«Je suis impressionné par la progression de Boudebouz» «Zidane n'a pas prononcé un mot après France-Algérie de 2001» «La sélection d'Algérie a manqué d'expérience lors du dernier Mondial» A 37 ans, Robert Pires, champion du monde et d'Europe avec la France, se sent encore les jambes pour continuer à jouer. La passion aussi. Mais ni la patience ni le charisme pour préparer une éventuelle reconversion. L'actuel milieu de terrain d'Aston Villa, qui a répondu à une invitation d'un ami installé à Doha, a accepté de nous parler de ses ambitions, ses convictions, son amitié avec Zidane et bien d'autres sujets croustillants que l'ex-joueur d'Arsenal a évoqués avec un plaisir certain dans cet entretien que nous vous proposons en exclusivité. Tout d'abord, peut-on connaître le motif de votre présence à Doha ? Est-il vrai que vous vous apprêtez à rejoindre un club local ? Tout d'abord, je suis ici en visite privée. J'ai été invité par un ami pour découvrir ce pays que je n'ai jamais visité auparavant. Comme ma présence ici coïncide avec le coup d'envoi du championnat local, j'ai tenu à assister à quelques matchs, histoire de me faire une idée sur le niveau du championnat. C'est quelque chose de nouveau pour moi. Après, pour répondre à votre question, je ne sais pas si je jouerai un jour ici. J'aime le foot. Dès que mon ami m'a proposé l'idée de visiter le Qatar, j'ai sauté sur l'occasion… Quelle idée vous êtes-vous fait du pays et du football local ? D'abord, je dois avouer qu'il fait très, très chaud (rires). Mais je pense que le pays dispose de tous les moyens modernes pour y remédier. Preuve en est, si la Fifa a décidé d'attribuer l'organisation du Mondial au Qatar, c'est qu'on est convaincu que le Qatar dispose de tous les moyens de sa politique. Personnellement, je n'ai pas eu le temps de voir toutes les infrastructures du pays, mais le stade que j'ai découvert aujourd'hui n'a rien à envier aux grands stades d'Europe. Le pays est en perpétuelle progression. Ce qui me fait dire qu'il y aura de problème d'organisation. Beaucoup de joueurs évoluant en Europe ont opté pour le championnat qatari, à l'instar de Ze Roberto, Bougherra, Meghni, Ziani, le font-ils par ambition sportive ou juste lucrative ? Tout d'abord, on devrait s'entendre sur un fait : l'argent, il y en a partout, pas seulement au Golfe. Tu peux gagner de l'argent n'importe où, pour peu que tu sois bon. Alors, les joueurs que vous venez de citer gagneront autant ou tout au moins de très bons salaires, même loin du Qatar. Les clubs grecs et turcs par exemple sont réputés bons payeurs. Les clubs russes et américains aussi. Peut-être qu'ici au Qatar, les joueurs perçoivent des salaires bruts, c'est-à-dire exempts d'impôts … Non, pas spécialement. Je ne pense pas que les salaires qui sont attribués ici sont supérieurs à ceux du Premier League ou du championnat russe. Y a-t-il un joueur au monde qui touche autant que Eto'o ? C'est impossible ! Ceci pour vous dire qu'on ne vient pas au Qatar juste pour se faire de l'argent. Il doit y avoir d'autres motivations. Les Brésiliens, les Européens et les Africains du championnat qatari nourrissent sans doute d'autres motivations. Le fait qu'on ait attribué l'organisation de la Coupe du monde au Qatar a sans doute motivé le choix de ces joueurs. Si un jour je joue ici, c'est plus pour apporter mon expérience aux jeunes qui vont peut- être constituer l'ossature de la sélection à l'avenir. Est-ce à dire que vous êtes intéressé par une expérience au Qatar ? Pourquoi pas ? Il y a beaucoup de joueurs intéressants ici. J'ai vu Ze Romberto jouer. Il y a eu avant lui Joninho, Ziani et Bougherra. Ils vont sans doute rehausser le niveau du championnat local. Financièrement aussi, cela doit être motivant de jouer ici … Ça m'embête un peu qu'on cherche à lier à chaque fois le football qatari avec l'argent. C'est vrai que certains joueurs sont en fin de carrière, mais cela n'empêche pas que le niveau est assez appréciable. D'ailleurs, ce qu'a montré Joninho lors de son passage ici en est la meilleure preuve. Et puis, des joueurs comme Bougherra et Ziani n'ont pas encore atteint la trentaine, c'est dire que ce championnat n'est pas réservé exclusivement aux footballeurs retraités. Ce sont juste des clichés. Et puis, il faudrait qu'on soit honnêtes avec nous-mêmes, il y a une différence de niveau entre les championnats européens et le championnat qatari. Ceci est une certitude. Mais le flux de joueurs de talent va aider à rehausser le niveau de ce championnat dans un avenir proche. Vous avez côtoyé, durant votre longue carrière, des joueurs africains, y compris des Algériens ; pourquoi, selon vous, ils ne parviennent pas à s'imposer mondialement, en dépit de leurs qualités indéniables ? Je pense que le joueur africain a toutes les qualités pour s'imposer. Il s'adapte facilement au mode de vie et à la façon de jouer. Ce qui est très important. Il a juste besoin d'être recadré. Vous dites avoir côtoyé des joueurs algériens durant votre carrière, qui par exemple ? Je pense avoir joué avec l'un des meilleurs… Je ne sais plus comment il s'appelle (Il rigole). Ah oui, son nom est, si ma mémoire est bonne, Zinédine Zidane (il rit franchement). Zizou est le joueur algérien que je n'oublierai jamais. Vous considérez donc Zidane comme un Algérien, et non un Français, n'est-ce pas paradoxal pour un joueur de l'Equipe de France ? Il est naturellement algérien, du moment que ses parents sont nés et ont grandi en Algérie. Il est vrai qu'il a joué comme nous tous pour l'Equipe de France, mais on ne peut pas nier ses origines. C'est, disons, un Algérien qui a joué pour l'Equipe de France. C'est le cas pour Benzema et Nasri. Vous personnellement, vous avez des origines portugaises, non ? Si ! Mon père est Portugais et ma mère Espagnole. Jouer pour l'Equipe de France ne veut pas dire renier ses origines. L'Equipe de France est constituée d'un mélange de joueurs de différentes cultures et origines. C'est ce métissage qui faisait justement sa force. En parlant de ça, quelle est votre position vis-à-vis de l'affaire des quotas qui a ébranlé le football français ? Je suis d'abord contre le fait d'utiliser le principe de quotas et de joueurs binationaux. C'est inconcevable dans le football. Qu'est-ce qu'on peut entendre par instaurer un système de quotas pour les joueurs binationaux, si ce n'est de la discrimination. D'autant plus que cette affaire concerne un pays comme la France. C'est carrément remettre en cause les principes de la République française que de penser à appliquer une telle politique. J'étais moi-même un joueur binational, tout comme Zizou, Desailly. La FFF a commis une grosse erreur en pensant adopter une telle politique. Laurent (Blanc, ndlr) n'est pas aussi exempt de tout reproche, même s'il a reconnu, contrairement à d'autres, son tort. La FFF peut-elle se cacher derrière le prétexte qu'elle sert de réservoir pour les autres sélections, notamment africaines ? Le problème ne se pose même pas, dès lors que l'Equipe de France dispose des meilleurs joueurs. Maintenant, s'il s'en trouve des joueurs qui optent pour les sélections de leur pays d'origine, par défaut, où est le problème ? Peut-on légitimer cette affaire juste sur le principe que la France forme pour les autres nations ? On n'a aucun droit de priver des joueurs dont l'Equipe de France ne veut pas d'une carrière internationale. C'est vraiment scandaleux ! Et puis, qu'on se le dise, tous les joueurs optent pour l'Equipe de France. Ils choisissent de jouer pour les sélections de leur pays d'origine par défaut. A l'exception de quelques rares joueurs, tous auraient choisi la France, si on avait voulu d'eux. A 37 ans, vous avez encore envie de jouer, l'idée ou l'ambition de passer de l'autre côté de la barrière ne vous tente-t-elle pas, d'autant que des joueurs de votre génération, comme Belmadi, a réussi sa reconversion ? Je connais bien Belmadi, du temps où il jouait à Marseille. Je suis très content de ce qu'il réalise actuellement avec son club. Personnellement, entraîner ne me tente pas du tout. Je n'ai pas le charisme ni la patience que requiert ce métier pour aspirer devenir un jour entraîneur. Il y a des prises de positions, des choix à faire que je ne pense pas pouvoir assumer. Je suis joueur et il m'est arrivé souvent de ne pas comprendre les choix de mes entraîneurs. C'est pour toutes ces raisons que je préféré arrêter le football à la fin de ma carrière. Que pensez-vous de la reconversion de Djamel Belmadi qui est de votre génération ? C'est un gars que je respecte beaucoup. Je suis naturellement ravi du travail qu'il est en train d'accomplir avec son club. Il a du charisme et de l'expérience. J'ai eu de très bons échos de lui ici. Un club qui a accédé la saison dernière et qui termine champion dans la foulée, il faut vraiment être très bon en tous points de vue, pour réussir un tel exploit. Je pense que ce qu'a réalisé Belmadi avec Lakhouya parle en est la meilleure preuve. Après, personnellement, cela ne me surprend pas du tout. Djamel est fort de caractère et respire le football. Je le vois aller très loin. On vous sait pas très ami avec Raymond Domenech, l'ex- sélectionneur de l'Equipe de France, comment avez-vous vécu son échec lors du Mondial 2010 ? J'ai été sincèrement ravi de ce qui lui est arrivé. Quelque part, justice a été faite. C'est quelqu'un d'irrespectueux. Il ne m'a personnellement pas respecté en tant qu'homme, puis en tant que joueur. Ce qui est arrivé colle parfaitement à ce personnage. Il n'a eu que ce qu'il mérite. Après, j'étais déçu pour l'Equipe de France. Car ce qui s'est passé est une vraie mascarade. Ça a affecté beaucoup de monde. J'étais déçu pour les joueurs, car ils ne méritaient pas de sortir de cette manière. A votre avis, qu'est-ce qui a fait que les choses soient allées jusqu'au pourrissement en Equipe de France sous sa coupe ? Il y a une seule explication à ça : Domenech ! C'est une personne qui ne comprend rien au football. Je ne dis pas cela juste comme ça. Il a quand même réussi à propulser la France en finale de la Coupe du monde 2006… Ce sont plutôt les joueurs qui ont réussi cette performance. Sans Zizou, Thuram, Titi (Henry), Viera, Ribéry et les autres, l'Equipe de France aurait été recalée au premier tour. Domenech, il n'est rien ! Vous pouvez interroger les joueurs qui ont pris part à cette Coupe du monde et ils vous le confirmeront. Vous ne le recommandez donc pas aux autres sélections ? Si une équipe souhaite perdre tous ses matchs, qu'elle l'engage ! Y a-t-il un entraîneur qui vous a particulièrement marqué tout au long de votre carrière ? En France, ils sont quand même nombreux à m'avoir aidé à progresser. J'ai beaucoup de respect pour eux tous, à leur tête Joël Muller qui m'a beaucoup appris à Metz. Il y est pour beaucoup dans ma réussite. Il y a incontestablement Arsène Wenger qui a été mon coach durant six ans à Arsenal. Avec lui, j'ai atteint le summum de mon football. Pourquoi n'avez-vous pas joué dans des clubs plus huppés qu'Arsenal, comme le Real ou le Barça ? J'aurais pu jouer pour l'un de ces deux clubs. C'est vous dire que ce ne sont pas les opportunités qui m'ont manqué. Seulement, il y a des choix de carrière à faire. J'ai fait les miens et je ne le regrette pas aujourd'hui. J'ai toujours privilégié la stabilité, d'où mon choix de rester six ans à Arsenal. Le Real est par exemple réputé pour être instable. L'opportunité m'était offerte, mais j'ai préféré rester à Arsenal. Etes-vous satisfait de votre expérience en Equipe de France ? Je n'ai jamais rien regretté. J'aurais sans doute souhaité terminer ma carrière en Equipe de France, mais quand je repense à mes 79 sélections, j'en tire une fierté légitime. J'ai vécu des moments extraordinaires avec l'Equipe de France. J'ai remporté la Coupe du monde et la Coupe d'Europe, j'ai joué avec les meilleurs joueurs qu'a connus la France. Je ne peux qu'en être fier. Raymond Domenech vous a privé de la Coupe du monde 2006, des regrets quand même ? Pas tant que ça. J'ai joué une seule Coupe du monde dans ma carrière et je l'ai gagnée, cela suffit largement à mon bonheur. Vous avez sans doute suivi le parcours de l'Equipe d'Algérie durant le dernier Mondial, comment l'avez-vous trouvée ? Oui, j'ai découvert ce groupe lors de la dernière Coupe du monde et j'ai trouvé qu'il avait de la qualité. Les joueurs ont sans doute manqué d'expérience à ce niveau de la compétition, mais cela ne veut nullement dire qu'ils étaient mauvais. Ils ont, disons, manqué de régularité. Je l'ai trouvé parfois bon, parfois moins bon. Je pense que les joueurs ne savaient pas trop comment gérer leurs matchs. Ça leur a fait vraiment défaut. Mais dans l'ensemble, l'équipe n'a pas été mauvaise et je ne dis pas ça juste par ce que je m'adresse à un journaliste algérien. Y a-t-il un joueur que vous avez trouvé particulièrement bon ? J'aime bien le gars de Sochaux (Ryad Boudebouz, ndlr). Je le suis régulièrement dans le championnat de France et je le trouve de plus en plus bon. Il n'arrête pas de progresser. C'est vraiment un super joueur. Il est certain que l'Algérie dispose d'aussi bons joueurs, mais ils ont besoin d'être formés à la base. L'Algérie a nommé Vahid Halilhodzic à la tête de la sélection, quelle idée avez-vous de ce technicien ? Je ne le connais pas personnellement, mais je sais, grâce à la presse, que c'est un coach droit et strict. Ce qui est très important. Vous avez côtoyé Zinédine Zidane en Equipe de France, que retenez-vous de lui ? Zizou, c'est le maître ! Il faudra jouer et vivre avec lui pour comprendre ça. C'est quelqu'un qui n'a pas besoin de parler pour se faire comprendre. Nous qui avons joué avec lui pendant des années arrivions à le comprendre par l'esquisse d'un simple geste ou regard. C'est un homme qui a des principes et des valeurs. Quant au joueur, il n'est plus à présenter. L'avez-vous soutenu après l'incident de la finale de la Coupe du monde avec Materrazzi ? Je pense que Zizou aurait dû faire preuve de retenue sur ce coup-là. Lui-même a reconnu son erreur par la suite. Le contexte ne s'y prêtait guère. Il méritait vraiment de terminer autrement. Après, ce n'est pas forcément ce qu'on va retenir de lui… Peut-être qu'il n'a pas accepté les insultes de Materrazzi ? Ce qui est arrivé entre Zizou et Materrazzi est monnaie courante dans le football. Ça nous est arrivé à tous d'essuyer des insultes au cours d'un match, et plus d'une fois. Après, chacun réagit à sa manière. Pouvez-vous nous raconter ce qu'a dit Zidane dans le vestiaire après l'envahissement du terrain par les supporters lors du France-Algérie de 2001 ? Il n'a rien dit. Il est resté silencieux. Je pense que les supporters algériens ont commencé à envahir le terrain, après s'être rendus compte de l'ampleur du score. J'ai été particulièrement déçu ce jour-là qu'on ait sifflé l'hymne national. Ça ne dure qu'une petite minute. On aurait pu faire preuve de respect et de patience…