasive. Surtout que les antiputschs se laissent de plus en plus tenter par des manifestations osées et houleuses. Les marches et meetings de l'opposition ont perdu quelque peu de leur force sous le coup de la répression policière, mais sont toujours considérés comme potentiellement dangereux. La Mauritanie est-elle « une terre de silence » comme la présente François Soudan dans Le Marabout et le colonel ? « Peut-être, mais pas forcément un peuple du silence », répondent quelques-unes « des voix qui crient dans le désert ». La révolution « ocre » Mohamed Ouled Mawloud, le leader charismatique de cette « révolution ocre », faute de pouvoir être naturellement « orange » tant elle est prêchée à partir d'un désert sahélo-saharien, est certainement de ceux-là. A la tête du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), conglomérat de partis politiques ; une douzaine de formations en tout et de tous les horizons politiques, de centrales syndicales ; 6 sur les 9 représentant les travailleurs de la Mauritanie, d'organisations de la société civile, d'ONG de défense des droits de l'homme, etc. Ouled Mawloud, également président de l'Union pour les forces progressistes (UFP), sait se faire entendre. La démocratie en Mauritanie ce n'est pas une « arnaque », dit-il et non sans arguments. « Pour la première fois dans l'histoire de ce pays, un coup d'Etat est contesté dès le premier jour. Publiquement. Par des forces politiques, sociales…, des personnalités de tous bords. Cela veut dire que la transition a servi et qu'elle est loin d'être une arnaque. Parce qu'il y avait une vraie liberté politique, un vrai Etat démocratique et notre peuple a goûté à la liberté et à la démocratie et une partie de ce peuple n'est pas près de renoncer à ses acquis », nous déclare le tribun, issu d'une des puissantes tribus maraboutiques du pays. Parfait bilingue, le maure blanc qu'est Ouled Mawloud – dont l'ethnie (les Beïdanes) a accaparé seule le pouvoir dans cette région de l'Afrique occidentale, une zone « tampon », aux influences négro-africaines et berbéro-arabo-musulmans a toujours les mots qu'il faut pour déchaîner les foules antiputschistes et apprivoiser la presse étrangère, nombreuse à couvrir médiatiquement le « Printemps de Nouakchot », comme cela a été le cas le 26 octobre au siège du parti Adil. Adil, le parti du président Sidioca, a puisé dans le réservoir de députés « indépendants », « hommes de paille » de l'armée qui constituaient la majorité parlementaire. 19 sur les 49 députés qui la formaient ont tôt fait de rallier ce qui est communément appelé ici « le bataillon parlementaire » dont le nombre atteindra après le putsch 72 députés, sur les 95 de l'Assemblée nationale. Plus les deux tiers du Sénat. Parrainés par l'armée, ces députés ont été pour beaucoup à l'origine de la crise politico- institutionnelle dans laquelle végète actuellement la Mauritanie. Le « Bataillon parlementaire » s'est particulièrement distingué durant les 15 mois de la présidence de Sidioca par son opposition frontale et déchaînée. Le président « démocratiquement élu » lors des élections de mars 2007, élections saluées par l'ensemble de la communauté internationale pour leur exemplarité et leur transparence, était en réalité adoubé, selon Ladji Traoré, SG de l'APP, par le « complexe militaro- féodal », incarné par le général Abdelaziz avant que ce dernier ne s'aperçoive que son « poulain a décidé de quitter la maison de l'obéissance pour rentrer véritablement dans l'habit du président élu et indépendant » pour reprendre l'expression d'un diplomate. Les démocrates face au complexe militaro-féodal En limogeant le Premier ministre Zein O. Zeidane (homme de main des militaires) et son équipe ministérielle composée de technocrates – loin du savant dosage traditionnel, partisan, ethnique, tribal et régional, équilibre instauré au bon vieux temps du président Ould Taya, déposé en 2005 par les colonels Ely Vall et Ouled Abdel Aziz – Sidioca s'est attiré les foudres du commandement de l'armée. La désignation en mai 2008 de Yahya Ould Ahmed Waqf, bras droit et chef de cabinet du Président, à la place de Zeidane et la formation d'un gouvernement « politique » ouvert aux partis de l'opposition dans lequel figurent des islamistes de Tawassoul, des marxistes de l'Union pour les forces du progrès, de l'Alliance populaire progressiste (parti des Harratine, descendants d'esclaves affranchis qui représentent quelque 45% de la population de la Mauritanie estimée à 2,7 millions de personnes) et surtout en recyclant, « suprême transgression », les symboles de la gabegie, les anciens « cadres » du régime Taya chassés lors du coup d'Etat de 2005. Deux motions de censure ont été introduites par les députés « frondeurs » contre les deux gouvernements de Waqf. Sans succès. Le Président, se sentant directement visé, a pris la décision de dissoudre l'Assemblée nationale avant de se raviser. Le 6 août, alors qu'il avait signé dans la matinée même le décret limogeant les principaux chefs militaires, le Président est arrêté par un jeune lieutenant de l'armée, sur ordre du commandant du Basep. Son cabinet restreint subira le même sort. La nature du régime reprend ses droits en Mauritanie. « Je m'engage personnellement à préserver l'Etat de droit, les libertés des citoyens et les institutions démocratiques existantes », a déclaré à un journal suisse, avec une pointe d'humour noir, le chef de la junte militaire. Dans l'ordre et le désordre, l'Union africaine, l'Union européenne, les Etats-Unis d'Amérique, la Ligue arabe, les Nations unies... condamnent sans ambages le putsch conduit par les trois généraux (promus à ce grade par le Président limogé, Sidioca), dont Ouled Abdel Aziz, le commandant du bataillon de la garde présidentielle (Basep), Félix Négri et Ouled Ghezouani ancien DGSN et patron de la puissante police politique. Une douzaine de colonels et de lieutenants-colonels prennent part à ce qui est présenté pour la communauté internationale comme « un mouvement rectificatif ». Le « bataillon parlementaire », l'opposition historique incarnée par le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d'Ahmed Ould Dada, jeune frère de Mokhtar Ould Dada, premier président de la Mauritanie, donnent leur onction politique. Les « souteneurs » du putsch sont nombreux et ont la langue fourchue. Quand Alger « irrite » les putschistes Tevragh Zeina. Jeudi soir. Notre contact à Nouakchott, le journaliste pro-putsch, Abdelvetah Ould Mohamed, actionnaire du quotidien Biladi, nous conduit dans ce quartier « résidentiel » de Nouakchott où la nomenklatura du régime et sa clientèle politique et du monde des affaires se sont fait construire, sur les deniers publics, nous dit-on, de majestueuses haciendas. Rendez-vous a été pris avec quelques-uns des partisans du putsch. Dans leurs propos, nos hôtes, le député RFD, Yacoub Ould Moine, le conseiller du Premier ministre, nommé dans la semaine, Sadava Ould Cheikh Houssine, également du parti d'Ahmed Ould Dada, et l'ex-porte-parole du président du RFD, directeur général des caisses d'assurances, Abdi Salem Ould Cheikh, accablent durement le président Sidioca, accusé de tous les maux. Blocage des institutions, viols répétitifs de la Constitution, détournement de biens publics via la « Fondation Khettou », épouse du Président (auditionnée lundi dernier par une commission d'enquête sénatoriale). Sidioca a instauré, selon le conseiller du Premier ministre, un « système prébendier », « clientéliste », qui a « floué » le peuple mauritanien et « hypothéqué » sa transition démocratique. « Le Président a agi en chef de clan, un marabout sectaire qui a traité le pays comme si c'était un territoire conquis par la confrérie Tidjania », affirme Abdelvetah. « Au bout du 7e mois de son règne, il s'est avéré être un Président faible, sans grandeur, incapable de gérer la Mauritanie alors que la crise économique fait ressurgir les émeutes de la faim. Il est constamment en voyage, 25 déplacements à l'étranger en une quinzaine de mois. Pour chacun de ses déplacements, coûteux au Trésor, il mobilise deux avions, l'un pour lui et l'autre pour son épouse », ajoute le journaliste. Le plus frappant dans les déclarations incendiaires des représentants du parti RFD, allié inespéré de la junte militaire – le président du parti, A. Ould Dada, avait apporté sa caution dès les premières heures au coup d'Etat –, c'est la montée de ressentiments « anti-algériens ». La position ferme et sans concession du gouvernement algérien à l'égard du putsch est très mal appréciée par la junte au pouvoir. Les « soutiens » du putsch croit y déceler un « acharnement algérien contre la Mauritanie ». Le fait que cette position ait été exprimée par des diplomates algériens occupant des postes clés au niveau des organisations régionales et internationales d'envergure, relève, selon une source aux AE, d'un « concours de circonstances » et « ne participe d'aucun acharnement ». Les trois diplomates algériens Ramtane Lamamra, Saïd Djinnit et Ahmed Ben Helli, occupant dans l'ordre les postes de commissaire à la paix et à la sécurité de l'Union africaine, de représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et de secrétaire général adjoint chargé des affaires politiques à la Ligue arabe, mobilisent, aux yeux des putschistes, la communauté internationale autour de « la ligne dure » opposée « au mouvement de rectification du 6 août ». Les origines marocaines du chef de la junte militaire Au vu de l'histoire, rien d'étonnant en somme. Le président mauritanien Ahmed Ould Dada, historiquement pro-marocain, a eu à négocier avec le roi Hassan II le partage des territoires du Sahara occidental et s'est embourbé, même aidé par les forces royales et l'armée française, dans la « Guerre des sables » en 1975. Les origines marocaines du chef de la junte militaire, le général Abdelaziz, issu de la tribu guerrière du sud du Maroc, les Beni Sebaâ, installée en Mauritanie dans les années 1940, feront-elles basculer la position de « neutralité » observée par la Mauritanie depuis plus de 25 ans vis-à-vis du conflit saharaoui ? Rien n'est à exclure. Au lendemain du putsch, le premier responsable étranger à se rendre en Mauritanie a été le directeur des services de renseignement marocains. Un hasard ? Pas du tout. Après les déclarations fracassantes à la télévision mauritanienne de l'ex-ministre Isselmou Ould Abdelkader qui a accusé le Basep d'être une « armée infestée de mercenaires étrangers » (déclaration qui lui a valu une mise au cachot), Ould Mawloud a enfoncé le clou, la semaine dernière, en affirmant que le coup d'Etat avait été commandité de l'étranger. Sans en dire plus. « Pour nous, l'Algérie a toujours été, est et restera un pays frère et ami avec lequel nous partageons l'histoire et la géographie et un allié stratégique pour notre pays et notre peuple », nous a répondu Moulaye Mohamed Ould Laghdaf, Premier ministre du gouvernement transitoire de la junte au pouvoir. Mise au ban de la communauté internationale, la Mauritanie risque gros si un embargo économique et diplomatique est décrété contre elle. Ce qui n'est pas à exclure lors de la prochaine consultation entre l'Union européenne et les représentants du HCE, prévue dans 20 jours. L'Union européenne et les USA, les principaux bailleurs de fonds de la Mauritanie, ont suspendu (ou ont menacé de le faire) les aides au développement. Plus de 500 millions de dollars d'aides et quelque 2,7 milliards de dollars promis par les bailleurs de fonds arabes et chinois, pour financer le plan triennal de l'ex-Président pourraient ainsi s'évaporer. L'aide humanitaire et d'urgence est, par contre, maintenue. Selon l'antenne du PNUD à Nouakchott, plus d'un tiers de la population mauritanienne souffre de malnutrition. Hormis les positions du Maroc, le Sénégal et la France (qui assure la présidence tournante de l'UE) qui soufflent le chaud et le froid, le nouveau pouvoir en Mauritanie ne peut compter sur presque aucun soutien diplomatique d'envergure. Le Soudan d'Omar El Bachir est officiellement le seul « soutien » diplomatique. A l'instar de l'Union européenne, les Etats-Unis donnent 30 jours au HCE pour restaurer la légalité constitutionnelle.