Dernier bastion du communisme dans le monde, l'économie chinoise, qui repose essentiellement sur les exportations, vient d'être touchée par les effets de la crise qui a terrassé les économies de ses rivaux capitalistes. Les usines ferment. Les paysans venus travailler dans les grandes villes du pays retournent dans leurs campagnes. Les clients étrangers annulent leurs commandes... La crise mondiale a fait irruption dans l'économie chinoise. Certes, l'empire du Milieu garde une croissance enviable. La Banque mondiale a revu sensiblement à la baisse la semaine dernière les prévisions de croissance en Chine en 2009, à +7,5%, contre initialement 9,2%, son plus faible niveau en 19 ans, dans son rapport trimestriel sur l'économie chinoise. L'économie chinoise s'est modérée pour atteindre un rythme plus viable, a affirmé la Banque mondiale, qui prend en considération, cette fois-ci, les effets de la crise mondiale. L'institution table sur un produit intérieur brut en hausse de 9,8% cette année, après le bond de 11,9% en 2007 en glissement annuel, qui avait marqué la cinquième année consécutive de croissance à deux chiffres. Le gouvernement chinois, qui, depuis plusieurs années, se fixe un objectif de croissance de 8%, estime que l'économie chinoise devrait encore progresser de 8 à 9% l'année prochaine, selon de récentes déclarations de ses responsables, dont le gouverneur de la Banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan. L'indice des prix à la consommation en Chine a enregistré, pour sa part, son cinquième recul mensuel en septembre, à +4,6%, après un plus haut de 12 ans de 8,7% enregistré en février dernier. Menaces de ralentissement malgré une croissance enviable Selon les critères occidentaux, une croissance de 8% serait une aubaine pour la plupart des pays développés. Mais pour la Chine, qui doit faire face à une croissance démographique encore supérieure à 10 pour mille (soit 13 millions de nouvelles bouches à nourrir, éduquer, soigner et caser dans le marché de l'emploi chaque année) et dont la stabilité sociale dépend d'une croissance forte, une hausse du PIB réduite à 8% laisse peu de marge de manœuvre et devient problématique. Assez peu connecté à l'international, le système financier chinois résiste en apparence assez bien aux tumultes qui secouent la planète financière. Le marché évolue selon un schéma presque autarcique contrôlé par l'Etat, où les banques agissent de manière indépendante. Déjà peu ouvertes à l'international, il est également rare que ces dernières, qui sont surtout des organismes pourvoyeurs de crédits d'Etat, parfois contre toute logique économique, se prêtent de l'argent entre elles. Dans ce contexte, la Chine est protégée des contagions directes de la crise, surtout si elles viennent de l'extérieur. Quant aux risques intérieurs, ils existent mais le matelas financier de l'Etat chinois est suffisamment épais pour laisser quelque marge de manœuvre. En ces temps de désordres provoqués par les dérapages du capitalisme financier, les autorités de Pékin, adossées à un système encore très dirigiste, protégé des abus des montages financiers illisibles et douteux, peuvent donc afficher une certaine sérénité. En réalité, leurs soucis sont ailleurs. Les premières inquiétudes sont anciennes et concernent la mauvaise gestion des établissements bancaires qui fait peser un risque latent sur le système financier intérieur. Il est en effet de notoriété publique que, malgré les efforts d'assainissement de ces dernières années, la gestion des banques chinoises reste dangereusement opaque, obérée par de lourdes dettes non recouvrables générées par le mélange entre la politique et les affaires et une corruption rampante. Les inquiétudes des dirigeants chinois sont aujourd'hui perceptibles dans leur nouveau souci de voir clair dans leurs propres statistiques, tant il est vrai que, par les temps qui courent, il deviendra de plus en plus crucial de savoir où on en est réellement. Récemment, le nouveau directeur du Bureau national des statistiques, Ma Jiantang, demandait à ses équipes de «résister à la tendance à manipuler les données» et leur enjoignait de «garantir l'exactitude des chiffres et de travailler avec plus de professionnalisme». L'agence de presse chinoise Xinhua rappelle à cette occasion que la clé du problème des statistiques chinoises réside dans l'habitude des dirigeants locaux de maquiller les chiffres pour faire bonne impression sur leur hiérarchie. Les autres craintes, aujourd'hui plus pressantes, concernent les effets probables de la crise mondiale sur l'économie chinoise. Il est aujourd'hui avéré que les effets conjugués des efforts des autorités pour ralentir l'économie et les conséquences de la crise mondiale, induisant l'atonie des marchés et la baisse des excédents commerciaux, auront un effet sur la croissance chinoise. Quelques semaines à peine après l'apothéose des jeux Olympiques de Pékin, beaucoup se demandent si le miracle économique n'était pas un mirage. La crise est bien là … Un plan de stimulation pour contrecarrer le ralentissement économique Pékin ne reste pas dans l'expectative. Les maîtres de la Chine ont réagi en annonçant un plan de stimulation de la croissance intérieure de 4 000 milliards de yuans, soit 460 milliards d'euros ou 586 milliards de dollars, mais cela ne suffira pas forcément à sauver les exportateurs, qui voient leurs clients étrangers annuler ou renvoyer des cargaisons. Pékin a tenté une thérapie de choc en abaissant les taux d'intérêt trois fois en deux mois et en promettant des centaines de milliers de dollars de réductions fiscales, garanties de crédit, nouveaux projets et autres mesures, mais nombre de Chinois ne sont pas rassurés pour autant. La Chine, affectée par la crise financière mondiale, doit impérativement trouver un équilibre entre croissance et lutte contre l'inflation, estime le Premier ministre chinois, Wen Jiabao. Tout indique que Pékin se prépare d'ores et déjà à l'ère des temps durs. La croissance affaiblie ne pourrait plus jouer le rôle de liant social et politique. La Chine doit désormais savoir clairement où elle en est et trouver les meilleurs moyens de se protéger. Il s'agirait en effet de garder suffisamment de ressources et de marge de manœuvre pour accélérer la mise en œuvre des plans sociaux à peine ébauchés, poursuivre la réforme du service de santé et du système éducatif, doper la demande intérieure qui devra pallier la chute des exportations et garantir la solidité du Yuan contre les spéculateurs. «La crise financière mondiale et le ralentissement de l'économie empirent», écrit le Premier ministre dans un texte publié par la revue du Parti communiste chinois. Entre juin et septembre, le produit intérieur brut du géant asiatique a enregistré une hausse de 9% sur un an, son plus bas niveau trimestriel en cinq ans. Cette décélération a fait passer la croissance de l'économie chinoise sous la barre des 10% (+9,9%) sur les trois premiers trimestres, contre 12,2% sur la même période de l'an dernier. «Les pressions inflationnistes restent fortes alors que le prix du pétrole est encore à un niveau élevé malgré certaines corrections», ajoute le dirigeant chinois, soulignant que «tous ces facteurs négatifs affectent et continueront à affecter la Chine». Et l'un des effets majeurs de la crise est de contracter la demande des pays occidentaux et de ralentir les exportations chinoises. Selon le gouvernement chinois, la principale tâche de la politique macroéconomique chinoise est «de maintenir avec succès un équilibre entre développement économique stable et relativement rapide et lutte contre l'inflation». «Nous devons comprendre à quel point l'inflation peut mettre en danger la croissance économique, la vie des gens et la stabilité sociale», affirme-t-on, de même source. C'est pourquoi la Chine a élaboré un nouveau plan destiné à encourager la consommation des ménages en octroyant une plus grande couverture sociale et des salaires plus élevés dans le but de soutenir la croissance économique en pleine crise mondiale, selon un hebdomadaire gouvernemental chinois. Ce plan vise à stimuler la demande intérieure. «Toutes les mesures peuvent être envisagées, du moment qu'elles incitent les ménages à dépenser». Plusieurs mesures sont envisagées dans ce plan, dont la hausse des salaires, des subventions aux familles aux revenus modestes, des aides plus importantes à l'achat d'un logement, une augmentation des contributions de l'Etat à la couverture sociale et à l'éducation, a souligné la publication. Elle a également laissé entendre que le gouvernement entendait injecter sur le marché boursier jusqu'à 400 milliards de yuans (58,6 milliards de dollars), soit près de 10% de la capitalisation actuelle du marché, dans le but de renforcer la confiance des investisseurs. Le projet devrait être débattu au début de ce mois de décembre au cours d'une conférence sur l'économie qui regroupera les plus grands dirigeants chinois. En attendant ces débats, les fêtes de fin d'année, l'un des principaux rendez-vous du commerce chinois, s'annoncent déjà très mal. Des milliers d'usines ont fermé, particulièrement dans le jouet et la chaussure. Les chiffres officiels sont incomplets, mais selon l'agence de planification économique 67 000 petites et moyennes entreprises (PME) ont mis la clef sous la porte au premier semestre 2008. Depuis, pas un jour ne passe sans son lot de fermetures et de licenciements. Le fret maritime de matières premières et de produits manufacturés subit directement les conséquences du ralentissement économique mondial. Le Baltic Dry Index du transport de matières sèches sur 40 routes maritimes dans le monde, indicateur-clef de la demande, a dégringolé de 11 793 points à 891 entre mai et novembre. Certains responsables de sociétés de fret maritime à Shanghaï ont vu leurs bénéfices chuter de 30% cette année. Le ministère chinois du Commerce estime que les entreprises américaine doivent à elles seules 100 milliards de dollars à des exportateurs chinois. Et le problème d'abord apparu dans la construction gagne les produits de consommation, comme l'habillement ou l'électroménager. Et l'effet domino continue : faiblesse des exportations et manque de finances obligent, les commandes chinoises d'acier, de métal et autres matières reculent. La crise touche désormais les cols blancs, qui craignent pour leur emploi et réduisent leurs dépenses, tandis que les travailleurs migrants, frappés par les fermetures d'usines et l'abandon de programmes de construction commencent à rentrer dans leurs campagnes. La demande étrangère est en baisse de 30%, les usines ferment et des milliers d'ouvriers se trouvent au chômage … G. H.