Parler de violence dans les stades de football et à leur périphérie revient à se hasarder sur un terrain extrêmement complexe. Cette mission devrait, en principe, échoir aux sociologues et aux psychologues qui sont suffisamment outillés pour analyser des comportements qui frisent fréquemment le cauchemar. En effet, le phénomène n'est pas du tout facile à cerner. Logiquement, un résultat sportif ne peut justifier, à lui seul, des brutalités massives qui, en un clin d'œil, transforment une ville entière en champ de bataille. Un match arrangé quelque part aux dépens d'une formation quelconque, un antécédent regrettable entre deux équipes rivales, une confrontation décisive pour l'accession au palier supérieur ou pour le maintien de l'équipe à un niveau donné ne devraient pas donner lieu, constamment, à des émeutes qui n'épargnent rien sur leur passage cyclonique. Ce fléau, qui touche beaucoup de pays, est symptomatique de malaises extra-sportifs relevant souvent de la sphère socioculturelle. Le football, estiment de nombreux sociologues, a été progressivement transformé, malgré lui, en support actif des violences urbaines et des nouvelles formes de ghettoïsation dans les quartiers populeux dits difficiles. Un repliement socioculturel sur le football, devenu un miroir aux alouettes, un ascenseur social fictif à des cohortes de jeunes et moins jeunes en mal de loisirs et d'espaces de détente. Evidemment, n'importe quel adolescent aujourd'hui préférerait de loin la carrière d'un footballeur d'élite à celle d'un universitaire. Le foot incarne pour lui une échappatoire émotionnelle à sa propre relégation socioculturelle. La célébrité, les contrats mirobolants et la belle vie au moindre effort sont autant d'avantages qui tentent les fans de toutes les équipes. Tout échec ou faux pas de son team fétiche se traduit, dans l'âme du «supporter», comme étant le sien. Ce mécontentement suscite en lui rage et frustration. Les arènes du ballon rond servent ainsi de grand défouloir à des publics frustrés qui cherchent à s'affirmer en suscitant des sensations fortes. Ces mouvements de foule, presque inconscients, débordent immanquablement sur la place publique et menacent la vie et les biens d'autrui. Une aubaine pour les voleurs et les criminels qui profitent de telles occasions pour chiper tout ce qu'ils trouvent sur leur passage. On peut même supposer qu'il arrive que cette catégorie de «pilleurs» soit pour quelque chose dans le déclenchement des hostilités. Oui, il n'est pas exclu que des parasites de cette espèce-là soient des précurseurs de ce fanatisme supporteuriste. Les déclarations «enflammées» des présidents de club qui s'échangent des insultes à longueur de colonnes, la mollesse des instances dirigeantes du football qui se moquent royalement de l'éthique sportive, les petites combines des porteurs de sachets noirs et l'absence de comités de supporters structurés et organisés sont autant de facteurs ayant contribué à cette descente aux enfers. Il revient aujourd'hui aux pouvoirs publics et aux responsables du secteur à tous les niveaux de réfléchir à endiguer ce danger en remettant, d'abord, le football dans son rôle premier de facteur d'amitié et de rapprochement. Car, tel que pratiqué aujourd'hui, il n'est qu'un vecteur supplémentaire de désintégration sociale et culturelle : violences verbales et physiques tolérées, chauvinisme, argent facile non contrôlé, esprit revanchard, coups tordus, renversement des valeurs de solidarité. Il est vraiment grand temps de rendre le football aux footballeurs, les vrais. K. A.