«La rencontre entre l'Egypte et l'Algérie au Cairo-Stadium est, selon moi, une question de vie ou de mort» L'accueil que nous a réservé Medhat Chalabi à l'intérieur de la bibliothèque de la Fédération égyptienne de football était très chaleureux, même si les réponses du colonel de la police à la retraite étaient empreintes d'une certaine dérision, dès lors qu il fallait parler de l'équipe nationale algérienne. Il faut dire que le commentateur le plus célèbre d'Egypte a cette manie de mettre un grain de sel pour donner de la teneur à son discours. Ecoutons-le ! * Nous tenons, de prime abord, à vous remercier pour le chaleureux accueil que vous nous avez réservé. Et pour commencer, parlez-nous des différentes confrontations entre l'Algérie et l'Egypte que vous avez eu à commenter. Quelle est selon vous la plus importante ? Vous n'avez pas à me remercier, sachant que votre journal jouit d'une popularité incommensurable ici en Egypte et même ailleurs. Pour revenir à votre question, je vous dirai que, quelque part, ma mémoire est défaillante. A vrai dire, j'en ai tellement commenté que les choses ne sont pas très claires dans mon esprit. Mais je me rappelle quand même de cette fameuse rencontre ayant mis aux prises l'Egypte avec l'Algérie pour le compte des éliminatoires des jeux Olympiques de 1984. A cette époque-là, vous aviez une équipe terrible composée de joueurs exceptionnels De notre côté, nous avions aussi des éléments d'une grande valeur, à l'image de El Khatib, Tahar Abou Zeid et d'autres encore. Les Madjer, Belloumi, Assad, Zidane, pour ne citer que ceux-là, n'étaient pas à présenter, tant leur valeur et leur renommée avaient dépassé vos frontières. C'était un régal de les voir sur le terrain. Une rencontre est restée ancrée dans ma mémoire, c'est celle durant laquelle nous avons pris le meilleur sur votre équipe sur le score éloquent de 5 à 2. Ce jour-là, je ne me suis pas empêché de hurler comme un fou, quand l'élégant Tarek Saïd a réussi à terrasser l'Algérie en marquant à deux reprises. Je reconnais cependant que j'étais un amoureux du football algérien qui était à l'apogée de la gloire. Vous aviez à cette époque-là une équipe redoutable qui faisait peur à toutes les nations. * Vous avez certainement en mémoire le fameux match de Coupe d'Afrique 2004 à Tunis. Ce jour-là, l'Algérie a réussi à mettre à genoux l'Egypte dans les derniers instants du match, grâce à un exploit technique de Hocine Achiou. Pour l'anecdote, on croit savoir que vous êtes derrière le sobriquet « El Harami » dont on affuble désormais le joueur. Est-ce vrai ? Je vous l'ai dit, ma mémoire n'est plus ce qu'elle était, mais je ne pense pas avoir commenté cette rencontre. Concernant le sobriquet que vous évoquez, il se pourrait que ça soit moi qui l'ai donné à ce joueur. Il est de mes habitudes d'avoir recours à ce type de discours. Je peux d'ailleurs me targuer d'être le précurseur de ce type d'appellations lors de mes commentaires. Il faut cependant remettre les choses dans leur contexte en ce sens que chez nous, El Harami ne renvoie pas à celui qui commet un délit de vol mais une personne rusée, pleine de dynamisme pour être plus précis. * En tant que commentateur sportif égyptien et arabe, quels sont vos rapports avec les footballeurs algériens ? Je suis navré de vous dire que je n'ai jamais eu l'occasion de visiter votre pays. Je suis allé en Libye, en Tunisie et au Maroc, mais je n'ai malheureusement et je tiens à le préciser, je n'ai pas eu la chance de me rendre en Algérie. D'ailleurs même les circonstances ne m'ont pas permis de réaliser ce vœu. Il faut dire qu'en 2001, il était prévu que je sois du voyage à Annaba pour assurer la couverture du dernier match qualificatif au Mondial, mais des circonstances personnelles et urgentes ne l'avaient pas permis, quand bien même les joueurs auraient tout fait pour que je sois du voyage parce que je leur avais porté chance à l'aller. Mais j'ai eu quand même l'occasion de rencontrer beaucoup de joueurs algériens lors des diverses festivités auxquelles j'ai pris part dans le cadre, par exemple, des jubilés. En outre, j'ai eu l'occasion de rencontrer des membres de la Fédération algérienne. En somme, il ne faut pas oublier que nous sommes des frères et ma foi, je pense qu'il n'y a aucun problème majeur entre nous. * On aimerait bien connaître votre avis sur le déroulement des éliminatoires du Mondial, alors parlez-nous du parcours de L'Egypte et de l'Algérie ? En toute honnêteté, les télespectateurs ont sans doute remarqué, à travers les émissions que j'anime sur la chaîne Moderne sport, la franchise caractérisant mes commentaires. A mon humble avis, je pense que l'Algérie et l'Egypte ont la chance de se retrouver dans un groupe facile par rapport, évidemment, à la composante des autres groupes. Au départ, l'Egypte double champion d'Afrique était présentée comme le favori numéro. L'Algérie, quant à elle, se trouvait être dans la peau d'un modeste concurrent, en raison des résultats dérisoires que votre équipe a réalisés ces dernières années la privant chaque fois d'une participation à la phase finale de la Coupe d'Afrique, tout en cultivant l'espoir de renouer avec les joutes internationales. A partir de là, on ne se focalisait que sur la dualité sportive algéro-égyptienne mettant ainsi de facto la Zambie hors course. Mais le nul que nous a imposé la Zambie au Cairo-stadium a changé la donne, même si au fond de moi-même je dirai que cette équipe n'est pas en mesure de rivaliser avec l'Egypte et l'Algérie. Les deux derniers résultats, 3 à 1 contre l'Egypte et 2 à 0 contre la Zambie, ne laissent pas indifférents les observateurs dont je fais partie. J'ai personnellement beaucoup apprécié la production des Algériens qui ont fourni deux prestations de grande envergure, mais cela demeure insuffisant. Cependant, j'ai l'intuition que si l'Algérie se qualifie en Coupe du monde, elle représentera dignement le football africain et arabe. * Qu'est-ce qui vous pousse à dire cela ? Votre formation est loin de valoir celle de 1982, il n'y a pas l'ombre d'un doute là-dessus. Elle a les circonstances atténuantes du fait qu'elle est en pleine reconstruction. Elle est, certes, conduite par un coach respectable et agréable, mais son rendement n'égale en rien celui de la prestigieuse équipe des années 80. Vous aviez des talents fous, ce qui n'est pas le cas actuellement. * Vous voulez dire par là que l'Algérie ne dispose pas d'individualités talentueuses… Les individualités existent, mais ce qui fait défaut à cette équipe, c'est le rendement d'ensemble. Je suis ébahi par le talent de Belhadj que j'ai le privilège de voir souvent, du fait que je commente les matchs de son équipe pour le compte de la chaîne de télévision pour laquelle je travaille. C'est un joueur exceptionnel, au même titre qu'un joueur dont le nom m'échappe... Je regrette, néanmoins, d'avoir cette tendance à l'oubli. Karim Ziani est un joueur fabuleux. Disons que dans la conjoncture actuelle, le football algérien est redoutable. Il se pourrait qu'avec le temps et les performances, les Algériens pourraient le devenir, en raison de la présence au sein de cette équipe de joueurs de haut niveau, en mesure de donner confiance au groupe. La sélection algérienne gagne, certes, mais sans l'art et la manière. Je dis cela parce que je suis partisan du beau jeu. * A contrario, que pensez-vous du parcours de L'Egypte ? La sélection égyptienne a fait une superbe Coupe d'Afrique en 2008, alliant le beau jeu à l'efficacité. C'était pour moi du «super foot». Mais son niveau lors de ces éliminatoires a régressé, au point où nous nous posons des questions quant aux véritables raisons qui demeurent pour nous énigmatiques. Pourtant, l'effectif et le staff technique sont les mêmes que ceux d'il y a une année. Ce qui nous inquiète, ce sont les résultats et la manière de jouer de l'équipe qui laisse à désirer. Je pense que nous sommes poursuivis par la guigne qui pointe le bout de son nez, dès lors que notre équipe aborde les éliminatoires de la Coupe du monde. La pression tout comme la peur sont aussi de mise, en ce sens qu'elles affectes les joueurs qui vont jusqu'à perdre leur ferveur et leurs potentialités. Le match contre la Zambie, au Caire, nous devions le gagner par 2 à 0 voire 3 à 0 et un nul est pour moi inconcevable, quand on joue une qualification en Coupe du monde. Idem pour la rencontre contre le Rwanda. En dépit de la victoire, le rendement d'ensemble et individuel étaient loin de nous satisfaire et, ma foi, n'était le génie de Abou Trika, nous serions maintenant dans de beaux draps. Personnellement, je n'ai trouvé aucune circonstance atténuante à la production juste moyenne de notre équipe. C'est un syndrome qui se produit chaque fois que nous abordons les éliminatoires de la Coupe du monde avec au final l'échec. * La rue égyptienne parle de complexe cultivé par votre équipe face aux équipes maghrébines, particulièrement l'Algérie. Partagez-vous cet avis ? Je reconnais que nous avions ce complexe, mais il s'est résorbé après les victoires que nous avons enregistrées face aux pays que vous citez, que ce soit au niveau de l'équipe nationale ou des clubs, Al Ahly et même Haras El Houdoud ayant bien battu Sfax. * Quelles sont, selon vous, les chances de l'Algérie et de l'Egypte de participer à la Coupe du monde ? Le calendrier, en l'état actuel des choses, joue en faveur de l'Algérie qui recevra deux fois de suite, à l'opposé de notre équipe qui devra composer avec deux périlleux déplacements. Mais la réalité du terrain est tout autre, car quand bien même vous auriez gagné en Zambie, sans l'art et la manière dois-je préciser, la partie ne sera pas de tout repos lors du match retour. Je suis persuadé que les Zambiens ne viendront pas en Algérie en victimes expiatoires, mais en conquérants. Il est fort probable que vous n'ayez pas de problèmes pour vous défaire du Rwanda, qui demeure une équipe quelconque avec, certes, une assez bonne défense, mais qui ne dispose pas d'attaquants à même de vous inquiéter. Néanmoins les Zambiens, et je tiens à le réitérer, c'est une autre paire de manches eu égard à leur prestation contre l'Egypte. Quant à nous, nous n'avons d'autre choix que de gagner tous nos matchs. Nos joueurs sont prêts à se sacrifier pour atteindre cet objectif. Je suis persuadé que nous ramènerons les trois points de notre prochain déplacement, mais contre la Zambie, ce sera extrêmement difficile. Personnellement, je suis très optimiste et je cultive l'espoir de voir notre équipe en Afrique du Sud. En somme, je dirai que l'Algérie a 100% de chances de gagner contre le Rwanda, mais à peine 58 face à la Zambie. Je suis persuadé que la qualification se jouera au Caire lors de la rencontre décisive qui mettra aux prises les deux formations dans le match de la mort qui désignera l'heureux élu qui ira en Afrique du Sud. * Saâdane appréhende le match contre la Zambie, en raison de son déroulement en plein Ramadhan. Il en est de même pour votre équipe qui aura à composer avec les affres du déplacement au Rwanda, mais aussi du déroulement du match en plein milieu d'après-midi… Ce sera vraiment pénible pour nos joueurs qui auront à jouer à jeun. Les Rwandais ont d'ailleurs sciemment programmé la rencontre en pleine journée, sachant que cela handicapera à plus forte raison nos joueurs qui auront par conséquent à subir aussi le facteur relatif à l'altitude, Kigali se trouvant perchée à 2400 m d'altitude. Nos joueurs refuseront certainement de ne pas jeûner. La fetwa qu'on a l'intention de mettre en pratique ne concernera que le jour du match. Il y aura certainement des joueurs qui ne vont pas jeûner, mais ce ne sera pas le cas des chouyoukh, tels que Abou Trika, Gomoa et Ahmed Fethi. Mais je ne doute pas de la volonté des joueurs d'aller au-delà de leurs possibilités pour revenir avec une victoire. J'ai été surpris par le résultat que votre sélection a enregistré à Kigali. Elle pouvait facilement ramener les trois points de la victoire, ce qui aurait compliqué considérablement notre tâche. Ceci étant, si nous arrivons à garder intact l'écart qui nous sépare, un score de 2 à 0 face à votre équipe nous comblera de bonheur, du fait que le but inscrit par Abou Trika à Blida vaudra son pesant d'or. Mais nous n'en sommes qu'au stade des spéculations car après tout, les paris sont vraiment ouverts et aucune équipe ne peut se targuer de dire qu'elle a les dés en main. * Vous avez tendance à parler, sur la chaîne Moderne sport, de manière insidieuse du million et demi de Martyrs algériens qui se son sacrifiés pour que l'Algérie recouvre son indépendance. Ce comportement courrouce, au plus haut point, les Algériens qui suivent votre émission… Je suis comblé, d'une part, à l'idée de savoir que mon émission a une audience en Algérie, mais d'autre part je suis outré qu'on veuille me coller une étiquette qui va à l'encontre de ce que je pense de l'Algérie et de son million et demi de Martyrs. Ceux qui suivent réellement et objectivement mon émission se rendent à l'évidence que mes propos et ceux de mes invités ne touchent en aucun cas à l'intégrité morale des Algériens Je reconnais le manque de discernement de Hacène Mastakaoui et Fathi Sanad qui vont vite en besogne dans leurs appréciations et commentaires et je n'en suis que fortement désolé. Nous n'étions pas sûrs du nombre de Martyrs algériens lors de cette émission, suite à l'intervention d'un téléspectateur. * S'agit-il d'un million et demi de Martyrs ? Je vous assure que je ne suis sûr de rien (Il se tourne vers Abdelaziz Hamar responsable de Sport Kora, qui était présent lors de cette entrevue, auquel il renvoie la question. Ce dernier était aussi déphasé que lui, car il était persuadé que l'Algérie ne comptait qu'un million de Martyrs. En Egypte, les programmes d'enseignement de l'histoire n'évoquent que le sacrifice de un million de Martyrs. L'Egypte en tout cas s'est toujours rangée dans le camp algérien. La preuve en est que nos cinéastes ont porté à l'écran la Révolution algérienne à travers le film Djamila Bouhired, pour ne citer que cet acte. Cet épisode est normalement clos à partir du moment où j'ai présenté mes vives excuses au public algérien et j'en profite pour les réitérer à travers votre journal. * Reconnaissez que vous avez, une nouvelle fois, commis un impair, en marge du match que votre équipe a joué face au Rwanda, en vous esclaffant que l'Egypte se devait de gagner par cinq ou six à zéro, mais que ce n'était que partie remise, car l'Algérie recevrait une véritable raclée lors du dernier match qualificatif pour le Mondial… J'ai dit que nous gagnerions éventuellement par deux ou trois à zéro, et cela est tout à fait naturel. La presse algérienne ne s'est –elle pas aussi rangée du côté des Rwandais ? C'est une guerre psychologique que nous nous livrons par presse interposée, mais qui ne sort pas de son contexte sportif. * Vous reconnaissez que vous vous impliquez directement dans ce que vous appelez guerre psychologique. En un mot, vous allez en guerre, psychologiquement parlant, contre l'Algérie… Je le reconnais, mais une fois que les joueurs sont sur le terrain, je ne suis garant de rien. Après tout, je suis citoyen égyptien et en tant que tel, je dois me ranger du côté de mon pays, tout autant que vous d'ailleurs. * Comparativement à vous, les commentateurs algériens sont plus discrets et plus objectifs même quand il s'agit de l'Egypte… S'ils agissent ainsi, c'est parce qu'ils sont soumis à l'obligation de réserve, dans la mesure où ils travaillent dans le public, ce qui n'est pas notre cas. Je vous avoue que j'agissais de la même manière du temps où j'appartenais à la télévision publique. Mais depuis l'apparition des chaînes privées, la donne a carrément changé, en raison de la concurrence qui s'est instaurée dans le paysage médiatique en Egypte. * Le mot de la fin destiné au public algérien… En toute sincérité, je souhaite vivement que l'Egypte se qualifie au Mondial. Mais si nous n'y arrivons pas, je formulerai le même vœu pour l'Algérie. Soyez convaincus que nous serons éventuellement de tout cœur avec vous, dans le cas où vous iriez en Afrique du Sud. Je n'omettrai pas de transmettre mes chaleureuses salutations à tous les Algériens. De notre envoyé spécial au Caire : Chouaïb K.