«Si nous battons l'Angleterre 3-0 en mars, vous aurez peut-être une chance de la battre» Quand un Algérien croise des Egyptiens par les temps qui courent, de quoi peuvent-ils parler ? De foot, pardi ! Mais aussi, accessoirement, de coups, de pierres, de couteaux et de cartons. Hier, nous avons rencontré des journalistes et supporters égyptiens dans le hall d'un hôtel. Une discussion cordiale et courtoise, quoi que parfois passionnée, a eu lieu avec nos interlocuteurs, chacun défendant sa chapelle en ce qui concerne les tenants et aboutissants des tensions nées entre les deux pays avant et après le match de Khartoum. S'il y a eu divergence dans la détermination des fautifs et dans l'appréciation des événements, il y a eu quand même consensus sur un point : les choses sont allées beaucoup trop loin pour un match de football. «Je le jure, les Algériens ont failli nous tuer» Nos interlocuteurs ont été Dr Bakr, ami de Samir Zaher, et ses deux fils, Mahmoud, Mazen, un des leaders des Ultras égyptiens, ainsi que Hamada, le fils de Samir Zaher, président de la Fédération égyptienne de football. Comme il fallait s'y attendre, ils se sont longtemps appesantis sur ce qu'ils appellent les «agressions» de Khartoum. «Je le jure devant Dieu, des Algériens ont failli nous tuer avec des couteaux. Moi-même, j'étais dans un bus à la fin du match et la vitre s'est soudain brisée. J'ai vu quelqu'un faire entrer sa main, un couteau à la main, et frapper des coups à l'aveuglette avec l'espoir de blesser quelqu'un», affirme Mahmoud. Le témoignage de Mazen, le meneur des Ultras, est encore plus invraisemblable : «Ma sœur avait insisté pour que je l'emmène à Khartoum, mais je l'ai regrettée car elle a failli mourir. J'ai dû la coucher par terre et la protéger avec mon corps pour que les Algériens ne la blessent pas.» Comment se fait-il que lui, qui s'est exposé pour protéger sa sœur, ne soit pas blessé ? Aucune réponse. «Les jets de pierre, c'est en réponse au bras d'honneur d'un joueur algérien» On a beau répéter à nos interlocuteurs que la colère des Algériens était motivée avant tout par la lâche agression perpétrée contre le bus transportant les joueurs algériens à leur arrivée au Caire, ils refusent d'agréer l'idée d'une agression. «Certes, il y a eu jet de pierres, mais les joueurs en ont rajouté en se blessant», assure Dr Bakr. Personne, à travers le monde ne peut croire qu'un footballeur professionnel pousserait le machiavélisme jusqu'à se blesser volontairement, mais les Egyptiens le croient fermement. Plus même : Mazen soutient que les jets de pierres contre le bus de l'Algérie étaient une réponse à une provocation des Algériens. «Des Ultras présents sur place m'ont assuré qu'en passant devant eux, un joueur algérien leur a fait un bras d'honneur à travers la vitre. Si, si ! On me l'a dit ! C'est pourquoi ils ont réagi ainsi.» Pourtant, les images tournées par des amateurs montraient bien que des pierres avaient été lancées par des Ultras avant même que le bus n'arrive à leur niveau. «Amr Adib ne représente pas les 80 millions d'Egyptiens qui vous aiment» Sur le rôle des médias dans l'exacerbation des tensions, les Egyptiens accusent un quotidien d'informations générales algérien d'en être à l'origine en clamant que «Amr Adib ne représente que lui-même et non pas tous les Egyptiens et, de surcroît, il travaille pour une chaîne qui appartient à des Saoudiens et non pas à des Egyptiens» et que, «même s'il y a une personne ou même 20 personnes en Egypte qui détestent l'Algérie, il y a 80 millions à côté qui l'aiment et vous aiment». Ils ont consenti à affirmer que «les chaînes satellitaires égyptiennes versent parfois dans l'excès pour étendre leur audience et, par corollaire, engendrer des rentrées publicitaires.» «Sans le savoir, les Algériens ont réunifié les Egyptiens» Pour Mazen, ce qui est appelé en Egypte «les événements de Khartoum» ont eu quelque chose de positif. «Vous avez eu le mérite, sans le savoir, de réunifier les Egyptiens qui, du coup, se sont attachés davantage à leur pays», affirme Mazen. Nous avons pris le soin de lui faire remarquer que les événements du Caire –vrais, ceux-là- ont eux aussi soudé les rangs des Algériens et les ont fait sortir dans la rue. «Oui, mais pas comme chez nous. Nous aussi, nous avons montré que nous savons défiler», a rétorqué Mahmoud, faisant allusion aux festivités populaires ayant suivi la victoire contre l'Algérie de jeudi dernier. Cependant, il a été surpris d'apprendre, de notre bouche, que les Algériens sont également sortis fêter leurs joueurs en dépit de la défaite. «Pourtant, vos supporters sont sévères, surtout après une défaite», s'est-il étonné. «Oui, mais c'était une défaite favorisée par un arbitrage partial», avons-nous précisé. «Codjia a été très complaisant avec les Algériens» Bien sûr, pour nos interlocuteurs, le Béninois Coffi Cojia a arbitré le match de manière impeccable. Plus même : il aurait même été complaisant… avec les Algériens. «Sur le penalty, Halliche aurait dû prendre un rouge direct et non pas un simple avertissement», clame Dr Bakr. «De plus, Chaouchi aurait dû être expulsé après le penalty pour avoir bousculé l'arbitre, mais ce dernier s'est montré gentil avec lui.» Aucune surprise à propos du premier carton jaune gratuit dont avait écopé Halliche. «El Hadhary m'a assuré que Halliche l'avait frappé en lui disputant le ballon», martèle Dr Bakr. Pourtant, les images de la télévision montrent un contact ordinaire sur une action aérienne. «Certes, cela peut arriver das un match, mais je pense que Halliche y est allé un peu fort», ajoute Mahmoud. Et Mazen de conclure à propos de l'arbitrage : «Parfois, il y a des erreurs en défaveur de l'Algérie, mais il y en a parfois eu en sa faveur, comme lors de son match contre la Côte d'Ivoire où le troisième but ivoirien, pourtant valable, n'avait pas été validé. L'Egypte aussi a eu à souffrir de l'arbitrage par le passé. Donc, une fois c'est toi, une fois c'est moi.» «Si nous battons l'Angleterre 3-0 en mars, vous aurez peut-être une chance de la battre» Ce qui est certain, c'est que les Egyptiens se gaussent du 4-0 infligé aux Algériens. «Cette fois, ce sont les Egyptiens qui étaient motivés. J'ai bien vu, lors de leur séance d'entraînement, que les Algériens étaient un peu trop confiants. Lorsque les Egyptiens jouent motivés, ils deviennent puissance 4», se réjouit Mazen. Un supporter égyptien, qui s'est mêlé à la discussion, a ajouté : «Après cette cinglante défaite, les Algériens devaient s'abstenir d'aller en Coupe du monde. Ce serait honteux qu'ils encaissent 7 buts», s'est-il esclaffé. Nous lui avons rétorqué qu'au Mondial, les Verts ne seront pas arbitrés par Coffi Codjia, seul à même d'offrir des buts et des expulsions à l'adversaire. Le supporter a persisté dans ses sarcasmes : «Vous savez, l'Egypte doit affronter l'Angleterre le 3 mars en match amical. Si nous gagnons par 3-0, vous aurez peut-être une chance face à eux !» Et il éclate de rire. «Je suis un ultra, mais je supporterai l'Algérie durant le Mondial» Au terme de la discussion, nos interlocuteurs, dans leur majorité, ont exprimé leur regret que les relations entre les peuples algérien et égyptien se soient détériorées à cause d'un match de football. Mazen insiste sur la nécessité de se réconcilier : «Moi, je suis un supporter ultra. Lors du match de jeudi passé, je n'ai pratiquement vu aucun des buts, tellement j'étais occupé à soutenir l'équipe en chantant et en tapant dans le tambour (c'est lui qui tenait le tambour géant dans la tribune, ndlr). A la sortie du stade, il y avait quelques supporters algériens qui circulaient avec nous, mais nous ne les avons pas touchés. Pourquoi ? Parce que j'ai la conviction qu'il y a plus de choses qui unissent que de choses qui nous séparent. C'est une profonde conviction en moi et c'est pour cela, entre autres, que je suis en train de discuter là avec vous.» Et d'ajouter en nous tapant dans la main : «Sachez que lors du Mondial, je supporterai l'Algérie à fond. Je le dis sincèrement, sans hypocrisie.» Dr Bakr, de son côté, est favorable à un travail de sensibilisation des élites. «Ceux qui ont frappé au Caire et à Khartoum, qu'ils soient égyptiens ou algériens, sont des inconscients. C'est aux gens instruits et sages de faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent plus.» F. A-S. --------------- Le fils de Samir Zaher a de l'humour En apprenant qu'il y avait un journaliste algérien dans le salon de l'hôtel où se trouvaient de nombreux supporters et journalistes égyptiens, Hamada, le fils de Samir Zaher, président de la Fédération égyptienne de football, s'est approché et a dit en souriant : «Savez-vous que je peux devenir un héros dans mon pays ? Pour ce faire, il me suffit de vous kidnapper et de vous emmener au Caire, où les journalistes algériens sont recherchés.» Il a ajouté : «Vous savez que je ne le ferai pas. Je ne fais de mal à personne, tout comme mon père.» «Je vous invite à suivre la finale avec les Ultras» Mazen, les des chefs des Ultras égyptiens venus supporters leur équipe en Angola, s'est montré très conciliant et d'une grande disponibilité envers nous. «Vous travaillez dans un journal que nous respectons», nous a-t-il affirmé. «Nous vous avons battu et pris notre revanche. Pour moi, les incidents sont maintenant de l'histoire ancienne.» Comme signe de bonne volonté, il nous a lancé : «Je vous invite à suivre la finale avec nous, les Ultras, dans les gradins. Rassurez-vous : personne ne vous touchera.» Nous avons décliné poliment l'invitation, car devant couvrir le match à partir de la tribune de presse. Les Egyptiens dans le même hôtel que les Verts La délégation égyptienne est logée à Luanda à l'hôtel Continental, le même où avait été hébergée la délégation algérienne durant le tour des poules. Cette coïncidence a fait sourire les journalistes égyptiens. Entraînement au Coqueiros Non seulement les Egyptiens sont dans le même hôtel où avaient logé les Verts, mais ils se sont entraînés hier au stade Coqueiros, celui sur lequel s'entraînait l'Algérie. Comme quoi, il y a de ces similitudes… Shehata interdit au fils de Zaher de loger avec les joueurs Le sélectionneur de l'Egypte, Hassan Shehata, a exigé que ses joueurs soient isolés de toute présence étrangère à l'hôtel Continental. Ainsi, non seulement aucun journaliste égyptien n'a été autorisé à loger dans cet hôtel, mais même le fils de Samir Zaher, Hamada, qui est d'habitude hébergé avec les Pharaons, a été prié d'aller dans un autre hôtel. Raouraoua et Zaher se sont parlés, selon les Egyptiens Selon Dr Bakr, qui est un ami proche de Samir Zaher, Mohamed Raouraoua et Samir Zaher ne sont pas du tout fâchés. «Ils ont pris le même avion, affrété par le COCAN, au soir du match de jeudi passé pour se rendre à Luanda afin d'assister à l'assemblée générale de la CAF», a-t-il assuré. «Je vous dirai même plus : Raouraoua a appelé au téléphone l'entraîneur adjoint Shawki Gharib, qui était à mes côtés, pour le féliciter de la victoire égyptienne. C'est vous dire qu'il n'y a rien entre Raouraoua et les Egyptiens.»