«Si je quitte les Rangers, ce sera pour un grand club» Quand Madjid Bougherra parle, il dit rarement des banalités. Pas seulement parce que c'est l'un des intellos des Verts (il est titulaire d'un bac+2 en informatique). Il dégage également une telle maturité, une telle force tranquille et un tel charisme que ce qu'il dit relève souvent du bon sens. Après son deuxième sacre consécutif en championnat d'Ecosse avec les Glasgow Rangers, il nous a accordé un moment de son temps pour évoquer, à tête reposée, des étapes de la saison très riche qu'il vient de vivre et qui s'achèvera –en apothéose pour lui, il l'espère- avec une participation à la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. C'est donc à Glasgow, une fois les festivités célébrant le titre de champion terminées, qu'il s'est confié au Buteur dont il reçoit un envoyé spécial pour la 6e fois depuis deux ans. * La première fois que nous sommes venus vous voir à Glasgow, vous nous aviez confié que vous avez eu une offre des Rangers, alors que vous vous apprêtiez à signer à West Bromwich Albion. Ne pensez-vous pas que cet instant-là a été une croisée des chemins, dans le sens où si vous aviez opté pour West Bromwich, vous auriez pu rester dans l'anonymat des clubs qui jouent chaque saison «l'ascenseur» entre la première et la deuxième division ? C'est avant tout une question de mektoub. Il est clair que ça a été un véritable tournant pour moi. Signer chez les Rangers a été ce qui m'est arrivé de mieux dans ma carrière, car cela m'a permis de prendre une autre dimension. J'ai énormément progressé ici, dans tous les domaines. J'ai également mûri dans ma manière de jouer, dans ma façon de voir les choses, dans mes rapports avec les autres… J'ai gagné des titres, j'ai gagné en notoriété, j'ai gagné l'estime du public, j'ai gagné avec la sélection nationale… Bref, j'ai gagné sur tous les plans en signant chez les Rangers. Il n'y a rien à dire : ça a été un choix très judicieux. * Vous nous aviez expliqué que c'est le préparateur physique des Rangers qui vous avait recommandé à Walter Smith parce qu'il avait apprécié vos qualités lorsqu'il exerçait à Charlton où il vous avait croisé… Effectivement. C'est Adam, le préparateur physique du club. D'ailleurs, il nous arrive d'en parler de temps en temps et d'évoquer cette anecdote. Comme je vous l'ai dit, c'est le destin. Il y a eu cette recommandation qui m'a fait atterrir chez les Rangers. Je ne le regrette pas et je suppose que le club ne le regrette pas non plus., * Cela nous amène à évoquer inévitablement la question de votre avenir, car il est clair que vous suscitez des convoitises un peu partout en Europe, surtout en Angleterre. Si vous quittez les Rangers, serait-ce pour un club encore meilleur ? Je l'ai toujours répété : je me sens très bien ici à Glasgow. Je ne manque de rien, je gagne des titres et je jouis de la considération des supporters. Donc pour la question de vous dire si je rempile, je n'y verrai aucun inconvénient. Cependant, on ne sait pas ce qui peut se passer. Une chose est certaine : si je suis amené à quitter les Rangers, se sera, comme vous le dites, pour un club très ambitieux qui me permettrait de progresser encore davantage, de gagner des titres et de découvrir de nouveaux horizons. Si je quitte les Rangers, ce ne serait pas sans pincement au cœur, tant ce club et ses supporters tiennent une place particulière dans mon cœur. On n'en est pas encore là pour l'instant. Il me reste trois matchs à jouer avec les Rangers et je m'y investirai avec toute la rigueur et la concentration habituelle, même si le titre est déjà acquis. * Pensez-vous que cette deuxième saison chez les Rangers a été encore plus riche que la première où vous aviez déjà remporté deux titres ? Oui, elle est deux fois plus riche. En plus d'avoir remporté deux titres avec les Rangers, j'ai fait une bonne Coupe d'Afrique des nations, je suis qualifié pour la Coupe du monde et j'ai remporté le Ballon d'Or. J'ai donc amassé des distinctions collectives et même individuelles. L'été dernier, j'avais formulé le vœu d'accomplir une autre saison de la même qualité que ma première chez les Rangers. El hamdoullah, mon vœu a été exaucé au-delà de mes espérances. * Vous êtes passé, en une année, du statut de star à celui de superstar. La notoriété et la gloire que vous avez acquises vous attirent des sollicitations de toutes parts, que ce soit des médias ou de supporters, jusqu'à l'agacement parfois. Préférez-vous cette situation, avec ses inconvénients, ou bien l'époque où vous étiez anonyme, sans Coupe du monde, mais peinard ? Je préfère de loin ma situation actuelle, je ne vais pas m'en cacher. Certes, il y a parfois des embêtements, car être célèbre engendre quelques désagréments, mais je suis prêt à tous les sacrifices pour une Coupe du monde, des participations régulières à la CAN et des titres en club. C'est surtout un honneur pour moi d'être représentant de l'Algérie et de ses couleurs, d'être l'un de ses porte-drapeaux… Le sentiment que l'on y ressent est indescriptible et je ne changerais ma situation pour rien au monde. Cela dit, il faut préciser une chose : dans le football, tout va très vite. On peut aujourd'hui être une superstar et demain être rien du tout. Il y a de nombreux exemples de par le monde. C'est pour cela que, même si je traverse une période faste, je garde une certaine humilité en me disant que je suis avant tout un être humain et que Dieu peut me reprendre d'un coup tout ce qu'il m'a donné. L'essentiel donc pour moi est de gagner le respect et l'amour des gens et, surtout, de le conserver. Le reste, ce n'est rien. * Il y a désormais le Mondial qui se rapproche. Entre cette journée de novembre où il y a eu la formidable liesse populaire qui avait suivi votre qualification pour la Coupe du monde et aujourd'hui, quelques semaines avant le Mondial, pensez-vous que le temps a été trop long avec les deux blessures dont vous avez été victime et les défaites contre le Malawi, l'Egypte et la Serbie ? Au contraire, je pense que le temps est passé vite, trop vite pour pouvoir bien apprécier la qualification à la Coupe du monde et le bonheur incommensurable qu'elle a généré parmi le peuple. J'aurais aimé que le temps passe plus lentement pour profiter de chaque instant de cette situation, mais la succession rapide des événements et des échéances a fait qu'on n'a pas vu le temps passer. Là, on arrive vers le Mondial où de nouveaux défis nous attendent. * Il y a de nombreux Algériens à croire en votre capacité de réaliser des exploits lors du Mondial, mais à la seule condition que l'esprit de Khartoum, qui a semblé s'étioler en Angola et face à la Serbie, soit ravivé à nouveau. Pensez-vous au retour de cet esprit en Afrique du Sud ? J'ai une totale confiance en la capacité de mes coéquipiers à se mobilier, à se surpasser et à se transcender lors du Mondial. Quand on joue une Coupe du monde, on ne peut ne pas être motivés. Ce n'est pas une compétition banale. De plus, on n'a vraiment pas le droit de décevoir les attentes de tout un peuple. Je vous rassure donc : nous serons hyper-motivés dans ce tournoi. * La préparation du Mondial commencera en Suisse le 12 mai et durera donc un mois avec deux matchs amicaux au programme. Pensez-vous que cela sera suffisant pour bien préparer le Mondial ? Ce n'est pas seulement suffisant. Je dirai même que c'est l'idéal. Quand on voit qu'une sélection comme celle de la Côte d'Ivoire ne sera en regroupement qu'à partir du 24 mai, il est clair que nous sommes beaucoup mieux lotis avec un regroupement de presqu'un mois, entrecoupé de deux jours de break pour nous ressourcer auprès de nos familles. De plus, par expérience, je sais qu'il n'y a pas meilleur que l'altitude pour bien préparer un sportif pour une compétition de haut niveau. C'est très bien pour l'adaptation d'un corps à un effort soutenu. Ajoutez à cela qu'il y aura deux matchs de préparation contre des adversaires respectables et sur de belles pelouses. Vraiment, c'est parfait. Il ne peut y avoir meilleure préparation. C'est pour cela que je dis que oui, les joueurs blessés et ceux en manque de compétition auront le temps de revenir à leur niveau et être prêts pour le Mondial. * En Afrique du Sud, ce sera l'hiver en juin. Jouer par des températures basses vous arrange-t-il ? Ah, oui ! Je préfère jouer par temps froid que par temps très chaud. On se sent plus léger, car le froid incite à bouger et à courir pour se réchauffer. Pour le corps humain, l'effort se gère mieux dans le froid. Personnellement, ça m'arrange de jouer par des températures basses. D'ailleurs, les joueurs qui évoluent en Europe se sentiront à l'aise avec des températures pas très élevées. * Parle-t-on ici, dans les médias ou parmi les supporters, du match contre l'Angleterre et de la perspective de vous voir affronter des attaquants de niveau mondial tels Rooney, Crouch ou Walcott ? Oui, ça parle beaucoup de ce match, surtout que l'Angleterre est non seulement un pays voisin, mais c'est également une sélection qui a des ambitions. C'est vrai aussi que lors de la Coupe du monde, je ne représenterai pas l'Algérie uniquement, mais aussi les Rangers et c'est ce qui rend les dirigeants et les supporters de ce club fiers. * On parle donc beaucoup de Coupe du monde parmi les supporters des Rangers ? Oui, et même au sein du club. Nous sommes trois joueurs à aller au Mondial : les Américains Edu et Beasley et moi. Donc, nous serons, en quelque sorte, les porte-drapeaux du club. * Lors du match Etas-Unis-Algérie, pour qui penchera le cœur des Rangers ? Je ne le sais pas. Il faudra le leur demander (rires). * Certainement pour vous, puisque vous êtes un titulaire indiscutable, contrairement aux deux Américains… Peut-être, mais il faut dire que Edu a été blessé durant six mois et c'est ce qui fait qu'il a été longtemps éloigné des terrains. Cependant, il revient bien (il a été titulaire dimanche contre Hibernian, ndlr) et il participera certainement à la Coupe du monde. * Le fait que des supporters des Glasgow Rangers aient scandé, il y a une semaine à Ibrox Park, «One, two, three ! Viva l'Algérie !» n'est-il pas la preuve qu'ils ont choisi leur camp ? Cela explique surtout la profondeur des rapports que j'ai avec les supporters de ce club. Jamais ils n'ont ménagé leur soutien à mon égard depuis que j'ai débarqué ici. Ils scandent souvent mon nom, ils chantent des chants à ma gloire, ils m'ont toujours respecté, ils ont salué la qualification de l'Algérie pour le Mondial comme s'ils étaient concernés, ils respectent le drapeau algérien qu'ils ont appris à adopter… Vraiment, il y a un lien particulier qui me lie à eux. Donc, qu'ils chantent à la gloire de l'Algérie, ça ne me surprend pas et ça me touche en même temps. * Lorsque vous avez été récemment blessé, y a-t-il un moment, un instant, où vous avez eu peur de rater le Mondial ? Non, je n'ai douté à aucun moment. Je savais que ce n'était pas grave. S'il s'était agi d'une fracture ou de rupture des ligaments, j'aurais été inquiet, mais pas quand il s'agit de blessures musculaires, car je sais que ça se résorbe rapidement, à condition de suivre les soins appropriés et de s'adonner au repos lorsqu'il le faut. Je n'ai donc jamais douté. * Quel a été le plus bel hommage que vous avez reçu ces derniers mois, que ce soit de la part de supporters, de personnalités, de journalistes ou autres, et qui vous a ébranlé autant que surpris ? C'est lorsque des supporters m'ont dit qu'au Caire et à Khartoum, nous avons joué comme des Moudjahidine. C'est un hommage qui m'a profondément touché quand on sait la valeur des Moudjahidine dans l'histoire de notre pays et les sacrifices qu'ils ont consentis pour la patrie. De plus, à la réflexion, je pense que nous avons vraiment agi comme tels, défendant les couleurs de l'Algérie bec et ongles, en dépit de l'adversité, de l'arbitraire et de l'injustice. Cet hommage-là m'a vraiment ébranlé au fond de moi. -------------------- Aucun joueur recruté l'été dernier Les Rangers champions avec… zéro investissement S'il y a un club qui a subi une véritable douche écossaise, c'est bien le Celtic Glasgow. En effet, ce dernier, qui est en situation financière bien meilleure que celle de son grand rival, les Rangers, a très mal pris le fait que les coéquipiers de Madjid Bougherra eut remporté le titre de champion en étant endetté (30 millions de livres de dettes, selon les dernières estimations) et, de surcroît, avec une confortable avance, alors qu'il reste encore trois journées de play-off à disputer. C'est un véritable camouflet que vient d'essuyer le club des catholiques de la capitale économique du pays. Même Bougherra n'a pas été augmenté En effet, il faut savoir que le sacre des Rangers a coûté comme transferts… zéro penny ! Aucun sou n'a été déboursé dans les recrutements depuis l'été dernier, en raison des graves difficultés financières dont souffre le club. Même les joueurs cadres, Madjid Bougherra entre autres, n'ont pas bénéficié de revalorisations salariales au début de la présente saison, en dépit des promesses de la direction du club. Le manager, Walter Smith, s'est reposé sur le même effectif que la saison passée, moins les éléments qui sont partis comme Brahim Hemdani. C'est cela que les supporters du Celtic ont du mal à avaler et ils l'ont signifié vertement à la direction de leur club. C'est ce qui explique également que ce titre, qui n'est pourtant pas le premier dans l'histoire des Rangers (c'est le 53e), ait été fêté avec une ferveur particulière et par les supporters et par les dirigeants du club. Le patron du club a perdu plus de 350 millions de livres en Bourse «Je suis heureux d'avoir gagné ce titre, mais mon bonheur est amplifié par le contexte financier difficile dans lequel il a été obtenu», a déclaré le manager Walter Smith, après la victoire de dimanche contre Hibernian. Un chiffre pour illustrer ce contexte financier : le propriétaire du club, Sir Murray, a perdu en Bourse, en une année, plus de 350 millions de livres, soit une moyenne de un million par jour ! Le gardien de but de l'équipe, McGregor, a illustré cette situation insolite en arborant un maillot où il est écrit : «2 titres de suite pour le prix d'un seul». --------------------- Grâce à lui, les Algériens d'Ecosse se sont organisés Plutôt éparpillés il y a encore quelques années, les Algériens vivant en Ecosse, plus spécialement à Glasgow et Edimbourg, ont appris à se connaître en venant souvent assister aux matchs de Madjid Bougherra. Parfois, il y en a qui viennent de Londres. Dimanche, il y en a même un qui est venu d'Irlande du Sud. Grâce à ce dénominateur commun qu'est Bougherra, les Algériens d'Ecosse se sont connus davantage et organisés. Ils préparent un déplacement collectif à Dublin La meilleure manifestation de cette organisation est le fait que plusieurs Algériens d'Ecosse et d'Angleterre préparent d'ores et déjà un déplacement collectif à Dublin pour assister, le 28 mai prochain, à la rencontre amicale entre l'Irlande du Sud et l'Algérie. Boughy n'oublie jamais ses amis A chaque fois que Madjid Bougherra le peut, il ramène des amis d'enfance ou des gens de la famille pour suivre des matches importants des Rangers. Cette fois-ci, il a invité deux amis de Paris, dont l'un est, de surcroît, un parent éloigné. Nabil et Tayeb ont ainsi supporté les rangers à fond, même si Boughy n'a pas joué, en ne manquant pas d'exhiber ostentatoirement le drapeau algérien. Des Rangers fans de «One, two, three ! Viva l'Algérie !» La semaine passée, après le match gagné contre Heart of Midlothian, des supporters des Rangers ont eu un comportement qui a agréablement surpris Madjid Bougherra. Alors qu'il leur signait des autographes, ils ont sorti un drapeau algérien et se sont mis à scander : «One, two, three ! Viva l'Algérie !» Inutile de dire que c'était scandé avec un parfait accent British. Il faut dire qu'en plus d'adorer «Boughy», les supporters des Rangers entretiennent une vieille rivalité avec les Anglais, adversaires des Verts au Mondial 2010. L'hommage à Baird comme un vrai enfant des Rangers Bougherra, désigné récemment parmi les légendes des Rangers, alors qu'il n'a pas encore terminé sa deuxième saison avec le club, est comme un vrai enfant du club. Pour preuve, avant le coup d'envoi du match, les joueurs des deux équipes, les arbitres et l'ensemble des spectateurs ont observé une minute de silence en hommage à Sammy Baird, ancien joueur des Rangers décédé la semaine dernière. Madjid a naturellement applaudi, suivant une tradition toute britannique.
