Il y a comme ça, dans l'histoire, des dates fédératrices qui rassemblent tout le monde, sans exception aucune, autour d'une cause juste. Des circonstances exceptionnelles qui réunissent un peuple entier, jeunes et vieux, femmes et hommes, pauvres ou riches, pour dire d'une seule et même voix son attachement viscéral à la liberté et sa quête profonde de la dignité humaine. Des événements consensuels qui transforment tous les rapports de force préétablis et qui bousculent l'ordre imposé par tant de forces. Les manifestations urbaines du 11 décembre 1960, de par leur ampleur et la nature du contexte dans lequel elles se sont produites, sont à ce propos un jalon majeur dans l'histoire de l'Algérie combattante. En voyage dans le pays conquis, le général Charles de Gaulle, alors président de la République française, a été partout accueilli par des manifestations pacifiques qui revendiquent invariablement le droit légitime du peuple algérien à l'autodétermination. L'irruption massive des populations «indigènes», scandant «Algérie libre», «Algérie indépendante», a évidemment projeté la cause algérienne aux premières loges de la scène internationale. Profondément populaires, ces marches triomphantes ont absolument discrédité l'argumentaire de la France colonialiste qui, auparavant, s'enorgueillissait de sa «mission civilisatrice» en Afrique du Nord en réduisant la révolution du 1er novembre 1954 à une simple question de banditisme de grands chemins. L'ancrage réellement populaire de ces manifestations et l'écho qu'elles ont eu à travers le monde ont été deux facteurs déterminants dans l'inscription de la question algérienne sur l'agenda de l'Assemblée générale des Nations unies. C'était un grand sursaut patriotique qui a montré le vrai visage de l'occupation en balayant toutes les allégations servant de prétextes à l'asservissement d'un peuple et au pillage d'un pays souverain. Tous les dirigeants du monde, y compris les alliés traditionnels de la France impériale, ont alors pris conscience de la justesse et de la pertinence des idéaux de la révolution novembriste. Un front populaire uni qui rappelle les manifestations du 8 mai 1945, événement précurseur de la lutte directe du peuple algérien pour sa souveraineté. Si, en 1960, les populations algériennes ont radicalement changé le rapport de force qui prévalait au sein de l'opinion publique internationale au sujet de la guerre d'indépendance, leur irruption spectaculaire de 1945 a irrémédiablement refaçonné le front interne en optant pour une confrontation directe avec les forces coloniales. Les événements du 8 mai 1945, réprimés dans le sang et le feu, ont coupé l'herbe sous les pieds des attentistes et des assimilationnistes qui ont mené le mouvement national vers l'impasse. La montée solennelle des populations a mis fin à toutes les hésitations pour mettre tous les acteurs politiques et socioculturels devant leurs responsabilités historiques. La lutte armée s'imposait alors d'elle-même comme unique perspective pour déloger l'occupation coloniale. Doté d'une conscience politique aiguë, le peuple algérien a montré au fil de l'histoire sa capacité à trancher dans le vif les grands défis qui se posent à la nation. Le 20 août 1955, le 20 août 1956, le 19 mars 1962 et le 5 juillet 1962 ont été aussi autant de dates symboliques au cours desquelles le commun des Algériens a fait l'histoire avec un grand «H». Même au lendemain de l'indépendance, le peuple algérien a toujours su défendre les intérêts du pays et arbitrer les écueils qui se sont posés à son développement. Le choix populaire de la réconciliation nationale en est la dernière démonstration en date. K. A.