«En 2001 ou 2002, on m'a sollicité pour entraîner l'Equipe d'Algérie, mais je n'étais pas libre» Henri Kasperczak est un grand connaisseur du football algérien. Aujourd'hui, c'est avec Djamel Abdoun qu'il apprend tous les jours un peu plus sur les habitudes et le caractère de l'Algérien qu'il qualifie de «dur qui ne se laisse pas faire». Il est actuellement entraîneur du Kavala FC en Grèce. Nous sommes allés à sa rencontre, pour le faire parler de Djamel Abdoun, mais aussi de la Tunisie où il a vécu de 1994 à 1998. Dès qu'il a su qu'on venait d'Algérie, le coach polonais nous a ouvert les portes de son bureau et des vestiaires de son équipe qu'il nous a fait visiter intimement. Rencontre avec un homme droit et sincère. En optant pour le Kavala FC, qu'est-ce que vous avez découvert dans ce club ? J'ai découvert des joueurs ambitieux et un club qui veut aller de l'avant. Ils ont fait venir des joueurs importants qui ont évolué dans le haut niveau en Allemagne ou en France. Il y a bien sûr, à leur tête, votre compatriote Djamel Abdoun qui m'a tout de suite impressionné par la qualité de son jeu à tous les niveaux. Que ce soit dans les dribbles ou les passes, Djamel s'est tout de suite imposé comme le leader naturel de cette équipe. De plus, il ne fuit jamais ses responsabilités et il est là en train de courir partout sur le terrain, de manière très intelligente, afin de faire la différence. Mais qu'est-ce qu'il lui manque pour franchir ce palier qui le sépare des plus grands clubs d'Europe ? Il a prouvé dans les trois derniers matchs ou même ceux d'avant que c'est un joueur complet. Franchement, il m'épate un peu plus à chaque match. Je crois qu'il ne lui manque rien pour intégrer un des plus grands clubs d'Europe. Vous savez, dans le football, c'est souvent une question de chance. Il suffit qu'un superviseur assiste à un de ses matchs pour qu'il soit sollicité par un des grands d'Europe. Il en a le niveau, selon vous ? Certainement ! Il a un très bon niveau qui lui permet d'aller dans n'importe quel club. Je vous dis que c'est juste une question de chance. Si on le repère au bon moment, tout va aller vite pour lui. Je ne vois vraiment pas ce qu'il lui manque pour percer. C'est un talent pur qui a toutes ses chances de jouer dans un grand club. Qu'est-ce qu'il a ramené à Kavala ? Ses qualités techniques, sa clairvoyance et sa vitesse. Tous ses coéquipiers comptent sur lui. Il se donne toujours à fond et ne triche jamais. Il ne s'arrête pas durant les 90 minutes que dure le match. C'est un joueur qui ne lâche absolument rien. Cela se voit beaucoup sur le terrain. Je ne sais pas si vous avez eu la chance de voir ce qu'il fait dans le championnat grec, mais croyez-moi, Djamel Abdoun fait d'excellentes prestations avec Kavala. Bien sûr qu'on le suit, mais à la télévision. Personnellement, quelle a été sa meilleure prestation depuis que vous êtes arrivé à Kavala ? Oh ! Il en a fait beaucoup même. C'est pratiquement lui qui fait tourner l'équipe à chaque match. Contre le Panathinaikos par exemple, Djamel a été tout simplement époustouflant. Il a marqué deux buts et réussi presque tout ce qu'il a tenté sur le terrain. Ce sont des matchs comme celui-là qui marquent. Beaucoup disent qu'il ne fera pas une saison de plus à Kavala, tellement il est sollicité en Grèce. Qu'en pensez-vous ? Oui, c'est possible. Vous savez, tous les grands clubs cherchent à ramener les bons joueurs. Je suis aussi de cet avis. Mais c'est le lot de tous les meilleurs joueurs et Djamel en fait partie. C'est la loi du marché. On n'y peut rien. Sans diminuer de la valeur de votre club, vous pensez que son talent est un peu plus grand que celui du Kavala FC pour ne pas le retenir ? Non, mais moi je pense que Kavala a besoin de joueurs comme Abdoun pour pouvoir grandir un peu plus et franchir d'autres paliers. Il a quand même une marge de progression énorme et s'il restait encore quelques saisons à Kavala, il sera également gagnant, puisque son talent s'exprimera un peu plus. Maintenant, il faudra savoir si le club réussira à le garder avec autant de sollicitations tant en Grèce qu'à l'étranger. Il faudra poser la question au président. En tout cas, moi je suis content de l'avoir avec moi cette saison. Vous vous entendez bien avec lui dans le vestiaire où vous êtes-vous déjà accrochés tous les deux ? C'est sûr que Djamel a son petit caractère et c'est vrai que ce n'est pas toujours facile de le gérer. Entre nous, il y a eu quelques petites discussions «spéciales», on va dire (il sourit). Mais dans l'ensemble, je peux vous assurer qu'on a de bonnes relations tous les deux. Si on vous pose cette question, c'est pour permettre au sélectionneur algérien de cerner un peu plus le caractère de Djamel Abdoun qu'il ne connaît pas encore assez bien. Qu'est-ce que vous pouvez dire dans ce sens ? Vous savez, Benchikha sait parfaitement ce qu'il a à faire. Il a sans doute suivi les prestations de tous les joueurs qu'il convoque. Un sélectionneur prend d'abord les joueurs qu'il pense être les meilleurs du moment puis, en fonction des besoins tactiques de son équipe, il donne les responsabilités à chacun de ses éléments. Après, il faudra voir également les affinités entre les joueurs. Mais Djamel est un joueur très professionnel qui se donne à fond pendant les entraînements et les matchs. On sent que c'est un passionné. Il aime beaucoup son métier et cela se ressent dans son comportement sur le terrain. C'est un joueur qui ne s'arrête pas du début à la fin du match et cela rassure beaucoup l'entraîneur. Et sur le terrain, à quel poste se sent-il le plus à l'aise ? Abdoun est un joueur qui a besoin de liberté dans son jeu. Il est dans une position spécifique et aime bien jouer sur les côtés, tant à droite qu'à gauche. C'est là que son talent s'exprime le mieux. Vous à Kavala, vous l'utilisez plus sur le côté gauche et comme électron libre en attaque. Pourquoi cela ? Djamel joue aussi sur le côté droit avec nous. C'est toujours en fonction de l'adversaire. Parfois, il est à droite et parfois à gauche. Il lui arrive aussi de changer pendant le match. Sa force réside dans ses dribbles et les percussions. Il peut déborder sur le côté gauche et tirer du pied droit ou faire une passe décisive à un de ses coéquipiers. Il le fait souvent en plus. Et il peut faire cela des deux côtés. Il se sent à l'aise dans les deux côtés. Et qu'est-ce qu'il doit améliorer pour atteindre les sommets ? C'est toujours difficile de juger un joueur comme Djamel Abdoun, dans un contexte comme celui de Kavala. Je dis cela, parce que chez nous, Djamel est un peu à part dans l'équipe. Il sera plus facile de le juger s'il était mieux entouré, avec plusieurs grands joueurs autour de lui. Il s'exprimera certainement mieux. Que sous-entendez-vous en disant que Djamel est un joueur à part ? Je dis cela, parce que Djamel est toujours déterminé et déterminant au sein de l'équipe. C'est un garçon qui respire le football. Il aime bien le ballon, il aime bien jouer au football. C'est sa grande passion, il n'y a pas le moindre doute. S'il a d'autres joueurs de gros calibre autour de lui, il sera plus valorisé et c'est là qu'on comprendra exactement sa vraie valeur. Parlons un peu de la Tunisie si vous le voulez bien. Comment avez-vous vécu la Révolution du jasmin ? D'abord, j'ai été très surpris, comme tout le monde. En Tunisie, je n'ai laissé que des amis. J'ai vécu de très grands moments dans ce pays et aujourd'hui, je me sens un peu triste en voyant ce qui est arrivé là-bas. Ça m'a fait très mal au cœur de voir tous ces troubles. J'étais vraiment inquiet. Mais bon, je pense et je souhaite que tout cela va bien se terminer pour le peuple tunisien. Vous avez téléphoné à vos amis pour avoir de leurs nouvelles ? Sincèrement, je n'ai pas osé appeler. Ma femme, par contre, a téléphoné à beaucoup de ses amies. Pourquoi on n'ose pas téléphoner dans ces moments ? Parce que je pense que dans des moments aussi tristes, il vaut mieux respecter la douleur des gens et leur laisser un peu cette intimité, si j'ose dire. Ce n'est pas au téléphone qu'on peut comprendre la douleur des gens, mais plus lorsqu'on est sur place. J'ai donc jugé bon de laisser les choses se tasser avant d'appeler mes amis. Mais peut-être que vos amis auraient souhaité que vous les appeliez pour vous faire part de ce qu'ils ont vécu, non ? Peut-être bien que oui. Mais moi, j'ai voulu respecter ce moment d'intimité en les laissant vivre cela sans être dérangés. Vous êtes plutôt content que Ben Ali soit parti ? Je préfère ne pas m'immiscer dans cela. Je ne rentre pas dans ce genre de considérations. Quelles étaient vos relations avec Slim Chiboub, par exemple ? Non, je ne veux pas parler de politique. Je suis un sportif et je ne répondrai qu'aux questions liées à mon métier. Quels sont les souvenirs que vous avez gardés de l'Algérie ? La première fois remonte au début des années 70, lors de l'inauguration du grand stade du 5-Juillet à Alger. J'étais parti avec la sélection polonaise pour y jouer un match. Par la suite, j'y suis retourné plusieurs fois, notamment avec la sélection de Tunisie. Ce que je peux vous dire, c'est que vous avez un pays formidable ! Toutes mes visites ont été positives en Algérie. J'ai également connu des joueurs algériens, notamment lorsque j'étais en France, au Matra. Je me rappelle que j'avais remplacé Arthur Jorge et j'ai eu Alim Benmabrouk et Chebel Noureddine qui était également avec moi à Metz. Dommage que Madjer était déjà parti à Porto. Je l'ai raté d'une saison. (Il rigole). Un mot sur l'Equipe d'Algérie ? Je n'ai pas eu l'occasion de voir beaucoup de matchs de votre Equipe nationale, je ne peux donc pas me prononcer là-dessus. Mais je sais que les joueurs avaient beaucoup souffert au Caire, lors du match retour contre l'Egypte. Ils vous ont frappés et caillassé le bus des joueurs. Mais par la suite, les Algériens ne se sont pas laissés faire, puisqu'ils ont répliqué avec beaucoup de force. Votre peuple ne se laisse pas faire. C'est un peuple dur. J'en parle parfois avec Abdoun à ce sujet. Et vous le sentez aussi dans le caractère de Djamel Abdoun ? Ah, c'est sûr ! On le sent aussi chez lui. C'est un garçon qui se donne toujours à fond et ne se laisse jamais faire pendant le match. La preuve a été donnée récemment après son expulsion. Vous avez déjà eu des propositions de la part de la Fédération algérienne de football pour entraîner l'EN ? Oui, c'était en 2001 ou 2002, je ne me souviens pas très bien. Mais c'est vrai qu'on m'a appelé pour cela. Malheureusement, je n'étais pas libre à cette période et ça ne s'est pas fait.