Les réformes structurelles, vues en France comme une obligation imposée d'ailleurs, sont très structurellement la seule stratégie politique pour retrouver la croissance. «La fin du tunnel» est la promesse favorite des dirigeants politiques. Depuis 1973 et les chocs pétroliers, qui ont renvoyé la belle croissance des Trente Glorieuses aux manuels d'histoire, tous les gouvernements se sont livrés au rituel «le pire est passé». En général, ils croient à leur prophétie. Il ne peut en être autrement : la lumière au bout du tunnel viendra, et elle viendra forcément avant l'heure électorale. François Hollande est de ceux-là. Le chef de l'Etat pense que la croissance remontera inéluctablement comme la mer revient toujours dans le port pour mettre à flot tous les bateaux. Le fameux «cycle», n'est-ce pas ? Son programme électoral tablait sur 1,7% de croissance en 2013, 2% en 2014 et ensuite 2% à 2,5% par an, par retour à la tendance de précrise (le PIB a crû en moyenne de 2,2% de 1995 à 2007). L'attente du chef de l'Etat s'est déjà chargée de frustrations : 2013, au lieu de voir redécoller la France, l'a mise dans la récession. L'an prochain s'annonce positif, certes, mais bien peu : le gouvernement table sur un chiffre officiel de croissance de 1,2% du PIB, la Commission européenne prévoit seulement 1,1%, le FMI avance 0,9% et le consensus des économistes un tout petit 0,7%. Mais il faut pousser le diagnostic au-delà de 2014. L'économie n'est pas la mer qui va et vient. Tout laisse penser que, en l'état actuel, la croissance française est cassée pour longtemps. Ce pour trois séries de raisons françaises et internationales. La crise d'abord. Elle a été d'une violence inouïe (plus dure que 1929, au départ) et elle dure depuis cinq ans. Elle a conduit dans tous les pays développés à «une contraction massive des potentiels de croissance», résume Laurence Boone, chef économiste en charge de l'Europe chez Bank of America Merrill Lynch. Des entreprises ont fait faillite, en particulier dans l'industrie, et les entreprises qui survivent ont, dans l'ensemble, beaucoup réduit leurs investissements. Total : la croissance se retrouve à un niveau nettement plus bas que sa tendance d'hier, elle a été amputée de 10 points, selon Patrick Artus, chef économiste de Natixis. Avant de retrouver le rythme d'avant-crise, il faut accélérer pour remonter ce cap. Or, deuxième raison, beaucoup de freins sont mis. La politique budgétaire est devenue, partout, restrictive. Un autre moteur, l'investissement privé, est lui aussi à l'arrêt, voire bloqué en marche arrière. L'amélioration des marges des entreprises est le préalable à leur confiance dans l'avenir, hélas, elles continuent de se dégrader. Quant à la consommation, le troisième moteur, elle va subir les chocs négatifs des réformes structurelles et des ajustements budgétaires, comme le souligne Patrick Artus. Et, plus globalement, les salaires sont durablement sous pression. Résultat, conclut Laurence Boone, la France se classe plutôt parmi les pays méditerranéens pour lesquels il n'y a pas beaucoup de chances que le PIB réel rattrape le retard qu'il a accumulé pendant la crise depuis 2008. La troisième raison est fondamentale et plus inquiétante encore. La croissance de la France, comme de tous les autres pays, est plus ou moins en retard par rapport à la tendance antérieure, comme on vient de le voir. Mais cette tendance elle-même, nommée «croissance potentielle», est égale à la multiplication de deux facteurs : la croissance du nombre d'heures travaillées par la population, multipliée par la croissance de la productivité horaire. L'examen du premier facteur ne laisse pas beaucoup de possibilités. Comme l'explique Gilbert Cette, professeur associé à l'université d'Aix-Marseille-II, il faut remonter le taux d'emploi des sous-employés en France : les seniors, les jeunes et les non-qualifiés. Les précédentes réformes des retraites ont eu déjà un effet remarquable puisque seuls 29% des plus de 55 ans étaient encore au travail en 1995, ils sont 41% aujourd'hui. Pour les jeunes, grave sujet de débat aujourd'hui, il faudrait imaginer des cumuls originaux études/emploi. Pour les non-qualifiés, tout dépendra de la réforme de l'éducation et de la formation permanente. Mais c'est l'autre facteur, la productivité, qui apporte du neuf. Dans une étude inédite qui va faire beaucoup de bruit, Gilbert Cette montre que les gains de productivité sont en déclin dans le monde développé. Il y a en cours un phénomène structurel fondamental qui serait dû à un épuisement de la révolution numérique. Ce constat va contre le sens commun, l'Internet a envahi nos vies. Mais les statistiques collectées par Gilbert Cette sont imparables : la productivité (dite productivité totale des facteurs) aux Etats-Unis, pays de référence en technologie, est passée d'un rythme de 1,82% l'an de 1995 à 2004, à 0,46% l'an, depuis. En France, elle est même devenue négative ! Pourquoi ? La célèbre loi de Moore (doublement des capacités des puces tous les dix-huit mois) bute sur un prix devenu exorbitant. «On est dans un creux technologique», avance l'auteur, qui pense qu'une nouvelle génération viendra dans cinq-dix ans qui fera rebondir les productivités. La conséquence est fracassante : le monde ne reviendra pas aux belles années d'avant-crise. La France, qui n'a pas la même productivité en niveau que les Etats-Unis, a une issue : profiter d'un rattrapage en facilitant la diffusion des nouvelles technologies, notamment dans les services. Elle a aussi un atout démographique. Mais le pari de Hollande est perdu, la reprise ne viendra plus «toute seule». Les réformes structurelles, vues en France comme une obligation imposée d'ailleurs, sont très structurellement la seule stratégie politique pour retrouver la croissance. Il n'y a pas de bout au tunnel, il faut en creuser entièrement un neuf. Cela prendra plus qu'un quinquennat. E. L-B. In slate.fr