«Lorsque Belloumi m'a traité de fils de harki, j'avais envie de lui fracasser le crâne» «Chadli Bendjedid nous a promis de l'argent dont on n'a jamais vu la couleur» Réagissant aux propos de Mahmoud Guendouz, son ex-coéquipier au sein de l'EN de 1986, Halim Ben Mabrouk dit ne pas comprendre ce qui a pris l'ancien défenseur des Verts à ressortir des querelles vieilles de 23 ans. Nous l'avons revu un instant chez lui aux Minguettes, en compagnie de sa fille, puis le lendemain dans un café à Lyon pour évoquer avec lui le passé, le présent et le futur de l'équipe nationale. A peine l'entretien terminé, Halim est ressorti en saluant tous les clients qui l'avaient, bien sûr, reconnu, lui l'ancien pro de l'Olympique Lyonnais. Visiblement, l'aura de l'international algérien est restée la même, des années après avoir arrêté sa belle carrière. Aujourd'hui, Ben Mabrouk tient un commerce aux Minguettes centre et travaille aussi avec la marque Airness dont il tente de lier l'image à l'EN pour les années à venir. N'usant jamais de la langue de bois, l'Algérien est revenu aussi, dans cette interview, sur la fameuse bagarre qui l'a opposée à Lakhdar Belloumi, juste après la défaite de l'EN contre l'Espagne. Il nous ouvre la porte des vestiaires et nous fait vivre la scène comme si nous y étions. Un régal de franchise ! * Il paraît que Mohamed Raouraoua vous a appelé après son élection à la tête de la FAF. Vous confirmez ? Non, ce n'est pas lui qui m'a appelé, c'est moi qui l'ai fait. Parce que je travaille pour la marque Airness et j'ai pris contact avec Raouraoua pour voir si on pouvait travailler avec l'EN d'Algérie en tant que sponsor à la place du Coq sportif. * Et cela a donné quoi ? Apparemment, c'est difficile parce que le Coq Sportif a un contrat qui n'est pas encore arrivé à son échéance et qu'il y a aussi un élément de discorde. * En dehors du sponsoring, avez-vous abordé d'autres sujets avec le président de la FAF ? Il m'a dit qu'il a l'intention de mettre sur pied une structure composée d'anciens de l'EN en France, afin d'aider le football algérien à redémarrer. Je lui ai réitéré ma disponibilité pour l'Algérie, s'il y a des choses intéressantes à faire pour améliorer notre football. * D'autres présidents, avant lui, avaient entamé les mêmes démarches qui n'ont rien donné par la suite. On vous l'a certainement proposé avant, non ? C'est vrai. Je pense que quand on veut faire des actions pareilles, il faut se donner les moyens pour les mener à bien sur le terrain. Bien évidemment, si on me confie ce travail, ça ne sera pas gratuit, car cela demande des moyens financiers pour se déplacer sur tout le territoire français. La question que je me pose est : vont-ils avoir la capacité de me rémunérer moi ou la personne qui sera choisie ? Personnellement, j'ai toujours prouvé ma disponibilité pour l'EN. Monsieur Raouraoua m'a dit qu'il avait des idées pour réaliser cela. On verra ce que cela va donner. * Vous allez sans doute travailler avec d'autres anciens de l'EN, non ? Ce sera difficile de faire ce travail tout seul. Je m'appuierai donc sur certains anciens et mes relations dans le football français. On peut le faire à deux ou à trois au maximum. * Vous pensez à qui parmi les anciens ? Il y en a beaucoup. On peut demander par exemple à Medjadi, Cherif Oudjani ou à d'autres que j'oublie à l'instant. On verra avec la disponibilité des gens. * Qu'est-ce que vous pouvez faire concrètement en France ? Vous savez, dans tous les clubs de France, il y a des jeunes issus de l'immigration algérienne qui sont éparpillés un peu partout dans les meilleurs centres de formation. S'ils ne sont pas repérés et dirigés vers leur pays d'origine, ils choisiront automatiquement l'équipe de France. Il y a donc un vrai travail à faire pour les récupérer avant les dirigeants français. * Concrètement, comment allez-vous procéder pour les convaincre ? Aller les voir sur le terrain, discuter avec eux et, surtout, avec leurs parents pour les convaincre de pousser leurs petits vers l'Algérie. Il y a des centaines de joueurs à récupérer mais avant qu'ils n soient découverts par les sélectionneurs des jeunes de l'équipe de France. * Que pensez-vous de l'EN actuelle et de ses chances pour le Mondial 2010 ? Je regrette à ce jour la défaite contre la Guinée au stade du 5-Juillet. Aujourd'hui, je sens que l'EN a mûri depuis. Je pense qu'on a une équipe qui a autant de chance que les autres. Il suffit juste d'y croire. * Que pensez-vous des propos de Guendouz sur le fameux problème entre locaux et pros de 1986 ? Je me suis déjà exprimé sur le sujet à maintes reprises, mais s'il faut apporter une fois de plus des correctifs, pourquoi pas ? Personnellement, après cette Coupe du Monde 86, beaucoup ont tenté de me salir, surtout Belloumi. * Qu'avait-il déclaré à votre sujet, pour le rappeler à la nouvelle génération ? Il avait dit que j'étais un fils de harki, que j'avais sali le maillot national, que j'avais déchiré mon passeport algérien, que j'avais jeté le maillot national, alors que tout cela avait été démenti par les témoignages de tout ceux qui étaient avec nous à l'époque. Beaucoup d'articles ont été écrits à ce sujet dans lesquels il était clairement prouvé que tout ce qu'il avait dit était faux et que je n'avais rien fait pour porter atteinte à l'équipe nationale. Bien au contraire, j'avais toujours répondu présent pour honorer les couleurs nationales, au même titre que les autres joueurs qui évoluaient hors du pays. Nous avions tous prouvé que nous sommes et nous serons toujours de vrais patriotes. Je ne pouvais pas accepter des attaques aussi gratuites et méchantes. * A votre avis, pourquoi avait-il réagi de la sorte, alors que vous étiez aussi algérien que lui ? Parce qu'il avait une certaine méchanceté et une jalousie certaine à l'époque par rapport aux joueurs qui évoluaient en Europe. Lui, il n'avait jamais réussi à jouer hors d'Algérie et cela le frustrait énormément. Il avait donc une vraie rancœur. Pourquoi avec Madjer ou d'autres joueurs, ça se passait toujours bien ? Parce qu'on avait affaire à des personnes intelligentes. Et j'estime que Belloumi, à l'époque, n'était pas du tout intelligent par rapport à ces faits. Je ne veux pas encore polémiquer à ce sujet, à moins que Belloumi ait dit autre chose entre-temps. * Non, c'est plutôt Guendouz qui a fait des déclarations sur cette époque dans notre journal. (Nous lui faisons lire quelques passages de l'interview de Guendouz, qu'il lit l'air mi amusé-mi déçu. Puis…) Vous savez, avec Belloumi, on s'était parlé depuis, et on avait aplani ce différend de manière, j'espère, définitive. Aujourd'hui, il n'y a pas de souci. Maintenant que Guendouz ravive le feu et remet tout ça en avant, moi je ne comprends pas. Parce que Guendouz, je l'avais vu plusieurs fois depuis 86 et il ne m'avait rien dit à ce sujet. Maintenant, s'il essaie de créer des histoires, c'est qu'il doit se sentir mal quelque part. Il a peut-être des choses à se reprocher, qui sait ? Parce que tout ce qu'il dit là, la plage de Saint-Tropez et tout, c'est complètement faux tout ça. Au contraire, nous les joueurs professionnels, nous avions été là jusqu'au bout. Nous n'avions fait que réclamer notre dû. * Qui était… ? Quand on était parti d'Alger, le président Chadli Bendjedid, nous avait parlé de tout ce qu'on allait toucher comme primes et tout. Mais une fois sur place, on ne voulait plus nous payer. Nous nous sommes mis en avant, nous les joueurs pros, pour demander les raisons qui ont fait que les dirigeants n'aient pas voulu nous donner notre argent. En répression, lors du match contre l'Espagne, ils avaient décidé d'écarter tous les joueurs professionnels de l'équipe. Il n'y avait que Kourichi, je crois, sur le terrain et moi sur le banc des remplaçants. A l'arrivée, ils avaient pris 3-0, alors qu'un match nul suffisait pour nous qualifier. * Medjadi a dit qu'il y avait aussi des insultes de balcon à balcon à l'hôtel, vous confirmez ? Oui, je confirme malheureusement. * Il y avait qui en face de vous ? Belloumi et Guendouz, notamment. Mais il n'y avait pas beaucoup de locaux avec eux. * Que s'est-il passé entre vous et Belloumi après le match contre l'Espagne ? On allait carrément se battre. * Pourquoi ? Juste après la fin du match, on allait échanger nos maillots avec les joueurs espagnols. J'étais avec Butragueno pour l'échange et c'est là que j'ai entendu Belloumi crier en notre direction et nous dire des méchancetés. * Il disait quoi au juste ? Il disait : « On vient d'essuyer une défaite de 3-0… Et vous, vous pensez aux maillots ! Bande de harkis ! » en me regardant personnellement. L'histoire est partie de là. Moi, devant de telles insultes, je ne pouvais plus me contrôler. Je me suis levé et je lui ai sauté dessus une bouteille à la main. Je voulais lui fracasser le crâne. * Qui vous a séparés ? Madjer, Assad et d'autres. Voilà un peu l'histoire. Mais pendant les deux jours qui ont suivi, j'étais encore comme un fou. Je voulais l'attraper pour le défoncer. Je ne pouvais pas accepter qu'on dise de moi que j'étais un fils de harki et que j'avais sali le maillot de l'équipe nationale. J'étais vraiment comme un fou ce jour-là. * Avec du recul, ne pensez-vous pas que ces querelles sont un peu mesquines venant de la part de joueurs censés représenter tout un pays ? C'est sûr que c'est mesquin. Mais à l'époque, il y avait une certaine jalousie entre les joueurs locaux et les pros qu'il n'y a plus au sein de l'équipe nationale actuelle, heureusement ! Les échos qui me parviennent de la part des joueurs actuels de l'EN sont rassurants de ce côté-là. Mais à mon époque, il y avait deux clans : les locaux et les pros. C'était flagrant. On était séparés à chaque instant. Ils ne nous acceptaient pas en clair. * Comment tout cela a-t-il commencé ? Je ne sais pas, mais à mon arrivée, c'était déjà comme ça. J'avais vu de mes yeux qu'il y a avait de la jalousie. * Qui vous le faisait montrer le plus, Belloumi, Guendouz… ? Pour Guendouz, j'avoue que je suis surpris de lire ces propos. A la limite, si c'était Belloumi, j'aurais compris plus facilement, mais Guendouz ne montrait pas toute cette rancœur à l'époque. Donc qu'il le dise maintenant, c'est qu'il a un problème, ce mec. Peut-être que son cerveau s'est développé depuis, qui sait ? Franchement, il me déçoit un peu. * Il dit que Saâdane est à l'origine de l'élimination de l'EN en 86 à cause de «la faiblesse de sa personnalité ». Qu'en pensez-vous ? Saâdane était un entraîneur correct qui était assisté de deux hommes très compétents qui étaient Djadaoui et Dahleb. Ils ont donc fait un travail correct dans l'ensemble. Il manquait peut-être d'un peu de poigne au niveau de la discipline, mais… * Maintenant qu'on sait que l'EN était déchiquetée de l'intérieur, n'importe quel grand technicien au monde n'aurait pas pu gérer de tels conflits, non ? Bien sûr ! Saâdane avait hérité d'une situation avec des problèmes qui avaient une origine antérieure. Que pouvait-il faire ? Tout chambouler et repartir avec un seul clan ? Ce n'était pas possible. Il fallait donc gérer cela comme il le pouvait en prenant le soin de ne pas trop aggraver les choses. Pour moi, Saâdane a su gérer les choses. Et puis, il y a eu aussi ce problème financier qui n'a pas arrangé la situation. Moi, en tous cas, je n'ai rien à reprocher à Saâdane qui a fait son travail correctement, à mon avis. * Pourquoi donc Guendouz lui fait autant de reproches aujourd'hui ? Je ne sais pas ce qui lui a pris. Guendouz, quand il était en équipe nationale, ce n'était pas quelqu'un qui parlait beaucoup. Quand il parlait, c'était plutôt pour dire des conneries. Je suis surpris de lire de tels propos, 23 ans après. * Si vous venez à vous adresser directement à lui, vous lui diriez quoi ? Je voudrais lui dire que quand on veut régler quelque chose, il ne faut pas attendre 20 ans pour le faire. Il faut le faire sur le coup, ou alors qu'on se taise à tout jamais. Car raviver des histoires anciennes aujourd'hui, ne sert pas l'EN ni les anciens de l'EN. A quoi cela va profiter au football algérien que de parler du passé 20 ans après ? Maintenant s'il a des idées derrière la tête, il faut qu'il le dise clairement et on comprendra mieux. * Certains disent qu'il veut pousser Saâdane vers la sortie pour prendre l'EN. C'est possible, c'est possible (sic). C'est ce que j'allais dire. Peut-être qu'il y trouve un intérêt maintenant. Mais cela c'est son affaire. Pour moi, cette affaire était close depuis 20 ans. Maintenant que Guendouz parle de ces conneries de Saint-Tropez, c'est peut-être parce qu'il n'y a jamais mis les pieds. Entretien réalisé à Lyon par Nacym Djender