«Maintenant, je peux aller boire un café, aller au cinéma ou faire du shopping tranquillement.» «Je ne suis pas du tout play-station ni un accro du téléphone portable.» Ses silences sont des mots. Ses regards, des paroles. Depuis qu'il a quitté les pelouses, un soir de finale de Coupe du monde en Allemagne, en juillet 2006, Zinédine Zidane s'exprime peu. Nous avons rencontré le parrain de l'association ELA, à Aix-en-Provence, la veille de ses quarante ans. Dans un long entretien exclusif accordé au Républicain Lorrain, l'homme se démarque et se dévoile sur des terrains plus intimes. Sa (nouvelle) vie, ses envies et ses buts : Zizou joue. Il y a vingt-huit ans, quasiment jour pour jour, vous assistiez, à Marseille, dans les tribunes du Vélodrome, au match France-Portugal, la demi-finale de l'Euro 84 organisé en France. Vous (Ndlr : interview réalisé samedi passé) fêtiez ce soir-là vos 12 ans. Le gamin qui jouait alors du basket sur le bitume des quartiers nord pouvait-il seulement rêver d'une telle carrière et d'un tel palmarès ? Non. Et c'est ça la belle histoire. Pour moi, être dans le stade Vélodrome, ce jour-là, était déjà un rêve. Je n'imaginais pas du tout la suite et encore moins la façon dont elle s'est déroulée. S'il n'y avait pas eu le football, auriez-vous prévu un plan B ? (Il rit). Le plan B, c'était chauffeur-livreur. A nos heures perdues, quand on était dans le quartier avec les copains, c'est ce qu'on faisait. On aidait ceux qui venaient livrer les magasins et tous les commerces. Je trouvais ça génial à l'époque, parce qu'on gagnait notre petite pièce comme ça. Si je n'avais pas été footballeur, j'aurais été chauffeur-livreur. (Il sourit). Mais peut-être pas toute ma vie. A quel moment avez-vous su que le football allait pouvoir changer votre vie ? J'en ai pris conscience quand j'ai intégré le centre de formation de Cannes. J'ai eu la chance de pouvoir m'entraîner à côté du terrain des professionnels : ma vie, je l'ai vue différemment à ce moment-là. Je me suis dit que je pouvais, moi aussi, devenir un jour un joueur professionnel. Tous les gens qui m'entouraient, mes parents, ma famille d'accueil à Pégomas, à côté de Grasse, mais aussi Jean Varraud, ancien dirigeant du club aujourd'hui disparu, ont été importants parce qu'ils ont cru en moi. Très souvent, vous avez besoin de confiance pour avancer. Vos parents, vos frères et votre sœur, votre épouse et vos quatre fils sont indissociables de votre parcours. Le 7 mai 2006, vous disputez au stade Santiago Bernabéu, à Madrid, votre dernier match sous les couleurs du Real. Et, pour la première fois, tout le monde est dans les tribunes... C'était effectivement la seule fois qu'on s'est vraiment réunis pour un match. La famille est grande. (Il sourit). Je n'avais jamais eu de larmes sur un terrain, juste beaucoup d'émotions, mais c'était très émouvant. J'ai toujours été assez réservé de ce côté-là, mais là, juste avant le match, je n'y arrivais pas. J'étais à la fin de quelque chose qui était toute ma vie. C'est pour ça que je baissais, à chaque fois la tête. J'essayais de cacher mes larmes. Mais tout le monde l'a vu, parce qu'il y avait beaucoup de caméras ce jour-là. Précisément, votre vie a tourné pendant dix-sept ans autour du ballon rond. On parle souvent de temps d'adaptation quand on arrive dans un nouveau club. Avez-vous mis du temps pour trouver vos marques dans votre quotidien ? Ce n'est pas compliqué parce qu'en fait, c'est une continuité. J'ai enfin plus de temps à accorder à ma famille. Par contre, c'est une vie différente dans la gestion du quotidien. Car jusque-là, pour l'organisation, je n'avais pas grand-chose à faire, si ce n'est que de penser à mon match et d'être efficace sur le terrain. Je savais que la vie réelle était différente, mais même si vous vous y attendez, quand elle arrive, c'est parfois difficile. Mais les choses se sont mises en place petit à petit. Sur un terrain, vous changiez parfois, en un geste, le cours d'un match. Vous étiez capable de toutes les audaces. Il y avait un caractère d'évidence, le geste juste, au bon moment. Dans votre nouvelle vie, faites-vous également confiance à votre intuition ? Oui, car elle m'a servi durant ma carrière. Je me suis protégé comme ça, je me suis construit comme ça. Justement, en six ans, qu'avez-vous appris de cette «vraie vie» ? Que même quand vous vous appelez Zidane, il faut se battre. Déjà, on ne vous voit plus comme un joueur de foot, mais comme quelqu'un de différent. C'est à vous de faire vos preuves, mais ça prend du temps. Aujourd'hui, il faut que je me lâche et que je sois moi-même. Le footballeur que vous étiez se préparait en fonction d'objectifs sportifs avec, forcément, un rapport au temps très particulier. Par quoi avez-vous remplacé l'adrénaline de la compétition ? Il n'y a rien qui la remplace. C'est quelque chose de formidable, de tellement fort et intense, de tellement excitant... Je suis en fait une double personne : autant je peux être très, très discret dans la vie, autant je me montrais, sur le terrain, très animal et très instinctif. J'avais besoin de ressentir la pression de la compétition pour me surpasser. Vous êtes, comme vous le dites vous-même, retourné à l'école. Cette première année à Limoges, de Master de manager sportif du Centre de droit et d'économie du sport, vous conforte-t-elle dans l'idée, un jour, peut-être, de vous voir revenir sur le terrain ? J'aurais très bien pu m'en passer, mais je voulais apprendre des choses pour la suite. J'ai envie également, un jour, de préparer mon diplôme d'entraîneur. Ce n'était pourtant pas du tout dans vos projets quand vous avez raccroché les crampons... C'est vrai. Mais le terrain est ce que je connais le mieux. J'ai vécu pendant une vingtaine d'années des moments exceptionnels et j'ai envie de transmettre et de partager mon expérience. En tant qu'entraîneur ou dirigeant ? On verra. Pas besoin d'en dire trop maintenant. Ça peut partir très vite... (Il sourit). Mais vous avez déjà une idée derrière la tête... Oui, peut-être. Mais pas avant dix ans. Votre père a économisé pendant un an pour vous payer vos premières Adidas Copa Mondial dans les années 80...Et vous, quel père êtes-vous ? Le plus important, pour mon épouse et pour moi, c'est la valeur des choses. On essaie de donner à nos enfants les mêmes repères et la même l'éducation que celle que nous avons eue. On fait attention, même si on peut se faire plaisir. Moi, je n'ai pas profité quand j'étais petit et ce n'est pas parce qu'on a de l'argent qu'on peut se payer tout ce qu'on veut, à tout moment. Je ne suis pas quelqu'un qui montre ma vie privée ou ce que j'achète. Vous vous êtes fait un nom, vos fils devront se faire un prénom. Comment les protégez-vous quand on voit que les médias comparent, par exemple, les attitudes d'Enzo, dix-sept ans, avec celles de son papa sur un terrain ? Il est dans un âge où ça va vite. Il faut qu'il joue si c'est sa passion. Je n'ai pas envie, en fait, qu'il regrette quoi que ce soit. Il bosse bien l'école et à l'entraînement, il sait ce qu'il fait. Après, si un jour il a la possibilité de devenir footballeur, j'en serai ravi comme tous les papas qui espèrent que leurs enfants réussissent dans ce qu'ils entreprennent. Lisez-vous, regardez-vous ce qui vous concerne dans les médias ? Y attachez-vous de l'importance ? Oui, bien entendu. J'accepte la critique, elle est normale quand vous êtes connu. Je n'ai jamais eu de souci sur ce plan. Lorsqu'on est encensé, on est très content, ça fait partie du job. Par contre, quand c'est malsain ou malhonnête, on est forcément touché. Vous faites, en 2006, un voyage au Bangladesh à l'invitation du prix Nobel. Vous êtes stupéfait, sur place, qu'on puisse, aussi loin, vous connaître. Vous qui êtes si discret, comment vivez-vous ce statut et ce paradoxe ? Il y a des endroits où, heureusement, on est tranquille comme aux Etats-Unis par exemple. C'est à la fois surprenant et assez touchant parce c'est la preuve que ce que vous avez fait, à un moment donné, a été apprécié. Est-il possible pour vous de faire quelque chose de «normal» comme boire un café, aller au cinéma ou faire du shopping ? C'est possible à Madrid et même en France, bien sûr. C'était plus difficile quand je jouais. Mais vous avez des endroits où vous pouvez prendre un verre tranquillement. Pourriez-vous revenir vivre en France ? Pour le moment, Madrid correspond à notre rythme de vie. On y est depuis dix ans. Quand vous êtes bien installés, c'est compliqué de bouger car chacun a sa vie, mes enfants en particulier. Aujourd'hui, notre vie est là-bas. Après, on ne sait pas ce qui peut se passer. Vos fils vous défient-ils à la console de jeux ou balle au pied ? Ils ne sont pas très console et leur papa ne l'est pas du tout ! C'est plutôt balle au pied et c'est d'ailleurs pour ça que c'est fatigant ! (Il rit) Zinédine Zidane est-il accro au téléphone portable ? Pas du tout. Je vous ai dit tout à l'heure que je m'étais construit en me protégeant. Je sais que ça peut surprendre, que ça peut même déranger, que certains peuvent ne pas comprendre, mais ça fait partie de ma vie, et ceux qui me connaissent un petit peu savent que c'est comme ça. Par exemple, lors de la Coupe du monde, en Allemagne, en 2006, je n'utilisais mon portable que le soir, en rentrant dans la chambre, pour téléphoner à mes enfants, à mon épouse, à maman et à mon papa. J'avais besoin de ça pour ma préparation. Vous êtes une des personnalités préférées des Français : que répondez-vous à ceux qui trouvent que vous devriez, comme Jamel Debbouze ou Yannick Noah, davantage vous engager et occuper le terrain politique ? Je pense que chacun est libre de faire ce qu'il veut. Moi, je n'ai pas envie d'être récupéré. Par contre, ça ne veut pas dire que je n'ai pas un avis sur les choses. Bien au contraire, je m'informe, je suis l'actualité. Mais voilà, quand vous êtes Zidane, quand vous avez quelque chose à dire, vos propos sont parfois déformés ou sujets à des raccourcis abusifs. Il y a pile dix ans, vous disputiez, en Corée, la Coupe du monde 2002. Vous venez de fêter vos quarante ans au Z5, le centre sportif que vous avez ouvert à Aix-en-Provence. Dans dix ans, où vous voyez-vous ? C'est une bonne question. J'espère que ma vie professionnelle sera épanouie. Que je puisse y retrouver, je ne vais pas dire ce que j'ai vécu sur le terrain, mais quelque chose qui s'en rapproche, avec un projet qui va me construire vraiment. Pour votre anniversaire, je vous donne une baguette magique : l'occasion de remonter le temps et de revivre ou de réécrire un moment de vos quarante premières années. Que choisissez-vous ? Revivre de fortes émotions, comme celles, par exemple, de 1998. Quand vous êtes dedans, vous ne vous rendez pas compte de ce que vous êtes en train de faire. Donc, voilà avec le recul et la maturité d'aujourd'hui, se replonger dans cette Coupe du monde pour, peut-être, en profiter davantage. Sinon, je ne changerai rien. Toute ma vie a été [l'œuvre d'] une baguette magique. (Il sourit). Tous les jours, je suis stupéfait de ma vie. Je mesure chaque seconde ce que je vis et ce que j'ai vécu. Evidemment, il y a parfois des jours avec et des jours sans. Mais même quand je ne suis pas bien, je suis heureux.