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Kalusha Bwalya «Chaouchi ne peut pas devenir mauvais du jour au lendemain»
Publié dans Le Buteur le 12 - 07 - 2010

«Ce n'est pas normal que durant la CAN, on parle déjà de Coupe du monde»
S'il est actuellement président de la Fédération zambienne de football, Kalusha Bwalya est surtout connu pour sa qualité de meilleur footballeur zambien de tous les temps. Présent en Afrique du Sud en tant que membre de la commission technique de la FIFA, il a suivi les matches en observateur averti, en gardant surtout l'œil sur les sélections africaines. Il a bien accepté de nous faire une évaluation de la participation africaine, surtout celle de la sélection algérienne qu'il connaît bien depuis la phase des qualifications.
Maintenant que la Coupe du monde 2010 est terminée, peut-on faire un bilan sur la participation africaine ?
Cela a été difficile pour les sélections africaines. Nous nous attendions à ce qu'une ou deux sélections passent au second tour, mais il n'y en a eu qu'une seule qui l'a fait. Les sélections se sont préparées, les sélectionneurs ont pris des décisions et les joueurs étaient venus avec plein d'ambitions. En tant qu'Africain, j'estime que ces sélections ont perdu beaucoup d'efforts et d'énergie dans les qualifications et, une fois au Mondial, elles se sont montrées trop prudentes. Pourtant, le Mondial est une fête du football et les joueurs africains auraient dû se lâcher davantage et donner tout ce qu'ils avaient sur le terrain. Certes, les équipes africaines ont montré un niveau technique acceptable, mais il était loin de celui affiché lors des qualifications. Autant ces sélections avaient été très bonnes, voire excellentes durant les matches qualificatifs, jouant jusqu'à 80 % de leur potentiel, autant elles semblaient, dans ce Mondial, avoir uniquement le souci de ne pas perdre. C'est mon analyse. Je crois qu'il faudra apprendre de cette participation afin de se montrer plus conquérant lors des prochaines éditions.
Pourquoi cette peur de perdre, selon vous ?
Parce que les équipes africaines sont arrivées en Afrique du Sud avec beaucoup de pression sur le dos. C'est propre aux Africains : face aux adversaires supposés plus forts, on subit la pression du résultat à réaliser. Cette pression se fait sentir également en tous lieux et à tous moments : à l'hôtel, lors des entraînements, lors des discussions… Cela commence déjà lors de la Coupe d'Afrique des nations. Alors qu'il y a quatre ou cinq mois qui séparent la CAN du Mondial, il n'y a qu'un seul sujet de discussion durant la CAN : la Coupe du monde, la Coupe du monde et toujours la Coupe du monde. Ce n'est pas normal ! Cela met une pression terrible sur les joueurs qui, de ce fait, ne peuvent pas jouer à leur meilleur niveau.
Prenons les sélections africaines une par une. Qu'est-ce qui n'a pas marché pour la Côte d'Ivoire ?
Je précise tout d'abord que je vous livre des analyses sur ce que j'ai vu. Cela n'engage ni la FIFA ni la Fédération zambienne de football. Pour la Côte d'Ivoire, je crois qu'elle a trop respecté ses adversaires. Par exemple, j'ai été au Soccer City Stadium pour voir son match face au Brésil et j'ai remarqué qu'elle a joué trop derrière. Pourtant, si on prend les joueurs de cette équipe un par un, on trouvera qu'ils ont un niveau mondial. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'effectifs dans cette Coupe du monde qui se targueraient d'être aussi riches que celui de la Côte d'Ivoire. Il fallait laisser libre cours aux joueurs ivoiriens afin qu'ils puissent étaler leur potentiel au lieu de les enfermer dans un schéma tactique trop attentiste.
Il faut dire aussi, à la décharge des Ivoiriens, qu'ils n'ont pas été gâtés par le tirage au sort puisqu'ils ont eu le Brésil et le Portugal dans leur poule ?
C'est vrai. La Côte d'Ivoire est malchanceuse sur ce point puisque même lors de la précédente édition en Allemagne, en 2006, elle était dans un groupe où il y avait l'Argentine et les Pays-Bas. Espérons qu'ils seront plus chanceux lors de la prochaine édition car ils ont vraiment le potentiel pour aller loin dans une Coupe du monde.
Qu'en est-il de la sélection de l'Afrique du Sud ?
Il est très difficile pour une sélection qui n'a pas l'habitude du haut niveau de jouer des matches de Coupe du monde. Cela dit, les Sud-Africains ont fourni quand même de belles prestations. Ils ont réalisé un nul lors de leur premier match contre le Mexique, puis ont perdu face à l'Uruguay, mais ils se sont rachetés en battant la France, vice-championne du monde. Si le cours de l'autre match entre l'Uruguay et le Mexique avait été autre, l'Afrique du Sud serait passée au second tour. N'empêche que ses prestations sont encourageantes et susceptibles de l'aider à apprendre.
Le Nigeria ?
C'est une équipe qui a été également malchanceuse car l'expulsion de Kaita face à la Grèce avait été injuste. Si la sélection nigériane avait terminé ce match à onze, elle aurait pu gagner et serait donc qualifié pour les huitièmes de finale. Vraiment, le Nigeria méritait un meilleur sort.
De plus, face à la Grèce et la Corée du Sud, le Nigeria menait au score, avant de perdre au final…
C'est vrai. Contre la Grèce, le Nigeria tenait bien son match et menait au score, mais l'expulsion de Kaita avait déstabilisé l'équipe qui s'est mise à faire alors n'importe quoi. Cela peut arriver aux meilleurs.
Qu'avez-vous à dire du Cameroun ? Apparemment, c'est toujours une sélection à problèmes…
(Rire.) J'ai assisté au match Cameroun-Danemark. Les Camerounais avaient ouvert le score, puis s'étaient procuré deux ou trois occasions de marquer qu'ils n'ont pas pu concrétiser. Etant revenus derrière, ils ont fini par encaisser. Cela avait découlé d'un manque flagrant de concentration. Le Cameroun devait et pouvait gagner ce match-là, mais ils ont manqué de chance, contrairement aux Danois qui se sont montrés réalistes.
Le Ghana ?
C'est assurément la satisfaction de la participation africaine. C'est l'équipe qui a réussi le meilleur mixage entre joueurs expérimentés et jeunes talents. Tout le monde est précieux dans cette équipe et c'est important pour l'état d'esprit. On sait qu'il y avait une grande harmonie au sein de cette formation. Durant la CAN, elle avait montré les mêmes vertus, à savoir un jeu collectif, un esprit de corps et de l'audace en attaque. C'est une très bonne leçon à méditer pour nous, Africains. Le Ghana a été malchanceux en ratant un penalty décisif, mais cela peut arriver à tout le monde. Les Africains sont très fiers de ce que le Ghana a réalisé et cela a donné une image positive du football de notre continent.
Vous est-il arrivé de rater un penalty important lorsque vous avez été joueur ?
Non, pas comme joueur, mais après ma retraite, oui. Quand j'étais entraîneur, mes joueurs ont raté des penalties, mais ça arrive.
Nous avons laissé l'Algérie pour la fin. Comment analysez-vous ses prestations ?
C'est une équipe qui a un entraîneur très expérimenté, Saâdane. Elle a montré vraiment de belles choses dans tous les compartiments du jeu, sauf en attaque. C'était sa seule lacune. Cela ne veut pas dire que l'Algérie ne possède pas de bons attaquants, mais il se trouve que, dans ce type de tournoi, c'est très dur de marquer. Franchement, cette équipe m'a réconcilié avec le football algérien de ma génération avec les Belloumi, Madjer et Bensaoula. On sentait qu'il y avait un fond de jeu. N'avait été le manque de réussite, cela aurait été très bon. On voit également que la sélection algérienne possède des individualités. Il ne faut pas oublier qu'elle a beaucoup de jeunes, ce qui me donne la conviction que c'est une sélection d'avenir.
Y a-t-il des joueurs algériens qui vous ont impressionné ?
Oui. Il y a les porteurs du numéro 13 (Karim Matmour, ndlr) et 15 (Karim Ziani, ndlr). Ils m'ont plu parce qu'ils jouaient pratiquement en défense et en attaque. Ils se sont beaucoup dépensés et ont fait preuve d'abnégation. J'ai été également impressionné par le gardien de but des deux derniers matches (Raïs M'bolhi Ouhab, ndlr). Je dois dire également que même le premier gardien de but (Faouzi Chaouchi, ndlr) est très bon. J'ai vu le match d'appui Algérie-Egypte et il faut reconnaître qu'il a été pour beaucoup dans la victoire réalisée par les Algériens ce jour-là. Donc, il ne peut pas devenir mauvais du jour au lendemain. Je n'oublie pas l'arrière latéral qui joue à Portsmouth (Nadir Belhadj, ndlr) ainsi que le défenseur axial chauve (Madjid Bougherra, ndlr). En résumé, l'Algérie a de bons gardiens de but, une défense solide, un bon milieu de terrain et une attaque volontaire. Cela a donné une équipe qui peut faire mal à l'avenir.
Quand vous voyez que la Zambie, qui a été dans le groupe de l'Algérie et de l'Egypte durant les qualifications, a tenu tête à ces deux équipes et que, durant la CAN, elle n'a été éliminée en quarts de finale qu'aux tirs au but par le Nigeria, un Mondialiste, n'avez-vous pas des regrets en vous disant que la sélection de votre pays aurait pu faire bonne figure dans ce Mondial si elle y avait participé ?
Non, je n'ai aucun regret. Les joueurs zambiens ont fait de leur mieux dans un groupe de qualification qui était le plus difficile et le plus relevé, avec la présence de l'Algérie et de l'Egypte. Nous avons atteint un cap et cette expérience nous aidera à passer un autre cap lors des prochaines années, avec comme objectif de nous qualifier à la prochaine Coupe du monde. Les 23 joueurs zambiens ayant participé à la CAN-2010 peuvent jouer encore quatre ou six années s'ils le veulent. Donc, nous avons gagné une équipe d'avenir qui fera mal lors des prochaines compétitions.
Quelle est l'image que vous garderez de ce Mondial ?
Sur le plan technique, j'en garde l'image d'équipes qui ont fait montre de trop de prudence. Il aura fallu attendre la phase des matches à élimination directe pour voir des matches plus ou moins ouverts. Je retiens aussi qu'il y a eu des équipes qui ont joué au football comme l'Argentine et le Brésil, même si cela leur a coûté cher au final puisqu'ils se sont fait surprendre à force de se découvrir. Au plan de l'ambiance, je retiens l'image de ces milliers de supporters qui ont rempli les stades et de l'enthousiasme constaté dans les rues et dans toutes les villes, signe que ce Mondial a été un incontestable succès populaire. Je connais des gens qui, depuis le début de la Coupe du monde, ne discutent que du Mondial et se lèvent le matin avec l'empressement de regarder les matches du jour et qui, maintenant que cela va se terminer, se demandent ce qu'ils feront à partir de lundi. Assurément, le Mondial et son ambiance manqueront à beaucoup de personnes.
Même si l'Afrique a déçu sur le terrain, a-t-elle été à la hauteur du point de vue de l'organisation ?
Ah, oui ! A tous points de vue ! Tous les aspects de l'organisation ont été maîtrisés avec excellence. C'était un important challenge à relever pour tout le continent africain. Ce que nous avons démontré est très bon pour notre image vis-à-vis de l'extérieur. Là, après cette Coupe du monde, je suis convaincu qu'il y aura des gens qui reviendront en Afrique du Sud et d'autres qui iront visiter la Zambie, le Zimbabwe ou le Malawi parce qu'ils ont vu que l'Afrique réelle ne reflète pas l'image caricaturale qu'on leur présentait. Les Africains, indépendamment de leurs particularités culturelles, savent jouer de la vuvuzéla, sourire, bien accueillir et avoir la passion pour le football. Je pense que cet acquis est plus important pour l'Afrique que le football en lui-même.


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