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Wole Soyinka, Ogun personnifié
L'écrivain nigérian est l'un des auteurs édifiants de la littérature africaine
Publié dans La Tribune le 18 - 12 - 2008

De tout son parcours d'écrivain, de poète et de dramaturge, le Nigérian Wole Soyinka est l'un des auteurs édifiants de la bibliothèque littéraire africaine.
Son œuvre riche et diverse explore la mythologie yorouba dont l'écrivain maîtrise excellemment les moindres détails. Elle est la source à laquelle il puise sa matière littéraire et même spirituelle puisqu'il communie avec ces forces cosmiques. Cette force du mythe le pousse à quêter aussi ailleurs, il est aussi un fin connaisseur de la mythologie grecque, il marie les deux cultures et cela donne un éclat singulier à son art. Dans l'un de ses récits publié après sa longue détention, Cet homme est mort, il est traversé par le feu d'Ogun, le dieu du feu, qui le brûle jusqu'à l'incandescence du Juste. Suite à la prise de position de Wole Soyinka en faveur de la paix pendant la crise du Biafra, il est vite soupçonné d'avoir apporté de l'aide à Ojukwo en fabriquant des mensonges, allant jusqu'à dire que l'écrivain a aidé Ojukwo pour acheter des avions. Cette prise de position a été le motif de son emprisonnement et ce livre est le fruit amer de cette terrible épreuve. Mais à l'origine, comme l'explique Soyinka dans l'incipit de son récit, «ma dénonciation de la guerre dans les journaux nigérians, ma visite dans l'Est, mes efforts pour recruter les intellectuels du pays […] afin de créer un groupe de pression visant à interdire totalement la livraison d'armes à toutes les parties.» Et aussi, écrit Soyinka, «mes activités en prison». A «Kiri Kiri, j'écrivis une lettre que je réussis à faire sortir […] lettre dans laquelle je donnais les preuves les plus récentes de la politique génocide du gouvernement de Gowon».
Dans son recueil Cycles sombres, un recueil de poèmes né de l'expérience carcérale, traduit de l'anglais par Etienne Galle, on décèle quatre cycles caractérisés à la fois par une violence inouïe et aussi une promesse formulée par l'éthique que forge l'écrivain. Dans le deuxième cycle, les Prisons, au pluriel puisqu'elles sont diverses, le poète traduit son épreuve carcérale dans une mythologie personnelle où le politique dialogue avec le poétique et le mythologique avec le mystique. Ces dialogues présagent une saison non d'anomie, pour reprendre l'un de ses titres, mais des promesses, le titre du quatrième cycle porte bien l'intitulé de Promesse, car le poème est aussi le lieu où l'espérance féconde la lutte contre les démons et l'apocalypse de la solitude ou, comme l'écrit Joseph Brodsky, un autre poète jeté dans la froide cellule des hommes sans cœur : «La poésie trouve le langage monotone des certitudes pénales contraire aux exigences abruptes des vers.»
Les titres des pièces poétiques expriment pleinement la dureté de cet avilissement et font aussi référence à des symboliques religieuses et mythiques. Ainsi, Mur des Lamentations fait référence au judaïsme et l'Enterré vivant à l'Antigone ou encore Chasse à la
pierre qui rappelle Schango, dieu de la foudre. Ce qui fouette le regard, c'est l'enlisement, la mort de l'espoir et la menace qui pèse sur le désir : «Les roues sont enlisées, l'espoir en un sol de ténèbres» ou encore «les murs sont la tombe du désir». Il faut dire que ce cycle, dont «le réseau des esseulés» végète à voir le soleil briller, est fondamental dans l'épreuve du purgatoire. La force de se ressourcer est déployée dans cette quête de survivre et d'échapper à la folie qui y rôde. Et comme l'écrit si bien Etienne Galle, «tout convoque l'espace à s'ouvrir à son au-delà». L'écriture poétique de Soyinka perce le fer en usant du feu du camarade Ogun auquel il fait appel.
Cet homme est mort
Dès sa parution en 1972, ce récit suscita de virulentes attaques, poussant son auteur à l'exil, et de multiples pressions. Son caractère pamphlétaire lui valut même une tentative de liquidation physique.
Dans l'avertissement qui accompagne l'édition française de Cet homme est mort, le traducteur Etienne Galle précise que «Cet homme est mort est le récit d'une expérience de prison et le cri de colère d'un intellectuel et d'un poète face aux brutalités d'une guerre qui sert de diversion à l'exploitation et de prétexte à l'arbitraire».
Ce livre est écrit entre les interlignes de la Religion primitive de Paul Radin et aussi d'autres livres de Soyinka, dont le recueil de poèmes Idanre. Cela nous donne déjà cette absence d'espace et l'impérieux besoin d'investir un espace. Car Soyinka nous dit dans Lettres aux compatriotes en citant la lettre de Georges Mangakis, un professeur grec emprisonné : «l'autodéfense, c'est ma raison d'écrire. C'est ainsi que je parviens à garder la maîtrise de mon esprit […]. Nous avons besoin de l'esprit d'un autre pour maintenir le nôtre en état. Nous avons également besoin de moments vides de toute pensée.»
L'acte d'écrire est essentiellement un acte de résistance et le dialogue en est aussi important. On pourra citer des poètes qui ont fait appel à des expériences dans leur propre expérience afin de supporter l'étau de fer qui ronge le cœur. Izzat Ghazzawi, Israël acclame Nazim Hikmet et Ngugi acclame aussi Brutus. C'est aussi le cas de le dire dans cette lettre de Mangakis.
Le récit se divise en trois parties portant le nom des villes nigérianes où les prisons sont situées et datées : Ibadan-Lagos, Kaduna 68 et Kaduna 69. Chaque partie relate soigneusement les différentes étapes de la chasse à Soyinka, les interrogatoires, l'enchaînement et le traitement atroce de son cas dans les geôles de la section des renseignements de l'armée et de la Gestapo (p 29). Ce livre ne traite pas du génocide, comme l'auteur l'indique, il est «une forme inférieure du lynchage». Il témoigne d'une inhumanité et d'une
horreur pratiquées par l'armée dans un pays miné par des cadavres.
Topographie de la prison
Souvent le lieu de détention n'est pas nommé d'une manière directe dans le tissu narratif du récit. Soyinka use de la métaphore et fait appel à la mythologie et à l'histoire d'où il tire de sinistres comparaisons : «mur du trou des eaux, le mur des Lamentations, mur d'Ambre» p186, «mur des flagellations», sont autant d'exemples qui indiquent des lieux énigmatiques. A travers les personnages de la mythologie qu'il cite, c'est aussi le lieu qui est nommé : lorsqu'il cite Polyphème par exemple, on pense à Ulysse et l'antre du cyclope, de même pour Pluton, condamné aux enfers, c'est le purgatoire. Et cet aspect de son écriture est l'une des expressions de sa propre poésie. La description de l'univers carcéral est souvent teinte d'une manière virulente où le ton est aussi pour le pamphlet.
Le ton pamphlétaire du récit
Connu pour ses prises de position et sa rébellion, Soyinka n'hésite pas dans ce récit à comparer le régime militaire nigérian à la Gestapo et les geôliers à des personnages de la mythologie tels que Polyphème ou encore à Caliban, personnage de Shakespeare dans la Tempête (esclave monstrueux et vil dont le nom est l'anagramme de cannibale. Il symbolise l'indigène opprimé). Il écrira sans emphase que «tout système qui utilise la machine du secret contre un individu quelconque relève des méthodes de la Gestapo. L'esprit Gestapo croit davantage à l'emprisonnement qu'à l'élargissement, à la culpabilité qu'à la justice. Cette maison est le quartier général de la Gestapo, il n'y a pas d'autre point de vue pour survivre… Et je me mis à écrire». Cela nous permet de savoir la tension et le ton de ce récit. A différents passages, il désigne l'armée par des mots tels que «la propagande ventriloque de criminels effrayés» p89. Il dira aussi que ce régime ressemble à la célèbre mafia sicilienne «Cosa nostras de la Cosa Nostra» p58.
La résistance de Soyinka à «l'attaque féroce des meutes de loups» p169 relève aussi de la morsure du juste dont il est atteint et aussi de l'exigence qu'il donne de l'état et de l'éthique : Pour lui, «le vide créé par l'absence de fondement éthique -car le concept de frontières nationales ne saurait être le fondement éthique ou idéologique d'aucun conflit-, ce vide sera rempli par une nouvelle éthique militaire, celle de la coercition», p164. On peut noter l'ironie dans ce propos puisque la coercition ne saurait être érigée en principe éthique.
Il y a plusieurs passages où l'auteur fait référence au nazisme, à la Gestapo, à «la veille de l'Holocauste» p153, ou encore à Adolf Hitler, p182. Ces comparaisons révèlent le degré d'atrocité du régime nigérian de l'époque. Même si, comme le soutenait Marx, l'histoire ne ressert jamais tout à fait les mêmes plats, Soyinka semble souligner ici ses bégaiements. Soyinka fait aussi allusion au «pharisaïsme du système» p188 : comme on le sait, les pharisiens étaient un groupe qui s'est démarqué de la communauté juive par une observance plus stricte de la loi religieuse. Ils proclamaient ainsi leur supériorité morale par rapport au reste des juifs. Cette
formule utilisée par Soyinka suggère donc que les militaires se percevaient ainsi comme supérieurs au reste des Nigérians, ce qui fait encore écho à la comparaison faite avec le système nazi.
Ecriture, espace de la résistance
L'une des inquiétudes qui ont fortement torturé Soyinka, c'est la claustrophobie. «Je diagnostique une expérience pour moi sans précédent : la claustrophobie» p167. Et l'un des moyens qui l'ont aidé à échapper à «l'annihilation spirituelle, psychique et ymbolique», c'est l'acte d'écrire. Mais écrire exige un crayon ou un stylo et du papier. Cela n'est pas possible dans «la coque pourrie du régime» p57. Alors, c'est là que la ruse du prisonnier prend forme et invente tout afin de vaincre cet «encerclement stérile» p92.
Le dialogue entre Soyinka et le médecin montre si bien cette effroyable absence de livres : «Ils [les yeux] ont besoin de lire» p175. Son besoin de fissurer les murs de la cellule l'a poussé jusqu'à voler le stylo du médecin. Dans tout ce qu'il demande à l'administration, les livres et le papier occupent une place essentielle. En effet, les livres sont une échappatoire et ce n'est pas fortuit si ce récit est écrit entre les interlignes d'un livre. Les livres ont une forte portée symbolique si tant est qu'ils sont un rempart contre la déshumanisation.
Et le refus qu'il formule : «Je ne pouvais plus accepter l'éthique de l'oppresseur» p 198 exprime clairement ce sens de la résistance. Lorsqu'au début du récit il cite l'esprit prométhéen qui est aussi un trait ogunien, il incarne par là le défi.
Ce lieu de détention n'est pas seulement la proie des geôliers, c'est aussi le lieu où la nature par ses forces dévastatrices est menaçante. Le narrateur fait souvent allusion à la force de l'harmattan et dit que «la cellule devient le nouveau centre de la tempête, le vent se déverse à travers la moindre fissure, s'amoncelle en une pression insupportable de glace avant de se détendre graduellement en s'échappant à travers les barreaux et la lucarne». p132.
Et la particularité de sa cellule, c'est qu'elle est assimilée à une crypte. Cela nous rappelle son poème l'Enterré vivant, allusion à Antigone et le met face à la réalité. Il dira : «Enterré vivant ?
Non. Cela ne se voit que dans les livres.» p146.
Dans sa citadelle, Soyinka est proclamé roi de la solitude, c'est dire si l'isolement fut total. Mais là, c'est aussi une vérité qui éclate, car Soyinka témoigne d'un monde étranger, ce qui n'exclut pas des traitements particuliers. Comme il avait déjà écrit : «Pour être accusé, il suffisait d'avoir exprimé de la sympathie pour les ibos ou d'avoir maudit l'armée. Ou d'avoir révélé les tortures ou un meurtre dont on avait été le témoin. Il suffisait d'avoir l'air de désapprouver les méthodes de terreur.» p44. Ce témoignage souligne cette absence de rationalité qu'il note. L'odeur de la prison, pour citer un titre de la littérature carcérale d'Adam Bodor, écrivain roumain, étouffe et le poète ne peut supporter la monotonie du lieu, il a besoin d'aller quêter ailleurs comme le dit bien Soyinka, «si seulement je pouvais être transféré ailleurs ! De nouveaux lieux, de nouvelles odeurs, de nouveaux spectacles, un nouvel environnement à exploiter pour les jeux d'ombre de la survie» p 202.
Soyinka refuse totalement les chaînes même s'il est enchaîné, il persiste dans sa résistance et affirme que, même si son «ombre est prisonnière mais non point son essence» p169, cela nous amène à dire que cette expérience est aussi une épreuve ascétique de l'existence. Elle est ainsi l'occasion pour le poète de sculpter sa citadelle intérieure pour citer le titre du livre de Pierre Hadot consacré à la philosophie pratique de Marc Aurèle.
Ecriture, une épreuve de soi
Dans l'Homme et son espace vécu, Gisela Pankow affirme qu'«un siège -une vie dans un espace de plus en plus rétréci- peut amener l'homme à son être, mais le prix à payer est lourd». A la lumière de cette analyse, on pourra dire que Soyinka a retrouvé son être dans cette épreuve où il fait souvent face à «l'obséquiosité frénétique» p63 car, «incapable d'accepter plus longtemps la loi des murs de la prison» p70, il retrouve une échappatoire à la fois par l'écriture et aussi par l'ascèse. Son jeûne, comme l'explique si bien Etienne Galle, «est une consécration du corps offert en rite sacrificiel à l'humanité comme un ultime appel». Son jeûne le met dans un état second qui lui permet, dit-il, de retrouver le meilleur de son humour. Le jeûne prend alors le sens d'un travail de distanciation d'avec la réalité de sa condition de prisonnier. Et la formule de Boris Vian semble ici tout à fait opportune : «L'humour est la politesse du désespoir.»
L'un des dangers qui torturent Soyinka dans sa cage d'animal, comme il le dit, c'est la confusion entre le supposé et le réel. En effet, le prisonnier perd toute notion de temps et d'espace. Soyinka dira qu'en prison «le temps disparut» p85 et aussi d'ajouter : «Les murs de mon esprit, privés de direction et de perspective» p 123.
L'annihilation est quasi présente et la peur de se perdre l'obnubile. Il y a comme une peur de la décomposition de soi : «Le froid accentuait l'isolement de la bulle, la panique enfonçait ses poignards glacés.» p167. Et d'ajouter : «Car il y avait cette chose, cet étau de fer sous le cœur, et respirer était devenu une torture. Et le corps se cabrait pour ruer, pour bondir et se jeter avec cette force surhumaine qui m'avait envahi.» p168.
La possibilité de se métamorphoser n'est pas exclue : «C'est une preuve supplémentaire de cette transformation de l'homme en renard qui s'opère d'un jour à l'autre, non, instantanément, lorsqu'on est enfermé loin de l'existence civilisée normale.» p173. Et les
conséquences de l'incarcération sont irrémédiables dans la mesure où elles effacent tout.
L'inquiétude de Soyinka est caractérisée par les pressions et les tensions de ce passé immédiat : «Comme un fantôme poursuivant un mécréant, le télégramme annonçant la nouvelle me courut après le lieu de désillusion en lieu de désespoir … Et je m'interroge :
retrouverai-je jamais des souvenirs vraiment privés, détachés, débarrassés des pressions et des tensions de ce passé immédiat ?» p148.
La prison est aussi le lieu de l'introspection, l'auteur plonge dans son enfance p 179 et en relate des épisodes. Et cette plongée fortifie chez l'homme l désir de perdurer. Et c'est parce que l'enfance, elle, refuse de s'éteindre, elle flamboie dans sa rébellion et dans son émeute. Car face à la turpitude de l'homme, il n'y a que le chant qui tient le cap. Car désormais «l'homme continue de mourir en tous ceux qui se taisent face à la tyrannie» p17. La terrible expérience de Soyinka n'a pas pour autant mis fin à sa lutte, ceux qui usent de la légitimité historique ont à apprendre de cet exemple. Elle lui a appris à subsister et ne point faire de concession à ce qui pille et détruit l'homme. Et le propos de Jack Mapanjé illustre fortement cette obstination à ne point perdre de vue le métier d'un écrivain : «Survivre à la prison est un art ; et maîtriser celui-ci à travers une œuvre artistique représente un engagement à vie» et c'est ce que
représente pour nous l'œuvre de Wole Soyinka, une œuvre traversée par l'exigence éthique et esthétique d'un poète intransigeant.
Dans la postface qui accompagne Cet homme est mort, intitulée Dix ans après, Soyinka insiste sur la nécessité de résister au mensonge et aux différentes manipulations de l'histoire et dira que «le langage doit faire partie de la thérapie de résistance». Contrairement aux teneurs des slogans, il explique aussi son projet qui n'est «nullement écrire un tract politique» et dit «n'avoir pas
l'intention de prescrire des remèdes pour le salut politique ou économique du Nigeria».
Et pour ne point perdre de vue ce qui se trame dans les sociétés même dites modernes, Abdelatif Laabi nous prévient : «Les prisons matérielles m'ont permis de comprendre que les prisons morales sont les plus pernicieuses. Lorsque j'ai dépassé l'épreuve de la
captivité réelle, j'ai travaillé à abattre les murailles morales dans lesquelles, même dans les démocraties, on nous enferme.» Et n'est-ce pas le propre des prisons d'aujourd'hui ?
A. L.


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