Le ministère de la Culture s'apprête à lancer un important programme de recensement et de sauvegarde du patrimoine culturel matériel et immatériel. Il s'agit d'une première en Algérie étant donné que, depuis l'indépendance, seul le patrimoine culturel matériel bénéficiait de l'attention requise, y compris dans le programme de l'Unesco. Or, le patrimoine intangible est plus fragile et est constamment exposé aux risques de déperdition, de transformation et de déliquescence continue. Dans une ère marquée par de profondes mutations dans les us et coutumes de l'humanité grâce aux technologies de l'information et de la communication, la préservation du patrimoine immatériel, notamment, relève de la survie de l'âme d'un peuple et de son identité. C'est dans ce contexte que la prise de conscience des pouvoirs publics concernant cette question est d'une importance cruciale. On croit savoir qu'une réunion préalable des experts du ministère de la Culture a eu lieu en fin de saison estivale conjointement avec des chercheurs universitaires et autres anthropologues et enseignants versés dans le domaine du patrimoine immatériel. La réunion devait permettre de poser les premières balises en vue d'une stratégie de travail à élaborer conjointement avec les chercheurs et autres spécialistes et une méthodologie de travail à mettre en branle à travers les structures verticales du ministère à l'échelle locale. Il était question également de faire appel à des collaborateurs spécialisés dans l'inventaire et le recueil d'informations relatives au patrimoine immatériel. La convention de l'Unesco de 2003 définit le patrimoine intangible comme étant un ensemble vivant et en perpétuelle recréation de pratiques, de savoirs et de représentations, et permet aux individus à tous les échelons de la société d'exprimer des manières de concevoir le monde à travers des systèmes de valeurs et des repères. En fait, le patrimoine immatériel comporte «les traditions et expressions orales [proverbes, énigmes, contes, légendes, mythes, chants, poèmes…] y compris la langue comme vecteur et moyen de transmission de ce patrimoine, les arts du spectacle comme la musique, la danse et le théâtre traditionnel, les pratiques sociales, les rituels et les événements festifs, les connaissances et pratiques relatives à la nature et à l'univers et les savoir-faire liés à l'artisanat traditionnel». D'où l'appellation de culture populaire pour désigner de manière commune le patrimoine immatériel. Il est évident que le recensement comme étape préliminaire est l'affaire de spécialistes et que l'opération requiert une certaine conformité vis-à-vis des normes scientifiques d'usage dans pareilles opérations. Ce qui n'est pas à la portée des directions de la culture, telles qu'elles sont configurées actuellement, auxquelles est confiée la mission de recenser et de sauvegarder ce patrimoine immatériel. C'est le cas de la direction de la culture d'Oran, dont la configuration organique et managériale actuelle est très en deçà des normes et des obligations requises. Il n'existe pas au sein de la direction de la culture d'Oran une quelconque compétence ou un savoir-faire managérial à même de piloter une opération d'une envergure et d'une importance pareilles, estime-t-on dans les rangs des experts et des chercheurs universitaires de la capitale de l'Ouest. «La direction de la culture n'a même pas été capable de piloter le projet de la restauration d'un patrimoine matériel comme le fort Santa Cruz. Alors pour le recensement du patrimoine immatériel, vous devinerez un peu la chose», note un anthropologue du Centre de recherche en anthropologie (CRASC) d'Oran. Tel est le défi qui attend justement ces Directions de la culture et la tutelle qui est responsable de cette opération d'envergure. Un défi qui comprend la nécessaire adaptation de ce patrimoine aux nouvelles formes culturelles dans lesquelles résident, justement, sa survie et sa pérennité. Selon des spécialistes de renommée mondiale, «la nouvelle approche à adopter est de procéder à une nouvelle lecture du patrimoine, et donc de l'appréhender non d'une manière statique mais d'une façon vivante et dynamique. Cela ne peut avoir lieu qu'à la suite de l'étude, de la conservation et de la préservation de ce patrimoine, ce qui nécessite des actions comme : - le recensement et l'enregistrement, oral et écrit, des manifestations de la mémoire collective par l'intermédiaire d'équipes de chercheurs et d'experts, dans le cadre de centres régionaux spécialisés ; - la création de musées d'arts populaires selon les techniques et les procédés modernes ; - l'édition d'encyclopédies spécialisées dans les arts et les traditions populaires (encyclopédie des proverbes, encyclopédie des instruments de musique et du patrimoine musical, encyclopédie des habits et des bijoux traditionnels…) ; - l'édition, en plusieurs langues, de collections illustrées portant sur les chefs-d'œuvre des arts populaires ; - l'organisation de festivals, d'expositions et de journées consacrés au patrimoine culturel dans toutes ses formes». M. O.