Avec ses lunettes de vieux professeur en forme de binocles, Tarek Oubrou est un imam iconoclaste. Recteur de la Grande mosquée de Bordeaux, il n'est plus invité comme avant par les grandes chaînes de télévision. Sa grande culture et une connaissance maîtrisée des sciences humaines font de lui un homme de religion dont la conduite est caractérisée par un certain détachement qui le place au-dessus des mêlées eschatologiques et des batailles de chiffonniers sur des aspects de l'islam qui ne méritent ni empoignades ni discussions byzantines. Il n'est pas étonnant qu'avec un tel profil, que d'aucuns taxeraient facilement de lisse, cet imam parfait intellectuel n'ait pas pignon sur rue dans les banlieues réputées chaudes et plus accueillantes pour les spécialistes du double discours genre Tarik Ramadhan. Tarek Oubrou n'a pas trouvé dans le Coran de verset qui rende obligatoire le port du voile et encore moins du niqab. Pour lui, la pratique religieuse sincère, en islam, est incompatible avec les comportements ostentatoires et l'exhibitionnisme par l'accoutrement. Et pourtant, c'est exactement ce type de comportement «embrigadiste» qui a mis le feu aux poudres, il y a une semaine, dans la ville de Trappes, dans le département des Yvelines, en région parisienne. Le fait que la femme et son mari à l'origine de l'incident avec les forces de l'ordre soient des Français de souche convertis à l'islam ne donne aucune signification particulière à l'événement. Disons, pour faire bref, que la femme en question, porteuse de voile intégral, a refusé de se soumettre à un contrôle d'identité (dévoiler son visage) en application de la loi, et rien d'autre. Voitures brûlées, commissariat assiégé, plusieurs nuits d'affrontements avec les forces de l'ordre…Il n'en fallait pas plus pour transformer cette ville de misère et de malvie en champ de bataille et cristalliser, un laps de temps, les affrontements culturels (devrait-on dire cultuels ?) et les contradictions qui traversent en la minant la société française. La réalité n'est pas réductible à une simple bipolarité de rejet mutuel. Quand les uns réclament le droit de s'habiller comme ils veulent ou d'organiser des prières sur la voie publique, ils excipent des principes de liberté et donnent leur propre sens à la laïcité française. Les plus actifs d'entre eux ne s'affichent pas comme de simples musulmans pratiquants. Ils revendiquent un certain islamisme militant, inscrit dans une solidarité internationaliste et ne font pas mystère de leur vocation à islamiser toutes les terres qui les accueillent, au nom de l'universalité de leur religion. Evidemment, ceux qui ne partagent pas leur conception des choses ou, mieux, la combattent, sont vus comme islamophobes. On l'a vu à Trappes, on l'a constaté à Brétigny, dans un département voisin où une catastrophe ferroviaire a donné lieu à quelques larcins qui indiqueraient une piste de jeunes banlieusards noirs ou maghrébins. Dans les deux cas les autorités ont fait l'effort de peser leurs mots. Elles savent que dans ces zones dites sensibles, l'embrasement se suffit de peu. Elles n'ignorent pas l'ampleur du mécontentement que ces banlieues explosives potentialisent. Une prochaine révolte aura lieu, c'est sûr, et avec la facilité de ce type d'insurrection à faire tâche d'huile, comme ce fut le cas en 2005 sous Sarkozy, le pouvoir français ne se retrouvera plus face à un simple problème de maintien de l'ordre public. Les barbus n'en seront pas, à eux seuls, la cause mais ils en seront des meneurs et des interlocuteurs de fait. Les réponses par l'emploi et la prise en charge sociale étant très limitées en l'absence d'une réelle croissance économique, le problème risque d'être aggravé par les urnes qui légitimeront le parti de Marine Le Pen comme deuxième force politique française. C'est une réalité, les problèmes économiques s'aggravant, la fille de son père ratisse large, elle attire de plus en plus d'électeurs qui ne se retrouvent plus dans les vieux partis de droite ou de gauche. Ces perspectives gravissimes et qui sont tout à fait du domaine du possible, et pour un proche avenir, doivent amener les musulmans de France à une sérieuse concertation sur la meilleure façon, pour eux, de vivre leur pratique ou leur appartenance religieuse dans une relation de coexistence qui leur sera la plus profitable. Ils ont à choisir entre le prosélytisme sournois de Tarik Ramadhan couplé au djihadisme criminel de Qaradhaoui, d'une part, et la voie de l'apaisement et du respect prônée par Tarek Oubrou. Un acteur inattendu pourrait être associé à cette réflexion. C'est ce commerçant de Saint-Denis, dans le 93, dont le magasin, visible du tramway, porte cette inscription sur fond rouge : «Boucherie musulmane imazighen». Pas de référence au «hallal» et pas de qualificatif islamique. Si ce commerçant a voulu délivrer un message, on peut dire qu'il est passé. A. S.