«Le monde se divise en trois catégories de gens: un très petit nombre qui fait se produire les évènements, un groupe un peu plus important qui veille à leur exécution et les regarde s'accomplir, et enfin une vaste majorité qui ne sait jamais ce qui s'est produit en réalité.» Nicolas Mauray Butler. Après neuf jours de discussions, les négociations sur la libéralisation des échanges commerciaux au niveau mondial se sont finalement achevées, mardi 29 juillet à Genève, sans accord. Pour Pascal Lamy, directeur général de l'OMC: «Cette réunion est un échec.» Le but de la réunion de Genève était de trouver un terrain d'entente sur la baisse des subventions agricoles et des droits de douane sur les produits agricoles et industriels. Le cycle de Doha, qui aurait dû s'achever en 2004, avait déjà connu un échec en septembre 2003 lors de la conférence de Cancun, au Mexique, qui s'était transformée en affrontement Nord-Sud autour de la question agricole. Même au sein de l'Union européenne, il y a cacophonie: «A l'OMC, cet accord qui est sur la table, s'il n'est pas modifié, nous ne le signerons pas», a déclaré Nicolas Sarkozy. Le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, répond: «La Commission [européenne] est chargée de négocier ici à l'OMC au nom de tous les Etats membres. Nous continuerons ainsi sur la base du mandat que nous avons.» L'Organisation mondiale du commerce (OMC, ou World Trade Organization, WTO) est une organisation internationale qui s'occupe des règles régissant le commerce international entre les pays. Au coeur de l'organisation se trouvent les Accords de l'OMC, négociés et signés (à Marrakech) par la majeure partie des puissances commerciales du monde et ratifiés par leurs Parlements. Le but est d'aider, par la réduction d'obstacles au libre-échange, les producteurs de marchandises et de services, les exportateurs et les importateurs à mener leurs activités. L'OMC s'occupe du commerce des marchandises des services et de la propriété intellectuelle (les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)). Ce dernier créneau est dangereux car pour l'OMC, l'éducation et la santé sont des produits marchands et de plus, rien n'interdit la marchandisation du brevet. De ce fait, depuis la fin des années 1990, l'OMC a été l'objet de critiques de la part des mouvements altermondialistes. Certains contestent aussi le caractère démocratique de l'OMC en avançant que son mode de fonctionnement favorise les pays riches, capables de mener de front des dizaines de dossiers simultanés. Les décisions se prenant en suivant le principe du: «Qui ne dit mot consent», les petits pays qui ne disposent que d'un seul représentant pour gérer tous les dossiers seraient donc, la plupart du temps consentants, malgré eux. Les altermondialistes accusent l'OMC de promouvoir le néolibéralisme et une mondialisation discriminatoire. Ils mettent en débat la nécessité de remettre le commerce à, ce qu'ils considèrent, sa juste place en obligeant l'OMC à mieux coordonner ses décisions à d'autres aspects du droit international via son rattachement à l'ONU. Joseph E.Stiglitz, prix Nobel d'économie voit dans l'OMC une organisation développant les principes du mercantilisme commercial et dénaturant profondément ceux du libre-échange. Pourquoi l'échec de Genève? Les négociations ont achoppé sur le refus des pays riches, Etats-Unis, Europe et Japon notamment, de réduire substantiellement leurs subventions de plus de 400 milliards USD par an à leurs agriculteurs. Ces trois puissances se heurtent aux demandes de plus d'une centaine de pays pauvres, ralliés derrière l'Inde, le Brésil, la Chine et l'Afrique du Sud, pour ouvrir leurs marchés aux produits et services. M.Nath s'en est pris lundi aux Etats-Unis en affirmant que Washington «veut obtenir deux fois le montant des subventions accordées actuellement. Ils disent: nous voulons avoir le droit de doubler nos subventions et nous ne les triplerons pas. Que donnez-vous en échange?» Quant aux Chinois, ils ont réclamé une forte réduction, voire l'élimination des subventions américaines sur le coton qui «ont provoqué des torts importants pour les producteurs de coton dans les pays en développement, en Afrique et pour quelque 150 millions d'entre eux en Chine», selon les termes employés par l'ambassadeur chinois auprès de l'OMC, Sun Zhenyu. Pour rappel, le cycle de Doha a été lancé par les ministres des pays membres de l'OMC, en novembre 2001, dans la capitale du Qatar et a été suivi de plusieurs autres rencontres: En 2003 à Cancún: Les pourparlers se sont concentrés sur la définition des objectifs du cycle mais un accord n'a pu être trouvé en raison de la division Nord-Sud sur les questions agricoles. En 2004 à Genève: les membres de l'OMC se sont mis d'accord sur un cadre de négociations. Les pays en développement ont consenti à réduire leurs droits de douane sur les produits manufacturiers, avec cependant le droit de protéger leurs industries clés. En juillet 2006, à Genève, les négociations de la dernière chance n'ont pas permis de trouver un accord sur la baisse des subventions agricoles et sur la réduction des droits de douane. Le directeur de l'OMC, Pascal Lamy, a donc officiellement suspendu le cycle de Doha. Bien que l'agriculture ne représente que 8% du commerce mondial, il s'agit de la principale source de revenus d'environ 2,5 milliards de personnes, surtout dans les pays en développement. Cependant, les agriculteurs des pays pauvres sont incapables de concurrencer les exportations fortement subventionnées en provenance de l'UE, des Etats-Unis et du Japon. L'UE a décidé de réduire l'ensemble des subventions ayant des effets de distorsion des échanges (OTDS) de 75%, comme le demandaient les pays en développement. Le niveau des OTDS européennes serait donc passé de 58,1 milliards d'euros en 2004 à environ 28 milliards d'euros. Les Etats-Unis ont, quant à eux, proposé de réduire leurs OTDS de 53%, ce qui aurait ramené le niveau des dépenses autorisées par l'OMC dans ce domaine à environ 22,7 milliards (contre 48,2 milliards). Cependant, l'UE et le G20 craignent que cela ne mène en fait à une hausse des subventions agricoles des Etats-Unis car ces derniers n'ont dépensé que 19,7 milliards d'euros en subventions de ce type en 2005. Ils ont donc demandé une baisse allant de 60% (proposition de l'UE) à 75% (proposition du G20), mais les Etats-Unis ont refusé de céder. La question de l'accès au marché des produits non agricoles (NAMA) a été mise sur la table par les Etats-Unis et l'UE qui cherchaient à obtenir un accès aux énormes marchés des économies émergentes telles que la Chine et le Brésil. Dans le même temps, les pays en développement souhaitaient protéger leurs industries naissantes et maintenir leur accès privilégié aux marchés des pays riches. S'agissant des services, un accord ambitieux sur leur libéralisation était dans l'intérêt de l'UE qui réalise 75% de son commerce dans ce domaine. Les échanges accrus dans ce domaine contribueraient également à atteindre les objectifs pour le développement car les transports, les technologies de l'information et des télécommunications ainsi que, les secteurs de la banque et de l'assurance sont la pierre angulaire d'une économie en croissance. La Banque mondiale estime que les pays en développement pourraient augmenter leur revenu annuel de près de 900 milliards de dollars s'ils éliminaient leurs barrières douanières sur les services. Qui va le plus en souffrir? Pour Patrick Meserlin professeur à Sciences Po à Paris: «Les conséquences pour l'Union européenne d'un échec des négociations à l'OMC sont mineures A court terme, elles seraient mineures, sauf qu'il sera impossible de reprendre la moindre négociation avant deux ou trois ans, compte tenu des échéances électorales aux Etats-Unis comme dans l'Union européenne. Les perdants seraient tous les agriculteurs qui ne sont pas aidés par la politique agricole européenne.»(1) «Les industriels européens, eux, se croient peu concernés par une impasse, car ils se débrouillent très bien en profitant de deux décennies d'abaissement des droits de douane. Le droit de douane industriel moyen est de 7% dans 34 pays qui représentent 95% du commerce mondial. Ce qu'oublient nos industriels c'est que 24 pays et non des moindres, tels le Brésil, l'Inde, la Chine et l'Australie, n'ont pris aucun engagement de ne pas relever leurs droits de douane, à la différence de l'Union européenne ou des Etats-Unis. La guerre commerciale est une guerre comme une autre: personne ne la veut mais, un beau jour, tout le monde s'y met!» (1) «Les pays les plus pauvres souffriraient d'un échec. Pas la Chine ou l'Inde, qui ont la taille et les moyens de tirer leur épingle du jeu. En revanche, les petits pays émergents et les pays les moins avancés se retrouveraient aux prises avec des accords très inégalitaires voire, comme les accords de partenariat économique, ´´impérialistes´´, disons le mot. Notre refus d'abaisser les droits de douane très élevés que nous, Européens, maintenons sur un nombre limité de produits industriels comme le textile - très importants pour les pays en développement - aurait des conséquences géostratégiques: nous achèverions de perdre l'Afrique au profit de la Chine et du Brésil, autrement libéraux à son égard en matière douanière.» (1) Le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, ne dit pas autre chose quand il met en garde: «Si nous souhaitons envoyer un signal fort aux pays les plus pauvres, leur disant qu'ils auront une chance dans le XXIe siècle, il faudra que les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne fassent des concessions. Nous devons le leur faire comprendre ou il n'y aura pas d'accord.» Oxfam a pointé du doigt l'immense coût d'un autre retard, dans la mesure où les Etats-Unis et l'UE restent libres de subventionner leurs plus gros producteurs agricoles et de continuer leur dumping, alors que les pays en développement luttent toujours pour assurer leur survie des fermes de subsistance et leur accès aux riches marchés du Nord. D'autres ONG plus critiques à l'égard du libre-échange ont considéré l'arrêt des discussions comme une bonne nouvelle pour les pauvres et l'environnement, appelant les dirigeants du monde entier à saisir l'occasion de construire un «nouveau système commercial mondial reposant sur l'équité et la durabilité.» Aftab Alam Khan, responsable de la campagne commerciale ActionAid International, reste convaincu que tout accord se fera au détriment des pays en développement: «Quel que soit le cadre des nouvelles discussions, les pays en développement devront encore ouvrir tout grand leur économie, en échange de trois fois rien de la part des superpuissances commerciales.» Il a réitéré son appel aux pays pauvres, les enjoignant à «rester à l'écart des négociations et à ne pas signer sous la pression un accord final qui ne ferait que décimer des emplois et exacerber la pauvreté». Pour résoudre la crise alimentaire, l'OMC pousse vers toujours plus de libéralisation: de l'huile sur le feu! Pour La Via Campesina, un mouvement international qui coordonne des organisations de petits et moyens paysans: «Les politiques de l'OMC ont dérégulé les marchés alimentaires et agricoles. Elles ont conduit à une privatisation des services et des ressources naturelles et généré une bulle spéculative. En raison de cette spéculation sur l'alimentation, le nombre de personnes souffrant de malnutrition grave a atteint près d'un milliard de personnes. La crise mondiale actuelle est une conséquence directe de la libéralisation des marchés et des politiques alimentaires et agricoles. Ce n'est pas une crise de production, mais bien une crise des politiques. Il n'y a jamais eu autant d'aliments sur la planète, mais les inégalités de répartition des aliments ont été accentuées par l'augmentation des prix qui favorisent les multinationales. Pendant ce temps, les multinationales ont renforcé leur contrôle sur le marché des aliments, sur les secteurs de la production et de la distribution. Elles saisissent cette crise comme une opportunité pour augmenter leurs profits. Les consommateurs et les petits agriculteurs sont les grands perdants des politiques actuelles. Des prix plus hauts pour les consommateurs et des prix bas pour les paysans et paysannes provoquent la faim dans les campagnes et dans les villes L'alimentation n'est pas une marchandise! Nous défendons le droit de produire, de nourrir, et de manger!»(2) Que retenir en définitive? Il semble que l'architecture de la finance mondiale, mise en place en 1944 à Bretton Woods, a vécu. Le Fonds monétaire a parfois failli. La Banque mondiale voit son rôle amoindri. Quant à l'OMC, elle ne parvient pas à clore les négociations entamées à Doha en 2001 sur l'agriculture et les produits manufacturés La crise identitaire de la Banque mondiale ne fait que commencer. A en croire experts et responsables politiques, c'est même l'ensemble de l'architecture financière mondiale conçue après la Seconde Guerre mondiale qui ploie aujourd'hui sous le poids de la mondialisation, des conflits commerciaux et des ambitions des puissances économiques en devenir, en Asie et ailleurs.(3) Dans tout cela, où en est l'Algérie? Franchement, on n'en sait rien! Au vue de l'opacité de la gestion de ce dossier. Il est vrai que sur les 153 membres de l'OMC, plus de 140 l'ont été dans les premiers mois de la création de l'OMC en janvier 1995, c'est le cas des autres pays du Maghreb (Maroc, Tunisie, Mauritanie...) Il n'y avait alors pas autant de contraintes de négociations, il fallait légitimer l'OMC sans trop regarder si les pays demandeurs remplissaient les conditions. L'Algérie est candidate depuis 1987, elle se rapproche du record de la Turquie qui frappe à la porte de l'Union européenne depuis près d'un demi-siècle. L'Algérie, qui peine à se positionner, a déjà un avant-goût de l'OMC avec l'accord avec l'Union européenne, véritable marché de dupes, négocié dans des conditions difficiles pour l'Algérie mais qui ne saurait durer. On ne voit pas pourquoi «le maillon fort» de l'Algérie qui n'a rien d'autre à vendre, mis à part ses hydrocarbures, ne figure pas dans l'accord! 1.Patrick Meserlin «Les pays les plus pauvres souffriraient d'un échec» Le Monde 28/06/2008 2. Un charlatan et ses faux remèdes: Communiqué de La Via Campesina sur l´OMC - Genève, juillet 2008. 3. FMI, OMC, BM: Malades de la mondialisation, Courrier international n°873, 26 juil. 2007.