Photo : Riad De notre correspondant à Oran Samir Ould Ali Près de quinze ans après son apparition à Oran, le transport privé continue d'évoluer dans une incroyable anarchie où le mépris de l'usager le dispute aux violations du code de la route. Lorsqu'au milieu des années 90 l'économie algérienne s'était ouverte au marché mondial, le transport urbain d'Oran avait été investi par un grand nombre de véhicules en tout genre et de tous types. Le secteur du transport urbain et suburbain était ainsi «offert» au privé pendant que les véhicules du public étaient remisés dans les parcs. Un véritable engouement était né ainsi chez tout particulier possédant un véhicule de transport de voyageurs : J-5 et J-9, conçus pour le transport de marchandises, voyaient soudain leur tôle déchirée pour s'orner de vitres et leur plancher percé pour recevoir d'inconfortables rangées de sièges. Au bout des quelques années qui précédèrent la ruée massive vers le transport, les premiers propriétaires purent gagner suffisamment d'argent pour non seulement remplacer leurs fourgons métamorphosés par de nouveaux véhicules mais aussi acquérir le droit de desservir d'autres lignes. Le filon était d'or et il fallait en profiter très vite. L'ouverture vers le privé était ainsi faite alors que la direction des transports d'Oran ne disposait ni d'une vision globale, ni des outils de régulation et encore moins d'un plan de transports étudié. Une vulgaire marchandise Aujourd'hui, Oran se retrouve littéralement noyée par les transporteurs urbains et suburbains qui activent dans un dangereux brouhaha, sous le regard d'autorités dépassées et qui ne savent plus comment agir. Du sureffectif dans certaines lignes (particulièrement le B qui lie l'est à l'ouest de la ville, et le 51 qui dessert la très commerçante M'dina J'dida), à l'absence de tout respect pour les usagers -au départ de chaque arrêt, certains chauffeurs et receveurs ont cette phrase avilissante «Fellah, sellaa, qallaa» (moissonne, charge ta marchandise et démarre), que l'on a ordinairement lorsqu'il s'agit de convoyer une vulgaire marchandise- en passant par les violations multiples et quotidiennes du code la route…, le secteur du transport provoque les imprécations des uns et le fatalisme des autres : «Où est le contrôle !!?» dénonce-t-on ici et là lorsque le déni du droit atteint son comble. Mais point de contrôle, hormis quelques policiers qui s'échinent à siffler les chauffeurs contrevenants en leur confisquant parfois leurs documents. Documents, on le devine, que les concernés ont tôt fait de récupérer par le biais de connaissances bien placées. Il y a quelques années pourtant, les autorités locales avaient fourni des efforts pour apporter un peu d'ordre dans ce secteur anarchique mais les commissions multisectorielles de contrôle qui avaient été installées ont eu tôt fait de disparaître, ne laissant que le goût amer d'un échec prématuré. Cette désorganisation totale a, bien entendu, laissé la porte ouverte à toutes les dérives, dont l'apparition de racketteurs qui, dans certains arrêts, perçoivent leur dîme au passage de chaque bus : «Pas tous, réagit un receveur exerçant sur la ligne 11 [reliant le centre-ville et l'est d'Oran]. Nous ne consentirons jamais à nous faire racketter.» Petit mensonge orgueilleux ou stricte vérité, il n'en demeure pas moins que les racketteurs continuent de brandir une main ferme au passage des transporteurs et de repartir satisfaits. Vous avez dit restructuration ? Depuis deux années pourtant, le transport public a enregistré avec une joie mêlée de scepticisme le retour de la Régie communale sous une autre dénomination : Entreprise de transport d'Oran (ETO). Revenant aux traditions des années 70 et 80, cette entreprise a mis en circulation des bus dont les chauffeurs et les receveurs sont vêtus de costumes bleus, la tête couverte d'une casquette reconnaissable. Avec eux, plus d'arrêts intempestifs à tout bout de rue, ni de montées-descentes par les deux accès : les arrêts sont identifiés et les usagers ne peuvent monter que par la seule porte arrière. Celles du milieu et de l'avant sont réservées à la descente. Ce qui n'a pas été pour déplaire à des usagers éreintés par l'anarchie régnante : «Là, au moins, on sent que nous sommes dans un bus. Il y a même les anciens tickets», commente-t-on avec un brin de nostalgie. Malheureusement, la réapparition de ces bus d'Etat n'a pas encore influé sur le comportement des transporteurs privés, qui continuent à s'en donner à cœur joie : excès de vitesse, conduite dangereuse et violations en tout genre du code de la route, tous les moyens sont bons pour griller la politesse aux confrères et les prendre de vitesse : «Je suis obligé de faire comme ça, explique un chauffeur, parce que j'ai, moi aussi, des enfants à faire vivre. Mon patron exige une certaine somme d'argent quotidiennement et je n'ai pas droit à la parole. C'est ça ou c'est la porte !» Alors, nouvelles mesures de restructuration font sourire ou suscitent des haussements d'épaules : «Pour le moment, nous n'avons reçu aucune information», se contente-t-on de répondre parmi les opérateurs privés. «Pourvu que ce soit vrai, espère-t-on parmi les usagers. Ce serait vraiment une bonne chose !» Jusqu'ici, le transport urbain et suburbain d'Oran n'a pas opéré sa mue et continue d'évoluer selon le bon vouloir des opérateurs et constamment au détriment de l'usager : la propreté laisse toujours à désirer dans la majorité des cas, les tickets ne sont pas toujours disponibles, les attentes dans les arrêts sont incontournables et interminables…. Bref, il n'y a rien de nouveau sous le ciel gris de l'hiver oranais.