Depuis des annés, les pays africains sont encouragés à «sortir de la pauvreté par les échanges» en exportant plus au niveau international. L'Union européenne (UE) a ainsi suspendu ou réduit depuis plusieurs dizaines d'années les droits de douane sur les exportations de certains pays pauvres, ce qui, au moins sur le papier, facilite l'entrée de leurs produits sur le marché européen. Une partie de ces accords de Cotonou est devenue caduque à la fin 2007. Depuis 2002, l'UE et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) s'employaient à négocier leur remplacement par des accords de partenariat économique (APE), mais les progrès étaient lents et en novembre dernier certains des 14 pays membres de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ont abandonné leur position commune pour signer individuellement de nouveaux APE «intérimaires». D'autres pays ont rompu avec la SADC pour se joindre à d'autres groupes économiques régionaux en pourparlers séparés avec l'UE. D'autres ont refusé de signer. «Ces APE intérimaires auront pour conséquence durable de porter certainement le coup de grâce aux timides efforts d'intégration économique régionale en Afrique. A l'exception de la Communauté de l'Afrique de l'Est, dont les membres ont tous signé ensemble, tous les autres groupes régionaux africains du sous-continent se sont désagrégés», affirme Peter Draper, du South African Institute of International Affairs (SAIIA) de Johannesburg. Dans un rapport à la réunion de haut niveau du 22 septembre consacrée aux besoins de développement de l'Afrique, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a également dénoncé les accords intérimaires. Estimant que les pays signataires ont négocié ces accords un à un, «sans prêter une attention particulière aux communautés économiques régionales en place ; ce type d'accord ralentira, voire fera dérailler les efforts d'intégration régionale du continent», affirme M. Ban. Clauses commerciales contestées L'UE et les pays ACP maintenaient depuis 1975 un certain nombre de clauses spéciales sur les échanges et la coopération par lesquelles l'UE octroyait des conditions commerciales préférentielles, une aide et une assistance technique aux pays ACP. Ces préférences ont été jugées incompatibles avec les dispositions sur le commerce mondial entrées en vigueur en 1995 avec la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Celle-ci a demandé un réaménagement des relations entre l'UE et les pays ACP, déclenchant les négociations sur les APE. L'UE a décidé de ne pas négocier dans le cadre des groupes économiques régionaux existants, établissant plutôt des blocs de négociation séparés. Cette décision, conjuguée au refus de certains pays de signer des accords intérimaires, a rendu difficile l'harmonisation des tarifs douaniers et autres politiques des échanges au niveau régional et international. L'inclusion des pays les moins avancés (PMA) n'a pas arrangé la situation, étant donné que l'UE autorise l'accès en franchise de tout un éventail de biens provenant des PMA. De nombreux pays n'appartenant pas à ce groupe avaient toutefois également profité de ces termes commerciaux préférentiels dont ils ont été privés fin 2007. Les deux parties ne sont pas parvenues à un accord à la date fixée, la plupart des gouvernements africains, des organisations de la société civile, des syndicats et des experts commerciaux ayant manifesté leur opposition aux APE. Seuls 18 pays africains avaient paraphé ces accords à la fin de 2007, huit appartenant aux PAM. Ayant déjà accès en franchise aux marchés de l'UE, ces derniers n'avaient aucune raison pressante de signer ces accords intérimaires. Certains ont évoqué des pressions politiques et économiques exercées sur ces pays pour les persuader de signer. Le Président du Malawi, Bingu wa Mutharika, est allé jusqu'à accuser l'UE d'«impérialisme», affirmant que l'Union européenne pourrait sanctionner la réticence de certains pays à signer en les menaçant de suspendre le financement de leur aide. Accusation fermement démentie par Alessandro Mariani, chef de la délégation de l'UE au Malawi. «Subversion» et déséquilibres Aziz Pahat, ancien ministre adjoint aux Affaires étrangères de l'Afrique du Sud, déplore pour sa part l'effet «subversif» des négociations APE sur les initiatives d'intégration régionale du continent. A son avis, ces pourparlers ont provoqué l'apparition de «fractures profondes» à l'intérieur même de la SADC. L'Afrique du Sud, l'Angola et la Namibie ont exprimé leurs préoccupations devant les déséquilibres des concessions commerciales contenues dans les accords intérimaires. La Communauté de développement de l'Afrique centrale compte 14 membres. Deux d'entre eux, la République démocratique du Congo et la Tanzanie, ont participé aux pourparlers sur les APE comme membres d'autres groupes de négociation. Parmi les autres membres de la SADC, quatre pays –le Swaziland, le Mozambique, le Botswana et le Lesotho–, ont paraphé les accords intérimaires. L'Angola, la Namibie et l'Afrique du Sud ont refusé de signer, affirmant que les accords entravaient la réalisation de leurs objectifs de développement économique à long terme. Il est aussi entendu que les signataires négocieront éventuellement la libéralisation des services, des investissements et la passation des marchés publics. L'Afrique du Sud a quitté les négociations quand l'UE lui a demandé de libéraliser ses services, notamment en ouvrant son secteur bancaire. Elle a également exprimé son désaccord concernant une disposition engageant les pays signataires de la SADC à accorder à l'UE les mêmes concessions qu'ils consentiront à d'autres pays dans le cadre d'accords commerciaux futurs. Certains pays africains et certaines organisations non gouvernementales préconisent une réouverture des négociations sur les points les plus controversés des accords intérimaires. «Ces accords ont été conclus à la hâte, sans donner le temps suffisant aux pays signataires d'examiner attentivement toutes les conséquences possibles de leur adoption», affirme Oxfam. Pour sa part, l'UE refuse d'envisager leur renégociation. Une réunion de haut niveau sur les APE convoquée au début de 2008 par le secrétariat du Commonwealth au Cap (Afrique du Sud) a affirmé que les pays signataires des APE sont en droit d'exiger une réouverture des négociations pour s'assurer que les accords correspondent aux programmes et aspirations de développement national et régional. Des négociations commerciales bloquées à l'OMC et une économie mondiale en crise incitent l'Afrique à obtenir un accord régional véritablement adapté à ses besoins. G. M. In Afrique Renouveau, une publication de l'ONU