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Le dernier mot des accusés : « Je suis innocent, je vous fais confiance »
Publié dans El Watan le 10 - 03 - 2007

Une fois l'onde de choc émotionnelle passée, la présidente passe à l'étape du dernier mot, donné aux accusés et à leurs avocats. Ceux-ci lui font savoir qu'ils sont prêts à lui épargner cette tâche.
Elle leur précise : « Mais moi j'ai envie d'entendre le dernier mot des accusés. » Elle les appelle un à un et leurs déclarations se ressemblent toutes, même si certains ont utilisé des propos plus poignants avant de fondre en larmes. Rahal Omar est le premier à prendre la parole, parmi les accusés poursuivis pour crimes, pour rejeter les accusations. Akli Youcef, le caissier principal, le plus ancien des détenus, qui bouclera ses quatre années en détention le 23 mars prochain, estime qu'il n'a fait que travailler à El Khalifa Bank et qu'il n'a rien gagné de cette banque. Chaâchouâ Ahmed (le père) regrette qu'après ces trois années dans les maquis et trois autres années à Lambèse durant la guerre de libération et ses 23 années en tant qu'officier de la police judiciaire, il se retrouve en prison. Il exprime sa confiance en la justice et en la présidente, avant de laisser place à son fils Abdelhafid. Il relève que les pires années 90, durant lesquelles il a eu à affronter le terrorisme en tant qu'officier de la police judiciaire, ne sont pas le pire pour lui. « Ce sont les deux mois que j'ai passés en prison avec mon père qui m'ont le plus touché », dit-il. Devant la barre, Ighil Meziane Ali, cette grande figure du monde du football, surprend l'assistance et surtout provoque une forte charge émotionnelle. « J'ai passé une grande partie de ma vie, plus de 40 ans, dans une autre sphère que celle de la banque, celle du sport, notamment le football. J'ai eu l'honneur de servir mon pays à plusieurs occasions avec intégrité et loyauté. Mon seul tort est d'aller à la recherche de sponsors pour les équipes de football. Aujourd'hui, je me retrouve accusé d'appartenance à une association de malfaiteurs. Je n'ai rien fait. Je n'ai pris aucun sou qui ne m'appartient pas. Je vous demande de me réhabiliter. Je ne suis pas un monstre comme on a voulu bien me décrire », dit-il avant d'éclater en sanglots. Même son avocat, maître Boulefrad, n'a pu résister, au point où ses confrères l'ont pris par les bras pour lui faire quitter la salle. Toudjene Mouloud, le directeur de la comptabilité, précise : « Quel que soit le verdict qui tombera, je sais qu'il sera juste. C'est le sentiment de tout le monde. Vous étiez à la hauteur de cette lourde mission. Vous devriez être fière et soyez sûre que votre nom restera gravé dans la mémoire collective. » Soualmi Hocine, le directeur de l'agence des Abattoirs, se reprend. Il présente ses excuses pour les propos qu'il a tenus durant son audition et à cause desquels la présidente a levé l'audience. « Je m'excuse pour mon comportement. Je suis résident en France, et en dépit de cela, je n'ai jamais fui la justice ou les services de sécurité lorsqu'ils m'ont convoqué. J'ai travaillé avec sincérité. Je suis innocent. Cela fait deux ans que je n'ai pas vu mes enfants, j'ai envie que cela soit terminé. » Guers Hakim, directeur de l'agence d'Oran, déclare avoir été pressé d'être jugé et à ce titre il avait initié une grève de la faim le jour même de l'anniversaire de la mort de son père, soit le 11 mai 2006, qui a duré jusqu'au 22 mai.
« JE DEMANDE JUSTICE SEULEMENT »
« Je voulais en terminer avec la détention. J'ai travaillé pour rien à El Khalifa Bank. Ma conscience est tranquille parce que je n'ai jamais dit que des commissions étaient versées aux responsables des sociétés publiques. Je donnais cet argent aux dirigeants de la banque. Ils venaient les récupérer d'Oran, mais ce qui se passe après, je ne peux le savoir. » Fouddad Adda, l'ex-divisionnaire de la Sûreté nationale et ancien directeur de l'école de police de Aïn Benian, affirme : « J'ai milité durant toute ma vie pour mon pays. Ils ont volé mon argent qui est propre parce que gagné à la sueur. Mais je n'ai pas compris pourquoi mes deux demandes de liberté provisoire m'ont été refusées par la chambre d'accusation pour être maintenu en prison depuis presque deux ans. Je demande justice seulement. » Yacine Ahmed, ancien PDG de Digromed, demande « humblement » à la présidente de le « réhabiliter et de me rendre ma liberté. Vous êtes entré dans l'histoire, je vous fais confiance ». Boukadoum Karim affirme être innocent et qu'il n'est pas dans ses coutumes ni dans l'éducation qu'il a eu de voler. « Je mets tous mes espoirs entre vos mains, pour mettre un terme à ce cauchemar qui dure depuis 2 ans. » Aziz Djamel, directeur de l'agence d'El Harrach, estime qu'il est innocent et qu'à ce titre, il est temps qu'il rentre chez lui rejoindre ses enfants qu'il n'a pas vus depuis deux ans. Même Djamel Guellimi, ancien inspecteur général de Khalifa Airways, et directeur général de Khalifa TV, qui s'est montré très dur lors de son audition par le tribunal, a fini par fléchir. « Le jour où Abdelmoumen a sollicité mon père pour la création de sa banque, je ne savais pas que j'allais ramener le malheur à ma famille. Aujourd'hui, j'ai comme l'impression d'avoir tout perdu, mes parents et mes enfants. Dans l'affaire de l'aéroport, j'ai été retenu en détention pendant trois mois, illégalement, après avoir bénéficié d'une grâce de deux mois, sur une peine de 18 mois de prison, dont 16 mois étaient déjà purgés. Lorsque j'ai reçu la convocation pour cette affaire, j'ai tremblé. Mais quand j'ai su que c'est vous qui alliez juger, j'ai repris confiance car vous êtes loyale et juste. Je suis innocent. » Nekkache Hamou, directeur de la comptabilité, souligne que dans cette affaire, c'est lui qui est victime. « J'ai travaillé honnêtement à El Khalifa Bank, mais Abdelmoumen m'a trahi. ‘'Nouakal aâlih Rabi'' (Dieu le jugera). » Abdelwahab Réda, l'ancien garde du corps de Abdelmoumen, souligne sa confiance en le tribunal, parce que, dit-il, il est innocent. Amghar Mohamed Arezki déclare que durant ses 37 années de carrière professionnelle bancaire, il n'a jamais connu de problèmes, jusqu'à ce qu'il intègre El Khalifa Bank. « Je ne suis pas un malfaiteur ni un voleur. Je suis innocent », conclut-il. Les autres accusés, Djamel Zerrouk, Kechad Belaïd, Issir Idir Mourad, Mir Ahmed, Mir Omar, Sedrati Messaoud, Ghouli Mohamed, Larbi Salim, Bousahoua Mohamed Rachid, Aggoun Lhadi, Badreddine Chaâchouâ, Dallal Abdelwahab et Chebli Mohamed, ont tous déclaré être innocents et faire confiance au tribunal. Les 61 accusés, poursuivis ont également, dans leur majorité écrasante, exprimé leur confiance en la justice, notamment en la présidente. Certains comme Mimi Lakhdar et Sekkhara Hamid, les deux commissaires aux comptes d'El Khalifa Bank, Benhadi Mustapha et Bourayou, les patrons de la société algéro-espagnole, Bourkaïb Chafik, Boukerma Hakim, Laggoune Majda, Hadadi Sid Ahmed, Lahlou Toufik, Ladjlat Lilya, Mohamed Belekbir, Djaout Mustapha, Jedidi Tewfik, Mohamed Abbas Tlemçani, Benameur Farid, Si Amor Zineddine, Si Ameur Saïd, Mohamed Ouandjeli, Boubedra Hassène, Amarouchène Amar, Benamar Mahfoud, Arifi Salah, Bousabaïne Rabah, Meziani Abdelali, Laïchar Rachid, Bourahla Hamid, Meziani Mouloud, Safi Telli, Kerrar Slimane, Benyoucef Miloudi, Boulefrad Bouabdellah, Belkhodja Saléha, Ouaïl Abdelhamid, Noureddine Boucenna, Tayeb Boucetta Ali, Sahbi Daoud et Assila Daoud, se sont limités à déclarer leur innocence ajoutant juste qu'il font confiance à la présidente. En pleurs, Meziane Bettahar Meziane affirme qu'il n'a jamais eu l'intention de prendre quoi que ce soit. Samira Bensouda, l'ancienne directrice du bureau d'Alger de KTV et de K News, finit par céder après deux mois de tension. Elle éclate en sanglots et perd la voix dès qu'elle se met devant la barre. Elle se ressaisit après quelques minutes : « Je croyais que j'étais forte, mais cette affaire m'a complètement affaiblie. Mon seul tord est d'aimer mon pays. » Lynda Benouis affirme qu'elle n'a rien fait et qu'elle n'a jamais abusé de la confiance de qui que ce soit, encore plus les déposants d'El Khalifa Bank. Laouche Boualem, la gorge nouée, la voix éteinte, les yeux rouges de larmes, déclare : « Vous êtes une excellente procédurière. Vous nous avez donné un cours magistral. Je suis innocent. » Jean Bernard, cet instructeur d'Antinéa, affirme : « Comme mon nom ne l'indique pas, je suis un Algérien honnête. Je suis innocent et je fais confiance à la justice de mon pays. » Zbiri Mahdi se dit « très fier d'avoir été devant ce tribunal », avant de demander : « Vous êtes une mère, alors soyez juste comme une mère. » Medjiba Rachid, ancien directeur des télécommunications à Khalifa, déclare que cette affaire « a eu d'énormes répercussions sur ma famille, mon entourage et mon travail. Mais la confiance, l'intégrité et la compétence ont un prix. J'ai confiance en la justice. Personne ici ne veut parler, mais moi je vais le faire au nom de tous les accusés et leurs familles et des gens que je rencontre dans la rue ; vous étiez à la hauteur et vous avez montré votre grand humanisme. Nous ne pouvons oublier cela. » Smati Bahidj Farid, celui qui avait craqué le jour de la plaidoirie de son avocat, se montre plus fort. Il dit être innocent en étant convaincu que le tribunal rendra une décision juste. Yesli Yahia exprime son vœu d'être réhabilité pour changer le regard de la rue sur lui et sur les autres accusés.
« SORTEZ-NOUS DE CE CAUCHEMAR »
Du haut de ses 80 ans, Berber Ahmed n'a pas eu la force de terminer sa phrase. Il éclate en sanglots dès qu'il déclare « je suis innocent ». Belarbi Hamdane Salah, de la mutuelle des œuvres sociales de la sûreté nationale, tente de lancer un message très pertinent. « Les deux actes que l'on me reproche aujourd'hui ont été accomplis au nom de l'institution et non pas à mon nom personnel, comme on veut le faire croire. Dans les deux actes, il n'y a pas ma signature. Je ne comprends pas pourquoi on veut personnaliser les deux opérations. Je suis innocent. » Tchoulak Mohamed, de la mutuelle des P et T, dépendant de l'UGTA, estime avoir travaillé dans la transparence. « Je n'ai jamais pensé être un jour poursuivi. Je fais confiance à la justice et surtout à ce tribunal », conclut-il. Benchefra Ahmed, l'ancien directeur de l'OPGI de Constantine, se demande pourquoi le mauvais sort le poursuit, en précisant que son nom a été omis lors des plaidoiries. Il cite un verset coranique avant de plaider son innocence. Menad Mustapha, le directeur financier de la Cnas, déclare qu'il a été, durant ses 32 années de service, intègre. « Je me retrouve aujourd'hui devant un tribunal criminel. C'est le tribut d'un cadre algérien. J'estime qu'il y a de l'espoir pour rétablir l'injustice. » Rahal Réda, PDG de Enageo, une filiale de Sonatrach, exprime sa confiance en la justice, avant de lancer, en larmes : « Sortez-nous de ce cauchemar. » Ali Aoun, PDG de Saidal, récuse toutes les accusations portées à son encontre. « J'espère que vous allez prendre la décision qu'il faut, c'est-à-dire la relaxe, pour me permettre de m'occuper des 4500 familles à ma charge qui m'attendent et pour que je puisse reprendre mon travail. » Keireddine El Oualid, ancien DG des OPGI de Relizane, Oran et Constantine, et l'actuel DG de l'AADL, préfère le « je suis innocent », froid et rapide, aux explications. Benachir Berkat affirme, pour sa part, qu'il n'arrive pas à supporter le poids de ce mot qu'est la corruption. « Je vis très mal. Je n'ai jamais rien pris. Je suis traumatisé. Je me sens soustrait de la société. » Aït Belkacem Mahrez, ancien DG de la Caisse nationale des retraités (CNR), déclare : « Je ne suis pas un malfaiteur. Je suis un cadre qui a toujours servi son pays. J'attends de la justice qu'elle me protège. » Bennaceur Abdelmadjid, ancien DG de la Cnas, indique : « Durant toute ma vie professionnelle, j'ai toujours assumé les missions qui m'ont été confiées. Je suis innocent et je fais confiance à la justice. » Finie cette procédure, la présidente lit, dans un silence de marbre, le contenu de l'article 307 du code de procédure pénale. Celui-ci insiste sur la conviction profonde des trois juges, dans leur réponses « aux 12 000 questions, et non 1200, sans celles qui pourraient être ajoutées lors de la délibération », déclare la présidente, précisant que pour uniquement Akli Youcef, par exemple, il y a 411 questions. Celles-ci, dit-elle, sont liées surtout au nombre des victimes, donc plus il est important, plus elles (questions) sont nombreuses. Elle donne rendez-vous à l'assistance pour le 19 mars prochain, à 12h, mais les avocats réfutent cette date et lui proposent celle du 20 mars. Elle finit par retenir celle du 21 mars, en insistant sur la présence obligatoire de tous les accusés, « même s'il faut recourir aux moyens prévus par le code de procédure pénale pour vous faire venir », dit-elle. Ces ultimes moments sont marqués par des embrassades, des échanges de coordonnées, de numéros de téléphone et par des larmes également chez les membres des familles des accusés, les avocats et même les journalistes. Les deux mois de procès ont fini par tisser des liens profonds entre tout le monde.


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