Photo : Samir Ould Ali De notre correspondant à Oran Samir Ould Ali La nuit de mercredi à jeudi restera à jamais gravée dans la mémoire oranaise. Jamais la ville n'avait connu pareil bonheur, ni les Oranais de tels sentiments de plénitude et d'épanouissement. Que l'on aime le football ou non, que l'on soit jeune ou vieux, homme ou femme, travailleur ou chômeur, islamiste ou communiste, hamraoui ou asémiste, flic ou voyou … la victoire de l'équipe nationale sur l'adversaire égyptien a eu raison de toutes les différences, de tous les antagonismes et, le temps d'une nuit, réussi à mettre d'accord tous les Oranais. Le temps d'une nuit, toutes les barrières furent abolies, les inhibitions anéanties et les Oranais sortirent dans la rue fêter leur fierté retrouvée et leur honneur lavé des humiliations cairotes. Bloquée à la circulation, la rue accueillit la plus grande fête de toute l'histoire de la cité : des milliers de drapeaux de toutes les dimensions, que des mains plus ou moins habiles ont cousus fébrilement, flottèrent partout, des milliers de visages tricolorés sourirent pour la postérité aux centaines d'appareils photo et de téléphones portables, les toits des voitures et fourgonnettes plièrent sous le poids du nombre comme les camions et cars indiens croulent sous la surcharge des voyageurs, haut-parleurs et enceintes diffusèrent des hymnes à la gloire de Saadane et de ses lions. Les flammes et les feux d'artifice illuminèrent la chaude nuit étoilée… et surtout, surtout, le temps d'une nuit, les Oranais vécurent dans une communion rare, que la plupart n'avaient, sans doute, jamais connue. «Cette atmosphère me rappelle l'indépendance, se souvient une dame de 62 ans, les yeux brillants. A l'époque, je devais avoir 14 ans et je portais une robe verte, un chemisier blanc et une cravate rouge. Je me souviens particulièrement des nombreux drapeaux qui flottaient dans le ciel et de la joie qui illuminaient les visages. Jusqu'à cette nuit, je ne crois pas avoir vécu ou vu pareil moment de joie pure chez autant de monde.» Et la fête eut lieu ! Jusqu'à huit heures le lendemain jeudi, Oran fêtait la victoire historique des Verts. Alors que la plupart des habitants rendirent les armes au milieu de la nuit, les gorges les plus résistantes continuèrent à hurler de joie et les voitures à sillonner les rues en klaxonnant à : «Nous avions juré de faire la fête !» avait crié, la veille, un groupe de jeunes en hurlant leur joie retrouvée. Une joie démultipliée par la cruelle déception du match perdu quatre jours plus tôt contre l'Egypte et de la fête annulée et, surtout, par l'humiliation ressentie lors des abominables agressions que les Algériens subirent au Caire. Quatre jours durant, les Algériens affûtèrent et préparèrent la fête, certains de remporter la rencontre d'appui parce qu'ayant lieu hors de l'Egypte, loin des pressions déloyales et des agressions physiques. «Au Soudan, c'est sur le terrain du football que se décidera l'issue du match. Et il ne fait aucun doute que nous gagnerons parce que les Verts sont beaucoup plus forts que les Pharaons», avaient assuré les milliers d'Oranais qui avaient investi les agences d'Air Algérie pour acheter le billet et aller supporter leur équipe à Khartoum. «Et puis, assurèrent certains ultras, s'il fallait qu'il y ait la castagne, nous sommes prêts.» Mais il n'y eut pas la castagne, il n'y eut que le football et, à ce jeu-là, les Verts démontrèrent qu'ils étaient les plus forts et qu'ils auraient certainement pu arracher leur qualification dès samedi, n'était le méprisable comportement antisportif des Egyptiens, que les instances internationales seraient bien inspirées d'examiner de plus près et avec plus d'impartialité. «Mais cela ne fait rien. Nous avons gagné et nous allons faire la fête jusqu'au bout de la nuit.» Et jusqu'au bout de la nuit, Oran, comme l'Algérie entière, vibra d'une joie trop longtemps contenue, trop longtemps interdite.