«Non, pour nous il n'y a rien d'ennuyeux en été. Bien au contraire c'est la saison qui nous permet d'avoir des projets, de voir la vie en moins morose. Il y a les soirées interminables, les virées à n'importe quel instant vers la plage. Quoiqu'il en soit, de juin à septembre, nous rechargeons nos accus quelles que soient la conjoncture. Cette année encore, il va y avoir le mois de Ramadhan qui apportera quelque part une touche…d'inhabituel.» Deux jours après notre rencontre avec ce groupe de cinq amis, l'un d'eux nous téléphonera pour nous annoncer une initiative qu'ils viennent de lancer et qui semble avoir le vent en poupe. «Nous avons choisi de procéder à un assainissement des lieux complets de la cité où nous résidons et il n'est pas exclu que nous étendions cette action à d'autres quartiers si nous trouvons des mains tendues», expliquera Farid au téléphone. Qu'il s'agisse du chef-lieu de commune de Constantine et/ou des onze autres, les jours se suivent et se ressemblent pour toute la population, qu'il s'agisse de jeunes ou moins jeunes, mais à la seule différence cependant que la femme n'est pas logée à la même enseigne quoi que les temps ont nettement changé pour elle en termes de libération sociale puisque dans certaines villes comme la nouvelle ville Ali-Mendjeli et, plus particulièrement, au Khroub la gent féminine est autant présente dans les rues que les hommes, notamment de nuit. Cet été, avec le feu nourri de foyers d'animation décidé par les pouvoirs publics locaux, fournira sans doute plus d'opportunités et un alibi certain aux sorties familiales. Un alibi dans la mesure où les «sortantes» vont certainement préférer prendre l'air aux alentours des scènes affectées aux divertissements lesquels, serait-il juste de le souligner, resteront bien loin de l'impératif de qualité. Si le commerce de nuit, qu'il soit organisé ou ponctuel et improvisé, aura à y gagner, il est moins évident pour certains autres comme les cafés sans terrasses, les cybercafés, les pizzerias de retrouver l'affluence habituelle. Les grappes de personnes optant pour les marchands de glaces et sorbets. Dans cet univers qui serait plutôt étrange à un regard… étranger, autant souligner qu'il se trouve des réfractaires aux rassemblements grégaires ou encore des agoraphobes qui choisiront alors de prendre comme éclairage de chevet tous les lampadaires disponibles pour s'attaquer à leur partie de rami, de belote et surtout d'un jeu très en vogue, en l'occurrence le domino. Parties passionnées et files d'attente de joueurs de remplacement, il s'agit là d'une réalité sociale qui prend de l'ampleur et la vision de groupes agglutinés, aperçus de loin, à la base d'un poteau éclairant a quelque chose de surréaliste et qui ferait pour la postérité le bonheur de tout artiste averti et un argumentaire sociologique pour n'importe quel professionnel digne de ce nom. «Chaque saison estivale, nous faisons le bénéfice d'une deuxième vie», soutiendront des jeunes du quartier où nous résidons. «Habituellement stressé pour ne pas dire à la limite de la parano depuis que j'ai terminé mes études à l'université, l'été m'aide à sortir la tête de l'eau même si sur le plan social il n'y aucun changement qui s'y soit prêté (comprendre un emploi. Ndlr) à l'exception de petits extras et à la débrouille», dira avec le sourire Mimine, boute-en-train incontesté de la cité qui ajoutera toutefois, non sans réalité déchirante : «J'ai de la peine, surtout pour mes parents parce qu'ils ont de la peine de ne pas me voir occupé sérieusement depuis que j'ai terminé mes études, que les années passent, qu'eux ils vieillissent d'année en année et que moi également j'avance en âge.» Il y a enfin les désabusés, ceux qui ne croient plus en rien. Lyes l'un d'eux, d'un trait mal assuré, s'est fait tatouer sur la poitrine «No future» et pour confirmer ce douloureux stigmate lancera : «Comme vous nous voyez ici nous sommes les clandestins de la vie. Notre devise c'est sun… sun… sun. Ce qui est bien loin du slogan touristique réel.» Cet été ressemble à celui de l'année passée comme il ressemblera à celui de la prochaine. A. L.