Avec sa lucidité habituelle, Madjid Bougherra revient sur ses réalisations, mais également sur le match de l'Algérie face à l'Egypte . Après la finale de la Coupe d'Ecosse gagnée par les Glasgow Rangers, les joueurs et leurs familles ont été conviés à un repas au stade Ibrox Park. Madjid Bougherra y était présent avec son épouse, sa fille, ses frères, ses sœurs et ses amis. C'est une fois la fête terminée et la tension tombée que nous nous sommes isolés avec lui dans un coin du restaurant panoramique pour une interview-bilan de la magnifique saison qu'il vient d'accomplir avec les Glasgow Rangers. Avec sa lucidité habituelle, il revient sur ses réalisations, mais également sur le match de l'Algérie face à l'Egypte et sur ses projets pour la saison prochaine. * Vous êtes devenu une star chez les Rangers. Faudra-t-il désormais vous appeler Monsieur Bougherra ou encore Monsieur Bougui ? (Rire) Non, pas du tout. Je reste toujours le même. Franchement, c'était une belle saison pour moi. J'ai eu le doublé, le titre de meilleur joueur du club attribué par les supporters et le droit de participer directement à la phase des poules de la Ligue des champions la saison prochaine. Une saison parfaite, quoi ! Alors, si nous battons l'Egypte, ce serait le summum pour moi. Donc, je dis El Hamdoullah. * Au mercato, vous avez été sollicité par Newcastle, mais vous avez préféré continuer avec les Rangers. Au final, les Rangers remportent le doublé et Newcastle a rétrogradé. Bonne décision que celle que vous avez prise, non ? Effectivement, même s'il ne s'agissait que d'une offre. En vérité, j'avais senti que les Rangers est un club pour moi. Je n'ai pas voulu refaire la même erreur qu'il y a deux ans où j'avais quitté Sheffield Wednesday pour Charlton. Je savais que j'allais gagner quelque chose avec les Rangers et qu'il y aurait la Ligue des champions à l'arrivée. Donc, je n'ai absolument aucun regret, surtout vis-à-vis des supporters qui, comme vous avez pu le constater par vous-même, m'ont accueilli à bras à ouverts et m'adorent. Ils m'aiment et je les aime. * Qu'est-ce que cela vous fait d'avoir été désigné homme du match ? Je suis d'autant plus heureux que je ne croyais pas pouvoir terminer le match. J'avais reçu une béquille au mollet et j'avais mal. L'entraîneur voulait me sortir à la mi-temps, mais j'ai dit que j'allais essayer de continuer car je ne voulais pas abandonner mes coéquipiers. Finalement, j'ai tenu jusqu'à la fin. Cela me fait plaisir d'être désigné homme du match dans ces circonstances, surtout qu'il s'agit d'une finale. En plus, le match a été bien médiatisé puisqu'il a été diffusé sur Sky Sport (plus grande chaîne de sport en Grande-Bretagne, ndlr). C'est flatteur car je sais que je me suis bien battu. Malgré la douleur, j'ai joué avec le cœur à la fin. * C'est vrai que vous avez été presque parfait, à part une mauvaise relance vers la fin du match… C'était justement parce que j'avais mal au mollet. L'entraîneur l'a compris et m'a même proposé de me sortir, mais j'ai tenu à terminer le match. Vous avez été le dernier à effectuer le tour d'honneur, marchant à petits pas, votre fille dans vos bras, l'emblème national autour du cou, et vous avez reçu une chaude ovation. * Quelles étaient, à cet instant-là, les images qui ont défilé dans votre tête ? Je marchais lentement parce que j'étais fatigué (rire). Le drapeau algérien sur les épaules, ma fille dans mes bras, les gens qui scandaient mon nom… Vraiment, je savourais ces instants intenses. Je pensais aussi au match de l'Egypte parce qu'il fallait se reconcentrer. En fait, il y a eu plein d'images qui défilaient dans ma tête. ça se bousculait. Le plus dur a été fait avec le doublé, mais c'est déjà du passé. Là, il y a le match de l'Egypte qui arrive. C'est ça qui sera la cerise sur le gâteau. * Avant de parler de la cerise, restons encore sur le gâteau : citez-nous trois tournants importants dans votre saison avec les Rangers. Le premier tournant a été notre victoire contre Dundee United chez nous alors que le Celtic Glasgow avait perdu. Le deuxième tournant a été notre victoire contre le Celtic 1-0. C'était une victoire absolue. Je crois que c'était ça le vrai tournant. Le troisième tournant a été la victoire d'aujourd'hui en finale de la Scottish Cup. * Et au plan personnel, quelles ont été les étapes qui ont forgé votre réussite au sein de l'équipe ? Durant les premiers matches, j'ai eu un peu du mal à suivre. En vérité, c'est après janvier que j'ai réellement explosé. Le vrai Madjid était arrivé avec de grands matches, de grosses montées vers l'attaque. C'est dans la deuxième moitié de la saison que je me suis senti moi-même et que j'ai réellement progressé. * Cette chevauchée à la 33' de la finale, où vous avez remonté presque tout le terrain balle au pied jusqu'à la surface adverse et où il aura fallu que quatre joueurs adverses se mettent sur vous pour vous stopper illustre-t-elle la nouvelle dimension que vous avez pris au sein de votre équipe ? En fait, c'est à travers ces chevauchées que je me reconnais. Il faut rendre hommage au staff technique qui me laisse m'exprimer lorsque j'ai la balle. Lorsque je vois des espaces, j'aime bien aller avec le ballon. Si je ne fais pas ça dans un match, je ne me sens pas moi-même. J'ai besoin de ces choses-là dans un match. * A un certain moment de la première mi-temps, vous vous êtes même retrouvé en position de vrai ailier droit, délivrant un centre qui a été sorti en corner… Je joue très offensif, voilà ! Certes, j'ai des tâches défensives à la base, mais j'ai besoin de monter et d'attaquer. C'est moi, ça ! C'est ma clef pour bien rentrer dans un match. * Têtes plongeantes défensives, coup du sombrero, dribbles, passements de jambes… Vous avez tout fait aujourd'hui et il ne manquait que le petit pont et le coup de ciseau ! A croire que vous un êtes un «Brésilien» chez les Rangers… Chez nous, en Algérie, on aime bien dribbler (rire). A dire vrai, c'est en sélection que j'ai progressé techniquement, au contact des gens du bled. Ici, en Ecosse, les gens n'ont pas l'habitude de voir un défenseur technicien. Après tout, le football est un jeu. Etant champions et n'ayant rien à perdre, j'en ai profité pour prendre du plaisir et tenter des choses. * Qu'attendez-vous de la prochaine saison avec les Rangers ? J'attends surtout de connaître la composante de notre groupe dans la Ligue des champions (rire). Ce qui est certain, c'est qu'il y aura six matches au moins à jouer, cela dans le cas où les Rangers se font éliminer. Mon souhait est d'avoir un club français dans notre poule, afin de montrer aux Français qu'on peut s'expatrier et réussir. Il y a aussi le championnat écossais qui sera également un objectif, mais au plan personnel, c'est la Ligue des champions que j'attends. * Vous dites vouloir retrouver un club français dans votre poule. Qui de Bordeaux, de Marseille ou de Lyon préférez-vous retrouver ? Lyon ou Marseille. A vrai dire, plus Marseille parce que je veux jouer contre Karim (Ziani, ndlr), mais aussi parce que c'est mon club préféré, le club de mon enfance. Lyon, c'est parce que ce n'est pas loin de Dijon, ma ville natale. * Après le gâteau, revenons à la cerise. Avez-vous hâte de retrouver la sélection et de jouer ce match face à l'Egypte ? Ah, oui ! J'en ai parlé toute la semaine à Brahim (Hemdani, ndlr) ainsi qu'à ma famille et mes amis. Je leur dis : ça me manque. Comme j'ai vécu une saison assez stressante, ça me permettra de couper un peu et de voir mes frères algériens et tout le staff. * Suivez-vous, à travers le site Internet du Buteur, le déroulement de la première moitié du stage ? Oui, absolument. Déjà, je constate que les joueurs sont dans un complexe superbe, à l'écart de tout. Ce sont des conditions idéales pour une préparation. Je pense que les Algériens comprennent que nous devons nous isoler à l'extérieur. C'est délicat car une grosse pression s'annonce. J'ai vu quelques photos sur Le Buteur. Tout le monde est là et tout le monde sourit. El Hamdoullah ! * Avez-vous des échos de coéquipiers qui sont déjà sur place ? Oui. Je suis en contact avec Bouazza et Benhamou. Nous nous envoyons même de petites photos pour rigoler. * Vous vous êtes déjà exprimé de nombreuses fois sur la rencontre face à l'Egypte, comme l'ont d'ailleurs fait tous vos coéquipiers. Si on vous demandait de résumer en une seule phrase ce qu'il faudra faire le jour du match, quelle serait cette phrase ? (Après une longue réflexion) Je dirai être patient pendant 90 minutes, du côté des joueurs comme du côté des supporters. * Pour terminer, avez-vous un message à faire passer ? L'Algérie ou on l'a dans le sang ou on ne l'a pas. J'entends par-ci, par-là qu'il y a des joueurs qui hésitent à venir. Cela me surprend car, pour moi, être Algérien est une fierté. Ce n'est pas donné à tout le monde. Pour résumer ma pensée, je dis simplement ceci : je remercie Dieu d'être musulman et Algérien. Voilà tout. De notre envoyé spécial en Ecosse : Farid Aït Saâda Fouad et Nabil, deux Nahdistes à Hampden Park Ils sont Algériens et ils vivent en Ecosse. Non pas à Glasgow, mais à Edimbourg, la capitale politique du pays. Fouad, 32 ans, chef cuisinier, et Nabil, 34 ans, agent de sécurité, n'ont pas hésité à venir à Hampden Park encourager leur compatriote Madjid Bougherra. A la fin de la rencontre, ils ont déployé un drapeau algérien dans la tribune. «La semaine passée, nous étions à Dundee pour le dernier match des play-off entre Dundee United et les Glasgow Rangers. A la fin de la rencontre, c'est moi qui ai lancé le drapeau algérien à Bougherra», témoigne Nabil. Enfant d'Hussein-Dey, c'est un supporter naturel du NAHD, tout comme Fouad, natif de Brossette. C'est avec fierté qu'il montre, sur son téléphone portable, la photo de Madjer sous les couleurs du NAHD. De Manchester à Glasgow via… Rome Un enseignant algérien exerçant à l'université de Manchester United était présent à Hampden Park en compagnie de son épouse anglaise et de ses enfants. Son plus jeune fils était même emmitouflé dans le drapeau algérien. En fait, ils venaient toujours juste de rentrer de Rome, où ils avaient assisté à la finale de la Ligue des champions. «Mes enfants supportaient Manchester United, naturellement, mais moi, j'étais pour le Barça», a-t-il avoué en riant. Avant de retourner à Manchester, il avait tenu à faire un crochet par Glasgow pour assister au sacre de Bougherra. «Nous sommes contents de ne pas être venus pour rien», a-t-il commenté heureux. C'est l'adjoint McCoist qui a coaché La gestion des compétitions de football a certaines spécificités en terre écossaise. Par exemple (et nous l'avions expliqué lors d'une de nos précédentes éditions), les cartons jaunes et verts récoltés dans le championnat ne sont pas comptabilisés dans les matches de coupe (Coupe de la Ligue et Coupe d'Ecosse) et vice versa. Autre exemple : pour les matches de coupe, c'est l'entraîneur adjoint qui coache l'équipe sur la main courante, l'entraîneur en chef (le manager) se contentant d'observer du banc des remplaçants et d'intervenir de temps à autre. C'est une manière de valoriser l'entraîneur adjoint en le responsabilisant ainsi dans une compétition secondaire, comme c'est le cas chez les joueurs avec les remplaçants (notamment les gardiens de but) qui sont titularisés lors des matches de coupe. C'est donc McCoist, l'entraîneur adjoint des Rangers, et non pas Walter Smith, l'entraîneur principal, qui a reçu le trophée et qui l'a emmené au siège du club. Hamid, l'homme à tout faire Compte tenu de la concentration que la finale exigeait de tous les joueurs, Bougherra a bénéficié du soutien de sa famille, venue de Dijon, et de ses amis, particulièrement Hamid, au four et au moulin pour s'occuper de la famille. Serviable et toujours disponible, il a été d'un précieux concours au défenseur international algérien. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien qu'il lui a dédié cette consécration. Bougherra détourné de la zone mixte Dans la zone mixte du stade Hampden Park, de nombreux journalistes ont attendu en vain l'apparition de Bougherra. Ils avaient interviewé McCoist, l'entraîneur adjoint et entraîneur principal lors de ce match, le buteur du jour, Nacho Novo, le capitaine d'équipe, Barry Ferguson, et plusieurs stars de l'équipe, mais ils attendaient «Bougui», l'homme du match et nouvelle coqueluche des supporters, mais l'Algérien n'est pas venu. Non pas par arrogance, mais parce que le service presse des Rangers, qui savait que Bougherra allait être retenu pendant de longues minutes par les médias, l'a fait monter dans le bus en le sortant du stade par une porte dérobée. Le kiné demande la victoire face à… l'Egypte En disant au revoir à Bougherra (la finale de samedi marquait la fin de la saison), le kiné du club lui a dit en serrant le poing : «Hé, sois solide contre l'Egypte !» Ses coéquipiers et les membres du staff savent combien ce match est important pour lui et ils n'ont cessé de l'encourager durant toute la semaine.