De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati La cinquième édition du Colloque international sur le soufisme, organisée sure le thème de «Culture et musique» a été inaugurée, dimanche dernier, à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou où des universitaires et chercheurs de plus d'une quinzaine de pays, principalement musulmans, se sont rencontrés pour évoquer «la chevalerie spirituelle dans la tariqa Rahmania», et ce, en présence de l'inspecteur général du ministère de la Culture, représentant personnel de la ministre, Mme Khalida Toumi, du wali de Tizi Ouzou et des responsables des autorités locales ainsi que des responsables des différentes zaouïas de la wilaya de Tizi Ouzou. Ils sont venus d'Azerbaïdjan, d'Ouzbékistan, de l'Inde, de Tunisie, du Maroc, de France, de Belgique, du Sénégal et de plusieurs autres pays pour évoquer sous tous ses aspects la tariqa Rahmania, née justement dans la région de Boghni (Tizi Ouzou). Elle s'est propagée jusqu'en Asie centrale et en Afrique subsaharienne avec ses principes édictés par cheikh Sidi M'hamed Ben Abderrahmane El Djerdjeri El Guechtouli El Djazaïri El Azhari, à la fin du dix-huitième siècle. Ce colloque, initié par le Centre national des recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) d'Alger, en est à sa cinquième édition après celles tenues à Mostaganem, Tlemcen, Béjaïa et Alger, comme rappelé par Slimane Hachi, responsable au sein de l'institution organisatrice de la rencontre. Ce dernier n'a pas manqué de rappeler les qualités spirituelles et religieuses du soufisme et ses préceptes de tolérance, de dialogue et d'ouverture vers les cultures. C'est Mohamed Brahim Salhi, enseignant à l'université de Tizi Ouzou, qui a lancé le cycle des conférences, dans une première séance présidée par l'Azerbaïdjanaise Zohra Alieva, de l'Académie des sciences de Bakou. Le conférencier ne manquera pas de relater la fondation de la tariqa Rahmania. «C'est la tariqa la plus récente, fondée, en 1777, dans un contexte où existaient déjà des tariqate plus anciennes, comme la Qadiria, la Tidjania et la Aïssaouia», dira M. Salhi qui abordera également la Rahmania «dans son cheminement historique et dans son enracinement social qui a réalisé une articulation entre une spiritualité globale inspirée de ses racines soufies et les cultures des terroirs qui constituent son sol empirique». Cette articulation présente «des modalités lisibles autant dans son déploiement que dans les usages sociaux de ces enseignements qu'exaltent les pratiques de ses adeptes et les représentations sociales par le biais de la poésie religieuse» ajoute encore l'universitaire. Cet orateur n'a pas omis de rappeler qu'à l'époque de sa fondation, il existait déjà un réseau d'institutions religieuses et de zaouïas sur lesquelles la tariqa Rahmania s'est appuyée dès sa constitution. D'ailleurs, cela a eu lieu après la mort, en 1795, de son fondateur dans son village natal d'Ath Smaïl Boghni), grâce à cheikh Seddik Arab de Larba Nath Irathen. Auparavant, cheikh Sidi M'Hamed Ben Abderrahmane a fait le pèlerinage à La Mecque avant de rallier El Azhar (Egypte) où il rencontrera cheikh El Hafnaoui qui l'initiera au soufisme. Suite à cela, le fondateur de la tariqa fera son périple initiatique qui le mènera jusqu'au Soudan, «porteur des valeurs de son groupe et d'autres plus universelles». Son retour sur le sol algérien sera marqué par le refus des autorités ottomanes de l'époque de s'implanter dans la capitale, plus exactement au Hamma d'où il sera chassé en 1794. Il mourut quelque temps après dans la région de Boghni, avant que cheikh Mostefa Bachtarzi de Constantine, considéré comme son premier calife, n'organise la confrérie et ne codifie l'appartenance. «L'appartenance à la Rahmania reposait sur trois principes d'adhésion la connaissance juridique, la connaissance mystique et la connaissance coranique.» L'ordre rahmani restera tout de même accessible à la majorité même sans possibilité de progression dans la hiérarchie et c'est ainsi que la tariqa s'est enracinée dans la société par le biais des khouni «qui composaient de la poésie religieuse et de la chanson s'inscrivant en droite ligne des principes de la philosophie de la tariqa», de la poésie religieuse en kabyle qui a favorisé l'accessibilité à tous au moment où la progression de la tariqa sera favorisée par les zaouïas sur lesquelles l'aspect de l'enseignement s'est appuyé. Dès les premières années, la Rahmania sera adoptée dans la région de Constantine, avant de progresser vers le sud-est, comme à Biskra, avant de traverser la frontière tunisienne grâce à cheikh Ben Azzouz. Ce dernier a été évoqué, d'ailleurs, par un chercheur tunisien, Toufik Ben Amer de l'université Zitouna de Tunis, qui a signalé que les adeptes de la tariqa n'ont pas manqué de résister au colonialisme français. Cette résistance sera emmenée par cheikh Ameziane Aheddad, en 1871, après son intronisation à la tête de la tariqa onze années auparavant. «Les circonstances ont fait que la tariqa Rahmania s'est jetée dans la résistance contre la colonisation et s'est découvert une vocation politico-militaire», précise Mohamed Brahim Salhi qui n'omettra pas de préciser que la tariqa n'a «jamais eu la prétention de régenter la société, ni de faire pression sur les croyants, et se retrouve, ainsi, dans une sorte de spiritualité, de religion tranquille, appelant les croyants à leurs devoirs, sans jamais se mettre dans une posture d'imposition et de contraintes».