La situation politique en Egypte tend allégrement vers le pourrissement. La décision des militaires de destituer Mohamed Morsi prise avec le consentement voire l'encouragement tacite d'une nébuleuse composée de grands pans de la société civile égyptienne, semble avoir été mal calculée. Les conséquences sur le terrain, et la réaction coriace des Frères musulmans et aussi de ceux qui ont catégoriquement refusé le «coup d'Etat», auront finalement été faussement appréciées par les autorités militaires. Les Frères musulmans sont une composante importante de la société égyptienne. Penser les exclure de la vie politique au même titre que toute partie serait faire entrer le pays dans l'inconnu. D'un autre côté, le président Morsi aura, en une année de présidence, montré des signes négatifs envers l'opposition laïque et nationaliste. Cette dernière s'est sentie trahie par un président qu'elle a aidé à faire élire pour éviter, coûte que coûte, un retour d'un ponte du système en la personne d'Ahmad Chafik. Après avoir été élu, comme premier président civil de l'histoire du pays, Morsi s'est attelé à mettre des garde-fous pour préserver des champs de pouvoir répondant davantage à des soubassements idéologiques qu'à une saine construction d'institutions indépendantes. Les Frères n'ont pas résisté à la tentation autoritariste et du repli sur soi. Il est vrai que le système Moubarak était toujours là, tapi dans les rouages de l'administration, de la justice, de la police, des services publics et des médias. La suite des événements n'est pas pour rassurer. Les heurts entre l'armée et les partisans de Morsi font des victimes. Aujourd'hui des personnalités liées à la coalition au pouvoir dénoncent les violences policières. Le parti salafiste Al-Nour, qui a soutenu la destitution de Morsi évoque un «carnage» et demande des «poursuites contre les auteurs». Mohamed al-Baradei, vice-président et principale figure de l'opposition, a condamné «un usage excessif de la force» et a appelé «toutes les parties» à «rejeter la violence et à arrêter le bain de sang». Ces déclarations traduisent un malaise de plus en plus palpable chez l'ancien responsable de l'Aiea et de certains leaders du mouvement anti-Morsi. Tamarod, à l'origine de la mobilisation du 30 juin, a pour la première fois exprimé des réserves sur l'évolution de la transition politique. Le mouvement refuse de justifier les lois d'exceptions et les mesures contraires à la liberté et aux droits de l'Homme. «Nous n'accepterons jamais le retour de l'appareil de sécurité d'Etat de Moubarak.» Cette réaction ferme du mouvement d'opposition le plus en vue semble être une réponse aux déclarations du nouveau ministre de l'Intérieur, Mohamed Ibrahim, qui avait expliqué la flambée de violence par «la fermeture de certains services après le 25 janvier 2011 et une restructuration inadéquate de la police durant la phase Morsi». Le nouveau ministre de l'Intérieur annoncera même la réintégration de certains officiers écartés après la chute de Moubarak. Ce discours foncièrement contre-révolutionnaire et la réédition des bavures sanglantes laissent craindre un retour aux pratiques détestables de l'ancien régime. La «victoire» de Moubarak ? De sa prison, le président déchu Hosni Moubarak et ses fils doivent bien savourer une revanche en leur fort intérieur. Depuis la chute de celui qui a dirigé le pays près d'une quarantaine d'années, l'Egypte semble rentrée dans une phase d'instabilité chronique dont elle n'arrive plus à s'extirper. La révolution qui a explosé place Tahrir emportant dans son passage l'ancien système aurait-elle accouché d'une instabilité permanente ? La polarisation actuelle dans la rue égyptienne risque de mener à la rupture totale et brutale. Les images en provenance des différentes places du Caire sont inquiétantes et rien ne présage un retour au calme. La révolution qui a ouvert le champ de l'espoir en Egypte est plus que jamais en danger. Ce retour, de la façon la plus radicale, des militaires au devant de la scène n'augure rien de bon pour le futur du pays. D'un autre côté l'Egypte, dont le poids est manifeste dans un Monde Arabe en effervescence, pourrait être obligée de passer par des phases autrement plus complexes et périlleuses pour arriver à bon port. Même si la phase de transition actuelle s'est avérée plus cahoteuse que prévue. La sortie de la crise dantesque dans laquelle est bloqué le pays du Nil passe nécessairement par le dialogue, assorti d'élections législatives puis présidentielles. Scrutins qu'il faudrait organiser dans les plus brefs délais. Et remettre le pays sur les rails de la politique, la seule voie qui reste. M. B.