Photo : Riad De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani «Nous sommes au beau milieu de la pire crise financière depuis les années 1930, L'aspect remarquable de cette crise, c'est qu'elle n'a pas été causée par un choc externe comme la hausse du pétrole par l'Opep […] La crise a été générée par le système financier lui-même», dixit George Soros, un des sorciers de la finance internationale. C'est dire la profondeur d'une crise prise dans un cercle vicieux d'où il est difficile de sortir et, selon des spécialistes, les milliards injectés par les Etats ne peuvent, à eux seuls, en venir à bout. Cette crise est faite pour durer et il faudrait plus tard penser à une refonte de tout le système financier. Aujourd'hui, aux Etats-Unis, l'effet boule de neige engendré par les subprimes a terrassé les plus grosses entreprises internationales qui ont toutes adopté des plans de sauvetage et demandé l'intervention des gouvernements en place pour résister à ce «tsunami» économique qui a tout détruit sur son passage. Les petites entreprises, elles, ont été emportées comme des fétus de paille et ont dû mettre la clé sous le paillasson en attendant des jours meilleurs, qui, vraisemblablement, mettront beaucoup de temps à venir, au vu de l'ampleur de la crise. Les suppressions d'emplois dans tous les secteurs d'activité à travers le monde ne se comptent plus, les syndicats ouvriers essayent de limiter les dégâts en tentant de réduire ces compressions, tout en sachant que celles-ci sont inéluctables même si on les repousse de quelques mois. Ainsi, aux États-Unis, ArcelorMittal, le géant de la sidérurgie mondiale pourrait supprimer 2 444 emplois dès le mois de janvier prochain dans son usine de Burns Harbour (Indiana), le syndicat des métallurgistes (United Steel Workers) a été informé de cette mesure considérée comme drastique parce qu'étant la plus forte suppression d'emplois depuis le début de la crise. En effet, ce sont pas moins de 16% des effectifs du groupe qui vont être mis au chômage aux Etats-Unis, une décision radicale du groupe qui a «participé» avec d'autres à l'augmentation du nombre de demandeurs d'indemnisations au chômage, qui est passé en l'espace d'une semaine de 515 000 à 542 000. Réduction de 3% de la main-d'œuvre dans 60 pays ArcelorMittal, qui, initialement, comptait réduire sa production de 15%, l'a revue à la «hausse». Elle est aujourd'hui de l'ordre de 35%. L'explication donnée par le groupe se rapporte à l'environnement économique extraordinaire auquel celui-ci est confronté. Effectivement, la baisse des commandes dans les secteurs de l'automobile et du bâtiment a donné lieu à une offre trop importante, générée par des surcapacités qu'il fallait à tout prix éliminer et donc, la fermeture de certains hauts fourneaux et de sites de production s'est imposée de fait. Pour faire face à la crise, le premier producteur mondial d'acier compte réduire ses effectifs de près de 3% dans les 60 pays où il est implanté, à savoir 9 000 travailleurs sur les 326 000 qu'il emploie. Le groupe a réuni hier au Luxembourg son comité d'entreprise européen pour proposer des plans visant à économiser 1 milliard de dollars pour diminuer les coûts de production et arriver ainsi à un prix de revient qui pourrait booster les ventes. Ces plans prévoient des départs volontaires qui seront répartis sur l'ensemble du groupe et toucheront principalement les employés affectés à la vente, aux services généraux ainsi que ceux administratifs. Bernard Fontana, vice-président exécutif et membre du comité exécutif d'ArcelorMittal a déclaré que cela avait été une décision très difficile à prendre et que, malheureusement, la réalité économique fait qu'il est nécessaire d'adopter de telles mesures. Cela n'a pas du tout convaincu la Fédération européenne des métallurgistes, qui a dénoncé ces mesures, accusant le groupe ArcelorMittal de profiter de la crise pour faire passer ses plans de restructuration sans justification. Elle a jugé «inacceptable» la suppression de6 000 emplois en Europe puisque, selon elle, ArcelorMittal n'est pas en crise et a engrangé, sur les 9 premiers mois de l'année 2008, 8 milliards d'euros de bénéfice. Les producteurs de fer, eux, sont moins touchés parce que se situant en amont, à part le gel d'embauche au niveau de la compagnie, la situation demeure stable. Au Canada, en Ontario (Québec), l'objectif de 75% d'autosuffisance en minerai de fer est maintenu. Actuellement le groupe en est à 50%. ArcelorMittal Annaba : c'est toujours le flou En Algérie, au complexe sidérurgique du groupe ArcelorMittal, implanté à El Hadjar (Annaba), la situation n'est pas claire. Les 6 000 travailleurs ne savent pas exactement dans quelle mesure ils sont concernés par les décisions annoncées. Le flou est maintenu et savamment entretenu. La direction, avare en déclarations, ne veut pas donner la moindre information et les assurances données aux travailleurs ne convainquent plus personne. En l'absence d'une communication claire et crédible, la rumeur a pris le relais et fait actuellement des ravages dans les milieux ouvriers. On parle de départs volontaires et de licenciements qui interviendraient au premier trimestre 2009. L'impact économique et social serait désastreux pour toute la région puisque les villes et wilayas limitrophes sont elles aussi concernées ; presque tous les secteurs d'activité seront touchés si cela s'avérait. Les mesures prises récemment de suspendre une vingtaine d'entreprises travaillant dans le cadre de la sous-traitance ainsi que l'affectation des travaux de maintenance et d'entretien aux ouvriers du complexe ne sont, selon certaines informations, que les signes avant-coureurs d'une suppression d'effectifs à laquelle le complexe ne peut échapper, étant, lui aussi, à l'instar des sites européens et américains, concerné par les plans décidés par les responsables d'ArcelorMittal. Certains ouvriers que nous avons rencontrés nous ont fait part de leur inquiétude quant à la perte de leur emploi : «Je croyais que nous étions définitivement à l'abri après les derniers départs volontaires et les départs à la retraite anticipée au début de l'année, maintenant, avec ce qui se passe et les rumeurs qui circulent, je ne suis pas du tout rassuré et chaque jour qui passe, j'apprends par les médias des suppressions d'emplois au sein du groupe à travers le monde ; j'ai vraiment peur, j'ai 3 enfants…», nous confie l'un d'entre eux. Un autre nous dira que le moral des ouvriers est très bas et qu'au niveau du complexe, la crainte de se voir licencié du jour au lendemain est très présente. «On essaye de faire avec, malgré tout», nous lance-t-il. Il faut dire que rien n'est sûr au complexe, on continue cependant à produire ; le business-plan mis en place ne sera pas atteint parce que, tout simplement, certaines installations détruites suite à des incidents (explosions, incendies et autres) ne sont pas encore opérationnelles et sont en cours de réparation ou de rénovation. La production est donc réduite de fait. Mais cela ne règle pas pour autant le problème posé. Les patrons du groupe tiennent, comme le soutient la Fédération européenne des métallurgistes (FED), à cette restructuration qu'ils veulent faire passer sous le couvert de la crise. Aucun démenti n'est venu rassurer les milliers de travailleurs du complexe qui restent attentifs à toute déclaration ou information qui pourrait les fixer sur leur sort. Aujourd'hui, la situation à l'usine n'est guère reluisante, d'un côté des travailleurs qui ont peur pour leur emploi, de l'autre une direction qui ne veut pas communiquer et un syndicat qui adopte un profil bas tout en essayant de «sauver les meubles»