«L'Egypte doit être sanctionnée par la FIFA» «La visite de Zidane symbolise son attachement à l'Algérie» Aimé Jacquet, l'ex-sélectionneur des Bleus et champions du monde en 1998, s'adresse au Buteur et à ses lecteurs. Dans cet entretien qu'il nous a accordé en exclusivité par téléphone mercredi passé, Aimé Jacquet parle du football algérien, du match de la Côte d'Ivoire, de la qualification à la Coupe du monde au détriment des Egyptiens non sans évoquer quelques souvenirs qu'il garde de l'Algérie. * On commence tout d'abord par la qualification de l'Algérie en Coupe du monde, 24 ans après sa dernière participation. Vous y attendiez-vous ? Honnêtement, non. Je ne m'attendais pas à ce que l'équipe algérienne se qualifie en Coupe du monde. Les Algériens réussi à bâtir une grande équipe. Je dois dire que j'ai été agréablement surpris et même heureux, car en face il y avait un grand monstre du football africain, l'Egypte. Vous vous êtes qualifiés à la phase finale du Mondial sud- africain au détriment de l'Egypte dans des conditions dramatiques, et cela a permis aux joueurs de prouver leur qualités techniques, mais aussi leur force mentale. Ils ont surmonté toutes les épreuves auxquelle ils ont été confrontés et ont été récompensés par cette qualification au Mondial pour leur sacrifice et leur détermination. Donc à mon sens, cette qualification est méritée. * On imagine que vous avez suivi le match entre l'Algérie et l'Egypte… Pour ce qui est du match du Caire, je ne l'ai pas suivi. Par contre, j'ai vu un résumé de celui du Soudan, le match d'appui, puisque j'étais en déplacement. Au cours de ce match, les Algériens ont démontré non seulement qu'ils ont des joueurs de talent connus en France, mais surtout la qualité mentale dont ils fait preuve face à un adversaire qui a réussi d'excellents résultats ces derniers temps. Les Egyptiens ont été mis en difficulté, malgré leur technique, leur physique et leur tactique. Ils n'ont pu déstabiliser l'équipe d'Algérie. Je dois dire que cette équipe algérienne est au début d'une très belle aventure. * Qu'est-ce qui a attiré votre attention, ce jour-là… Je dirais que c'est le mental, cette rage de vaincre, cette hargne, cette conviction de gagner. Je pense que les joueurs étaient tous déterminés à remporter ce match, quel qu'en soit le prix. A l'occasion de cette CAN, les Algériens auront l'occasion de prouver qu'ils ont été surpris lors du premier match de cette compétition face au Malawi. * Revenons un peu en arrière, précisément aux graves incidents ayant émaillé le match Egypte-Algérie au Caire, et de cette agression dont les joueurs de l'équipe d'Algérie ont été victimes ; qu'en pensez-vous ? Je ne vous cache pas que j'ai été surpris qu'on puisse accueillir un adversaire avec de manière. On a été souvent très mal accueillis, mais pas jusqu'à mettre en danger la vie des joueurs. Cela ne devrait pas exister. L'Egypte doit être sanctionnée par la FIFA, pour éviter que ce genre d'incidents ne se reproduise. * Passons maintenant à la CAN, est-ce possible de nous donner votre point de vue sur le parcours de l'Algérie en Coupe d'Afrique ? Bon, je ne suis pas trop cette CAN, mais l'Algérie m'intéresse. Vous savez, j'ai été surpris par sa défaite lors du premier match de ce tournoi face à l'équipe du Malawi. Heureusement que vous vous êtes rachetés par la suite. * Ne pensez-vous pas qu'ils ont sous-estimé l'adversaire ? Je pense que c'est dû à leur statut de mondialiste. Ils se sont certainement dit que cette CAN allait être une simple formalité pour eux. Mais cette défaite a eu du positif. La preuve, face au Mali on a vu des Algériens jouer en bloc. Ils m'ont vraiment épaté par leur mental face aux Aigles du Mali. C'est dire que je partage votre avis en déclarant qu'ils ont sous-estimé l'adversaire. Vos asvez, ce sont des choses qui arrivent à toutes les équipes du monde. * En quarts de finale, l'Algérie rencontrera la Côte d'Ivoire… Là, ce sera un véritable test pour l'Algérie. Certes, ce sera un match d'une grande importance pour passer aux demi-finales, mais face à la Côte d'Ivoire qui a ses lettres de noblesses dans le monde du football africain, les Algériens sauront se mesurer aux grands. Cela va vous permettre aussi de vous situer dans la hiérarchie du football africain, à quelques mois de la Coupe du Monde Moi, j'aime beaucoup la Côte d'Ivoire qui possède des joueurs de haut niveau, qui évoluent dans les plus grands clubs européens, mais cette équipe ivoirienne n'a pas encore réussi à atteindre le haut niveau. Donc, l'Algérie doit être bien concentrée sur son match de dimanche face aux éléphants, car à travers ce match et cette prestation vous pourrait vous situer. * A votre avis, quel est le facteur qui sera déterminant pour remporter cette rencontre ? Je crois que celui qui maîtrisera ses nerfs l'emportera. Une chose est sûre, si les Algériens gardent toute leur concentration jusqu'au bout, ils réussiront à mettre en difficulté la Côte d'Ivoire et ses stars. * L'Algérie peut-elle espérer la qualification, même si le football n'est pas une science exacte ? Oui, vous l'avez bien dit. Je dois préciser que l'Algérie part avec un léger avantage psychologique et c'est très important. Il faut savoir que ce n'est pas aux Algériens de se donner à fond pour confirmer, c'est aux Ivoiriens de confirmer leur statut de favori. L'Algérie est en Angola pour donner une bonne impression, connaître le haut niveau et pouvoir se situer surtout. * Donc, on comprend par là que ce sont les Ivoiriens qui seront sous pression… Oui, tout à fait. La pression sera sur la Côte d'Ivoire, pas sur l'Algérie. Les Ivoiriens doivent confirmer et remporter même le titre, du moment qu'ils dominent le football africain depuis quelques années, mais sans pour autant arriver aux consécrations. C'est aux Ivoiriens de se méfier de l'Algérie. Vous savez, la phase de poule et le deuxième tour, ce n'est pas la même chose. Dans la phase des poules, c'est presque comme en championnat. Même si on perd un match, on a l'occasion de se racheter. D'ailleurs, l'Algérie a chuté face au Malawi, mais elle a pu se racheter face au Mali et l'Angola, pour réussir à se qualifier aux quarts de finale. Mais lors du deuxième tour, c'est différent, on ne prend pas part à un tel match avec la même manière qu'un match du premier tour. Soit on gagne, on est donc qualifié et on continue l'aventure ; soit c'est fini et on retourne à la maison. C'est dire que cela nécessite une bonne préparation psychologique. * Zinédine Zidane n'a pas manqué de rendre visite à l'équipe d'Algérie qui se préparait à Marseille avant le début de cette CAN. Un commentaite ? C'est une visite tout ce qu'il y a de normal. On connaît parfaitement Zizou qui n'a jamais caché son attachement à l'Algérie. Zizou est une grande personnalité de par sa générosité, sa gentillesse et son implication dans le monde du football. Son geste prouve qu'il n'a jamais oublié ses racines. Cela prouve aussi qu'il n'a jamais oublié d'où il venait, son enfance, le début de sa vie. * Tout le monde sait que l'Algérie, c'est quelque chose de fort pour vous. D'ailleurs, l'ex-star du football algérien des années 60, Rachid Mekhloufi en l'occurrence, avec lequel vous avez joué à l'AS Saint-Etienne, est un ami à vous... Touit à fait. Vous savez, j'ai beaucoup d'amis algériens. Je dois vous rappeler que j'ai même joué en Algérie un match amical à l'occasion duquel on a été reçus par le président Ben Bella qui avait été destitué quelques jours après par Boumediène. C'était un événement sportif important, mais aussi politique. Pour ce qui de Rachid, je dois dire que je suis toujours en contact permanent avec lui qui a été l'un des plus grands joueurs du football algérien. C'est un ami intime à moi, puisqu'on a joué ensemble à l'ASSE. Rachid Mekhloufi était mon maître, tellement il était grand et élégant. En plus de Mekhloufi le joueur, c'est une grande personnalité aussi. Je l'admire beaucoup. D'ailleurs, on s'appelle régulièrement. * Si les dirigeants du football algérien vous font appel, seriez-vous prêts à répondre favorablement ? Oui, d'ailleurs j'étais en contact avec les responsables du football algérien à l'époque où j'étais directeur technique national. J'ai même envoyé certains entraîneurs français pour travailler en Algérie. Vous savez sans doute mieux que moi que le football algérien était mal dirigé. Il y avait aussi des problèmes d'infrastructures. Mais heureusement que maintenant ça commence à progresser, je le sens. * On veut avoir votre avis sur les internationaux algériens Yebda Hassen et Mourad Megheni qui ont porté les couleurs françaises en jeunes… Oui, je les connais parfaitement, ils sont passés par nos centres de formation, ils ont bénéficié de notre formation et je suis très heureux qu'ils puissent atteindre ce niveau aujourd'hui. Pour ce qui est de leur décision, la FIFA leur a permis de jouer avec leur pays d'origine et c'est très bien. Yebda et Megheni ont porté le maillot français lorsqu'ils étaient jeunes, parce que tout simplement ils étaient obligés de porter les couleurs du pays qui les a formés. Mais avec cette nouvelle loi de la plus haute instance footballistique, ces deux joueurs ont eu enfin l'occasion de défendre les couleurs de leur pays. * La majorité des joueurs algériens ont été formés dans des centres de formation français dont vous avez été l'initiateur de ce projet. Une fierté pour vous… Oui, c'est une fierté pour moi, mais aussi pour tous les Français, puisque cette politique a porté ses fruits. C'est ce qui se fait un peu partout dans le monde. Parfois, on dit «académie» mais c'est la même chose. Pour ce qui est des joueurs algériens, je pense que c'est un plaisir pour nous de les voir défendre les couleurs de la sélection algérienne. On peut dire ce qu'on veut sur les relations entre les deux pays, mais il existe une grande fraternité entre nous. * Abordons maintenant le sujet du Mondial, l'Algérie jouera dans le groupe C en compagnie de l'Angleterre, la Slovénie et les USA… Bon, il y a l'Angleterre qui est un des favoris en puissance pour remporter la Coupe du monde, puisqu'elle possède une grande équipe. Mais ça va se jouer entre l'Algérie, la Slovénie et les USA pour la deuxième place. Honnêtement, je ne vois pas pourquoi l'Algérie ne sera pas au-dessus des USA et la Slovénie. C'est une question d'expérience, et la Slovénie n'a pas d'expérience sur le plan international. Donc, le véritable adversaire des Algériens pour se qualifier aux 8es de finale, ce sont bien les Etats-Unis. * En Algérie, on rêve d'un autre exploit comme celui de l'Allemagne en 1982, est-ce possible à votre avis ? Ecoutez! Le plus important pour l'Algérie est de se qualifier au second tour de la Coupe du monde, c'est l'essentiel. Même si vous serez battus par l'Angleterre, ça ne changera rien. Il faut se qualifier au second tour, et si vous arrachez ce billet, ce sera une grande réussite pour vous et une première dans l'histoire du football algérien. Là, on pourra dire que c'est une réussite. Si vous êtes qualifiés aux 8es de finale, vous pourriez aller loin (suivant le tirage) puisqu'à ce stade de la compétition, les petites équipes peuvent battre les grandes formations. * On vous laisse le soin de conclure l'entretien… Je suis très heureux de la qualification de l'Algérie en Coupe du monde. Mais mon souhait le plus cher est de donner la chance aux jeunes qui jouent au football d'exercer leur métier. Je sais qu'il y a beaucoup de jeunes pétris de talent, mais qui n'ont pas la chance de le prouver. Les clubs algériens doivent suivre l'exemple de la France et bâtir des petits centres de formation pour les jeunes. Entretien réalisé par Hamza Rahmouni Fiche technique Nom : Aimé Jacquet Nationalité : France Naissance : 27 novembre 1941à Sail-sous-Couzan Taille: 1m 82 Poste : Milieu Parcours professionnel: AS Saint-Etienne : 1961 à 1973 Olympique Lyonnais : 1973 à 1976 Palmarès en tant que joueur: (5) Champion de France en 1964, 1967, 1968, 1969, 1970 (3) Vainqueur de la Coupe de France en 1962, 1968, 1970 International à 2 reprises en 1968 Carrière d'entraîneur: Olympique Lyonnais : 1976 à 1980 Girondins de Bordeaux : 1980 à 1989 Montpellier HSC : 1989-1990 AS Nancy-Lorraine : 1990-1991 France : 1993 à 1998 Palmarès: En club: (Girondins de Bordeaux) Champion de France en 1984, 1985, 1987 Vainqueur de la Coupe de France en 1986 et 1987 Vainqueur du Trophée des Champions en 1987 Demi-finaliste de la C1 en 1985 Demi-finaliste de la C2 en 1987 En sélection nationale A: Coupe Kirin en 1994 Demi-finaliste de l'Euro 1996 Tournoi Hassan II en 1998 Coupe du Monde de football en 1998 Distinctions: Officier de la Légion d'honneur en 2007 Chevalier de la Légion d'honneur en 1998 Entraîneur français de l'année France Football en 1981, 1984 et 1998
