Lorsque Quincy Jones (compositeur, arrangeur et producteur) dirigeait en 1985 une pléiade de stars américaines de renommée mondiale, réunis au JFK Stadium de Philadelphie par Bob Geldof et Midge Ure pour chanter à l'unisson le refrain We are the world pour le concert Aid Africa, l'engagement a tonné à travers tout l'univers (un autre concert était organisé en simultané au Wembley Stadium à Londres tandis que d'autres concerts étaient organisés dans la même journée dans d'autres pays), comme un exemple de solidarité et de militantisme que seuls les artistes au «point d'orgue» de la cause altruiste, «unis par les liens sacrés du son», auront pu réaliser. Le relais sera repris plus tard par les Français. Sir Quincy, à la baguette harmonieuse «dépolitisée», aura non seulement arrangé les notes, mais il les a serrées au point de faire émerger la mélodie avec une âme «solidaire», charitable…C'est par-dessus tout la voie du secours amplifiée depuis les studios. L'Unicef a aussi coutume de faire appel aux artistes plasticiens du monde pour la réalisation de cartes de vœux dont le produit des ventes finance les actions de l'agence onusienne. D'autres artistes, ONG, associations et institutions utiliseront la culture pour médiatiser et/ou financer leurs actions d'aide. La similitude entre ce qui se fait dans le monde et l'Algérie est un peu démesurée, dirait le monde artistique local. La distance est grande entre l'Algérie et ces pays où la culture a sa place et les artistes leur statut. Et cela même si les artistes sont conscients de la capacité de rassemblement de leur art. L'art est porteur d'espoir, d'assistance et de communion s'il est exploité à bon escient. Pourtant, les récentes inondations qui ont affecté la wilaya de Ghardaïa n'ont pas fait bouger nos artistes, et c'est toujours la subvention étatique qui est sollicitée. Quel musicien interprète connu sur la scène locale aura multiplié ses apparitions in live pour verser la recette de ses spectacles aux zones sinistrées par le drame ? Rares sont les initiatives culturelles qui défendent une cause humanitaire ou même environnementale en Algérie. Les concerts d'aide et/ou de sensibilisation se comptent sur les doigts des mains. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter les programmes culturels et de regarder les affiches placardées sur les murs à longueur d'année. Aucune n'invite les citoyens à mettre la main à la poche pour aider les couches défavorisées de la société, fragilisées par la maladie ou la pauvreté. Les rares associations à caractère culturel se démènent pour survivre. Et quand elles activent, elles ne songent pas à sortir des sentiers battus pour élargir leurs rayons d'action. La scène artistique et culturelle vit au rythme de l'assistanat. Les principaux acteurs se soucient plus de leur propre carrière que du sort de leurs concitoyens. Leurs cachets sont négociés au centime près à chaque programme prédestiné. Devrions-nous pour autant blâmer l'artiste pour son absence des plateaux de solidarité ? La balle oscille entre les officiels et les acteurs. «On ne refuse jamais une initiative à caractère caritatif. Seulement, faudrait-il que les associations qui activent dans ce volet le fassent réellement sur le terrain, en dégageant un planning prédéfini sur les causes qu'elles entendent défendre. Jusqu'à preuve du contraire ni les associations ni la direction de la culture de la wilaya ne nous a signifié une quelconque invitation pour prendre part à des spectacles bénévoles», nous dira un artiste local. Sur un autre chapitre, la culture engagée, dénonciatrice et militante ne semble pas être perçue tel qu'il se doit par les artistes. Constantine, par exemple, revendique son malouf à travers les associations qui y sont attachées. Une revendication qui s'est soldée par un festival annuel du genre, un point c'est tout. Peu d'ouvrages consistants sur le sujet sont parus, à l'exception de celui de Maya Saïdani, édité avec le concours du ministère de la Culture et qui traite de la musique constantinoise. L'essai développe un «genre» de militantisme intellectuel en défendant les bases de cette musique ancestrale venue d'Andalousie. C'est une large contribution que celle de la musicologue qui aura fait des émules à Constantine… Quant aux autres activités culturelles ayant un certain impact positif sur «le quotidien» de la population, elles sont souvent liées à l'éphéméride, comme si la préservation de l'environnement, la sensibilisation à la lutte contre une maladie chronique ou l'aide aux démunis ne devaient s'organiser qu'à des dates fixes. En somme, les actions culturelles engagées sont peu nombreuses. Avec des associations fragilisées, soit par l'amateurisme soit par les calculs politiques, et des artistes abandonnés à leur sort, la culture ne peut que tourner le dos à ces combats qui ont fait sa force et lui ont permis de s'imposer au sein de la société qu'elle est censée servir, guider, éclairer, éveiller et critiquer, selon les circonstances et la conjoncture. N. H.