«Je le dis haut et fort : je suis innocent» Après trois années de silence forcé, à la suite de son incarcération suite à l'affaire Khalifa, l'ancien sélectionneur des Verts a choisi d'accorder sa première sortie médiatique au Buteur. Dans cet entretien exclusif, Meziane Ighil revient sur ce qu'il a vécu dans la prison de Bouira où il a purgé sa peine. Toujours aussi éloquent et agréable, l'homme n'a rien perdu de sa verve, encore moins de sa dignité. C'est dans les yeux qu'il vous regarde en vous parlant, l'air fier et l'allure toujours imposante. Ighil est resté le même, aussi charismatique que sympathique. A aucun moment il n'a éludé la moindre question, aussi gênante soit-elle. «Vous publiez toute notre discussion, je n'ai rien à cacher !» «Vous publiez toute notre discussion, je n'ai rien à cacher, bien qu'on ne soit jamais fier de parler de prison et d'incarcération. C'est une étape de ma vie, de mon destin. Je n'y peux rien. C'est le mektoub», nous dit-il l'air désolé, mais avec un regard qui laisse échapper toute la rage qu'il a ravalée pendant son emprisonnement. Aujourd'hui, plus que jamais, Meziane Ighil semble vouloir rechausser les crampons du robuste défenseur qu'il a toujours été sur les terrains, pour défendre cette fois-ci une cause aussi sincère que celles des couleurs nationales pour lesquelles il a donné toute sa vie et qui se résume en son… honneur ! Sa Coupe du monde, il l'a déjà gagnée ! Oui, Ighil ne veut rien lâcher de cette affaire qui a éclaboussé lui et sa famille, au moment où ils s'y attendaient le moins. Mais il réfute toute idée de prendre une quelconque revanche et ne parle même pas d'injustice ou de trahison. La sagesse qu'il a cultivée entre quatre murs y est sans doute pour beaucoup. Requinqué et prêt pour tous les autres combats que lui réserve la vie, l'ancien patron des Verts est aussi motivé que ses anciens joueurs. Mais sa Coupe du monde à lui, il l'a déjà gagnée depuis le jour où il s'est jeté dans les bras de ses enfants et des milliers de ses fans qui lui portent toujours le même respect. Appréciez l'échange ! * Tout d'abord, on voudrait vous remercier de nous avoir accordé l'exclusivité de votre retour sur la scène médiatique, malgré les nombreuses sollicitations dont vous avez fait l'objet. Quoi de plus naturel que de m'adresser à un journal sportif de la qualité du Buteur, parce que mon image cadre avec l'actualité sportive depuis déjà de très nombreuses années. Enfin, j'estime que c'est tout à fait correct de m'adresser au Buteur, vu aussi les nombreux clins d'œil que vous m'aviez adressés lors de mon «absence» -je dirai cela, comme ça aujourd'hui-. Des gestes que j'ai fortement appréciés. Ainsi que le soutien que vous avez apporté à ma famille et cela, dans des moments délicats et difficiles. Je crois que c'est tout à fait normal que j'inscrive mon «retour» médiatique comme vous dites dans ce cadre sportif que vous m'offrez. * Est-ce que vous aviez senti que vous avimanquiez de soutien, lors de votre incarcération ? C'est clair qu'au départ, on en veut à tout le monde, à la terre entière ! Mais en fin de compte, je peux dire que j'ai eu le soutien de beaucoup d'amis, beaucoup de gens que je ne connaissais même pas parfois. Ça allait du simple supporteur aux plus proches. On m'avait manifesté beaucoup de soutien et de sympathie, soit à travers ma famille, soit par l'intermédiaire d'autres personnes. Je dois reconnaître que le monde sportif a été présent à mes côtés d'une manière ou d'une autre et cela était très appréciable durant la période que je traversais. * Comment avez-vous vécu votre retour à la maison ? Avec beaucoup de joie, c'est clair ! Lorsqu'on a été privé de sa famille pendant toute cette période, malgré les visites que je recevais chaque week-end, on ne peut qu'apprécier ce bonheur de les retrouver, d'être aussi et surtout libre ! Rien ne vaut le moment où l'on retrouve les siens, les toucher, les serrer dans ses bras… C'est vrai que c'est un mélange de bonheur mais aussi d'inquiétude. Les larmes se disputent au rire… Enfin, il y avait tous les sentiments qui s'entrechoquaient. Il y avait trop d'émotions, c'était trop chargé. Mais ce sont des moments agréables et inoubliables. * Vous vous rappelez du dernier jour passé en prison ? (Il sourit). C'était peut-être le jour le plus long de tous ! La veille de ma libération déjà et même plusieurs jours auparavant, je me mettais à réfléchir sans arrêt aux retrouvailles avec ma famille et le monde extérieur. Mais le dernier jour était forcément un peu plus chargé que tous les autres. Il m'a paru trop long. Je n'avais pas fermé les yeux de la nuit, j'attendais avec impatience le lendemain pour être enfin libre et retrouver les miens. C'était tellement chargé en émotions, car ça signifiait pour moi la fin d'une période extrêmement harassante. En quittant les lieux, en fermant la porte de la prison derrière moi, j'avais refermé cette page que je rouvre exceptionnellement aujourd'hui avec vous. * Il y avait qui à votre sortie ? Toute ma famille et certains proches. En fait, j'avais anticipé en demandant à ma famille de dire à ceux qui voulaient m'accueillir de s'abstenir, avec mes remerciements. Car je voulais que mon retour se fasse dans l'intimité familiale, que ce moment soit exclusivement réservé à ma famille. * Avec du recul, que ressentez-vous aujourd'hui en revoyant le film de votre incarcération, avec toutes ces images du tribunal, les avocats, les juges, les policiers, les médias, les curieux, le verdict et tout ce qui s'en est suivi ? C'est pénible de repenser à tout cela. Tous ceux qui ont vécu de tels moments pareils vous diront que c'est extrêmement difficile à vivre. C'est très lourd à porter, que ce soit avant, pendant ou même après. C'est une période extrêmement dure. Beaucoup de choses défilent dans la tête. On se surprend parfois à penser même à la pire des choses… * Pourquoi en arriver là ? Je crois que c'était une réponse qu'on a envie de donner à toutes les interrogations qui nous broient la tête. * Un cri de détresse ? En fait, lorsqu'on vit une telle situation, quand on est dépassé par les événements, on pense à toutes les possibilités pour s'en sortir et parmi ces possibilités, la délivrance, c'est aussi cela. On n'a qu'une envie à ce moment, c'est d'en finir avec toute cette situation. * Une incompréhension, une injustice, une trahison..., comment vous l'appelleriez aujourd'hui ? Je ne sais pas… C'est la fatalité ! Je l'appellerai comme cela : la fatalité. C'est le destin de chacun d'entre nous. Le mektoub, comme on le dit chez nous. Je ne conteste rien pour l'instant, car je ne voudrais pas parler encore du procès. * Pour quelles raisons ? Tout simplement parce que j'ai introduit un pourvoi en cassation et j'attends que les choses s'éclaircissent à l'avenir. * L'affaire n'est donc pas terminée aujourd'hui, non ? Non, pas tout à fait. * Et qu'est-ce que vous espérez dans ce pourvoi ? J'espère que les choses seront plus claires dès qu'on aura une réponse et que les responsabilités des uns et des autres soient clarifiées. Qu'on redistribue les cartes comme il se doit, entre ceux qui ont fauté et ceux qui ne l'ont pas fait ; ceux qui ont trompé et ceux qui ont été trompés. Enfin, je n'aimerais pas spéculer sur cette affaire, car elle est toujours en cours. Je dis simplement que je souhaite que les choses soient claires et que ceux qui n'ont pas de responsabilités dans cette affaire soient rétablis dans leurs droits. C'est tout. * Vous espérez toujours être établi dans vos droits ? Tout à fait, car j'estime que dans cette affaire-là, je n'ai pas pu me défendre comme je l'espérais. Car quand on se présente pour la première fois devant un juge, on n'a qu'une envie en tête, c'est de voir cette histoire se terminer au plus vite. On est tellement crispé, tendu, on vit cela de manière cinglante et douloureuse. On est très embarrassé d'être là et on a envie que ça se termine vite. * Surtout lorsqu'on a été exposé comme vous l'avez été ? Oui, lorsqu'on est exposé de la sorte, ça devient très pénible à vivre. D'habitude, j'étais exposé de manière plutôt positive dans les médias, avec mon club, avec l'Equipe nationale et tout. Mais là, je l'étais de la pire manière qui soit. C'était difficile de supporter tout cela, car dans ma tête et dans ma vie, mon itinéraire ne m'emmenait pas forcément à cette issue, à cet endroit. Je n'avais jamais pensé à en arriver là. Mais c'est aussi cela le destin. La vie nous mène là, même si parfois on estime n'avoir rien fait pour le mériter. Lorsque j'étais en prison, on me disait : «L'hôpital et la prison, ce sont deux éléments avec lesquels il faudra toujours composer, car on ne sait jamais ce qui peut arriver dans la vie. Nul n'est à l'abri d'un passage par ces deux endroits !» Ce sont des choses qui peuvent arriver à tout le monde et à tout moment. * Qu'est-ce qui vous a permis de tenir et de ne pas sombrer ? La foi en Allah ! C'est ce qui m'a permis de me reprendre et me relever. Me réapproprier une vie qui me fuyait, me tournait le dos. C'était très difficile, mais la foi en Dieu m'a sauvé et m'a permis de me remettre sur le droit chemin, dans le bon sens. Et je n'oublierai pas aussi le rôle qu'ont joué ma femme et mes enfants durant tout ce temps. Ils m'ont entouré de tout leur amour, tout leur soutien. Ils m'ont donné beaucoup de courage. C'est vers eux que je me tournais, tout le temps, toutes les heures, à chaque instant. Je revoyais leur image et ça me redonnait du courage. Ils étaient là, tous les week-ends. C'était aussi pour eux que je devais me battre. Pour mes filles afin qu'elles poursuivent normalement leurs études, pour mon fils, afin qu'il croit un peu plus à la vie, qu'il continue de se battre. Et j'espérais que tout allait redevenir comme avant, pendant ce moment noir et obscur dans la vie d'un homme qui ne s'attendait jamais à vivre un instant aussi cinglant. Mais enfin, il était là et je devais composer avec. Aujourd'hui, je peux en parler enfin au passé… * Revenons un peu en arrière, si vous le permettez. Aviez-vous senti dans cette affaire Khalifa que vous avez été lâché dans le dernier virage du procès ? Non, non, je me suis toujours considéré comme un citoyen ordinaire. Je veux dire, mes amis, je les avais depuis mon enfance, je n'avais jamais quitté mon quartier, je n'ai jamais quitté mon milieu… En fait, j'ai toujours vécu dans ce qui a été mon environnement, dans le monde du sport et celui du football en particulier. Voilà, je ne suis pas devenu industriel, je ne suis pas devenu homme d'affaires. J'ai toujours évolué dans mon milieu, même si mon milieu avait parfois accès à d'autres milieux qui ne sont pas forcément les nôtres. Non, j'ai toujours été quelqu'un d'ordinaire, justiciable comme monsieur tout le monde. Mais j'ai été surpris d'être mêlé à cette affaire. * Les choses se sont précipitées pour vous avant le verdict, non ? Trop même ! J'ai été rapidement pris dans un tourbillon, puis vint le verdict ! Je ne m'attendais vraiment pas à cela. * Pourriez-vous nous dire comment vous aviez vécu tout cela ? En fait, j'étais avec l'équipe olympique à l'étranger et lorsque j'ai appelé ma famille, on m'a dit qu'il y avait un courrier de la justice. Dès que les jeux étaient finis, je suis rentré un peu plutôt que les autres pour voir de quoi il s'agissait au juste. J'ai donc répondu à la convocation du juge le plus normalement du monde et là, les choses se sont précipitées de manière trop rapide. * On vous avez appelé d'abord comme témoin, c'est ça ? Oui, comme simple témoin. Au départ, je ne connaissais pas les procédures usuelles de la justice. Je croyais donc n'être là que pour apporter un témoignage ordinaire, parmi tous ceux qui gravitaient autour de cette affaire Khalifa. J'étais un président de club (le NAHD, ndlr), sponsorisé par Khalifa à l'époque. J'ai dû répondre donc comme monsieur tout le monde. Puis, les choses se sont précipitées et compliquées. C'est ce que j'ai envie donc de comprendre, de clarifier un jour. Voilà, c'est tout ce que je peux dire pour l'instant, parce que j'estime que ce n'est pas l'endroit idéal pour le faire. Et comme il y a un pourvoi en cassation, je suppose qu'il va y avoir une suite qui sera donnée et que les choses vont se clarifier cette fois. Du moins, en ce qui me concerne personnellement, car cette affaire Khalifa, je l'avais découverte pendant le procès. * A quel moment aviez-vous senti que ça devenait sérieux ? Jamais ! A aucun moment je n'avais pensé que ça allait glisser de la sorte. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je m'étais toujours considéré comme quelqu'un qui ne devait pas être là. Pour moi, j'étais l'élément de trop dans cette histoire, un intrus qui ne devait vraiment pas être là. Mais les choses n'avaient pas été perçues comme elles devaient l'être. Je ne sais pas, mais enfin, l'important était que la justice avait tranché, malheureusement en ma défaveur et j'ai introduit un pourvoi en cassation en espérant que les choses s'amélioreront. * Êtes-vous au courant des conséquences d'un pourvoi en cassation ? Oui, enfin, si la Cour Suprême accepte votre pourvoi en cassation, il y a un autre procès et puis vous y allez pour vous expliquer de nouveau. On peut vous maintenir la sanction, on peut la prolonger et on peut aussi vous donner une relaxe. * En sachant cela, ne pensez-vous pas que vous allez prendre de gros risques ? Non, non, je suis conscient de tout cela. Beaucoup m'ont déconseillé de le faire, en pensant que je pouvais bénéficier d'une grâce quelconque. Mais moi, je considère que j'étais l'élément de trop dans cette affaire. Je me dois donc d'expliquer ce qui s'est passé de mon côté, pour qu'on comprenne réellement ma situation. Je me sens de trop dans cette histoire. * Vous vous sentez victime d'une injustice ? Non, je ne peux pas dire les choses comme ça. Je n'ai pas le droit de faire des appréciations sur un jugement. Je n'ai pas le droit de la faire. Je dis tout simplement qu'à mes yeux, je ne mérite pas cette sanction. * Si vous aviez une dernière phrase à dire au juge pour vous expliquer encore ? En fait, je dirai que je me sens toujours innocent dans cette affaire. J'ai toujours clamé haut et fort que je n'avais pas de responsabilité dans cette affaire. Vous savez, une fois, en parcourant un des très nombreux livres que j'ai lus en prison, je suis tombé sur une citation d'un grand homme d'Etat algérien qui disait : «Si j'avais fauté, j'ai suffisamment payé pour ma faute, et si j'étais innocent, j'ai aujourd'hui la sagesse de pardonner». * Et vous, vous dites quoi ? Moi, je dirai que si j'avais vraiment fauté, je pense avoir beaucoup payé pour cela et si un jour j'arrive à prouver mon innocence, alors j'espère vraiment avoir la sagesse de pardonner. * Et c'était qui ce chef d'Etat algérien ? Monsieur Ben Bella… * Et à ceux qui sont persuadés que vous méritez cette sanction, vous leur direz quoi ? Je dirai que chacun est libre d'avoir un jugement. Mais le plus important, c'est ce que moi je ressens au plus profond de ma conscience. Car je suis tout à fait serein en pensant à cette histoire. En tous les cas, je ne pense pas être un élément qui mérite ce que j'ai eu. A ceux qui pensent que je mérite bien cela, je dirai tout simplement : «Hasbiya Allah oua ni'ma el wakil !» (C'est Dieu qui me jugera et c'est à Lui que je confie ma défense, ndlr). Je ne peux pas en tous les cas justifier à tout un chacun la situation. Il est difficile en l'état actuel des choses de m'étaler sur les raisons de tout ce qui s'est passé. J'estime que je n'ai pas le droit de le faire, car l'affaire est toujours en cours. Je ne dois pas en parler, mais dire ce qui s'est passé, je pense que tout le monde le sait aujourd'hui. Encore une fois, et je l'ai toujours soutenu, on a peut-être mal apprécié mon rôle. On l'a surdimensionné dans cette affaire. * Est-ce que vous pouvez nous raconter vos sentiments le jour où vous aviez été obligé de suivre les policiers vers la prison ? Oui, en fait, on s'était présentés au procès à l'appel du juge et après le verdict, on nous a conduits en prison. C'est vrai que je découvrais cet univers pour la première fois et j'ai subi cela de manière frontale. Mais en revanche, moi qui avais l'habitude de vivre en collectivité, je n'avais donc pas été surpris d'être au milieu d'une foule. Ce qui était pesant et surprenant par contre, c'était ce sentiment d'être en prison. C'est cela qu'on ne supporte pas. Le fait d'être enfermé, cloitré, pas libre de ses mouvements. En fait, on se sent puni ! Pour moi, c'était le fait d'être puni qui me gênait le plus. Je n'avais pas l'habitude de ces choses-là. Et surtout aussi le regard des autres qui est toujours inquiétant. * Qu'est-ce qu'on lit dans le regard des autres, lorsqu'on s'appelle Meziane Ighil et qu'on se retrouve tout d'un coup en prison ? D'habitude, les gens qui m'accostaient dans la rue me posaient des questions sur le foot, le NAHD ou l'Equipe nationale. C'était toujours des marques de considération. Des regards emprunts d'admiration, de sympathie, mais j'ai aussi croisé des regards qui ne m'admiraient pas trop. En votre for intérieur, c'est ce genre de questionnements qui vous reviennent un peu. Comment va-t-on vous accueillir ? Vous qui êtes connu, quels regards allait-on poser sur vous aujourd'hui que vous êtes dans cet endroit. En plus, les détenus étaient des hommes à majorités jeunes, donc forcément, beaucoup savaient qui j'étais. Je scrutais beaucoup leurs regards au départ, mais en fin de compte, je n'ai pas remarqué de mauvais comportements de qui que ce soit. Bien au contraire même ! On m'a témoigné beaucoup de soutien, beaucoup de sympathie aussi. Les gens étaient comme… désolés que je les rejoigne dans cet endroit. Je sentais qu'il y avait beaucoup de compassion de leur part à mon égard. * Est-ce qu'on vous a dit que d'autres personnes auraient mérité d'être en prison à votre place ? (A suivre…)