«El Guerroudj m'a dit :‘‘Le 1500m doit rester un bien maghrébin''» Tout d'abord, votre sentiment par rapport au grand exploit que vous venez de réaliser ? El hamdoullah. Je suis très heureux de ce que j'ai accompli et de cette médaille que je dédie à tout le peuple algérien. Cela n'a pas été facile, car il m'a fallu beaucoup de sacrifices et c'est ce qui donne à cette performance une saveur particulière. En toute franchise, vous attendiez-vous à être champion olympique ? En vérité, je m'attendais à remporter une médaille, au vu des mes performances lors des séries et de la demi-finale. C'est pour ça que j'ai décidé à tout donner pour tenter de remporter l'or. Oui, mais la médaille d'or était-elle votre objectif ? Ce serait mentir que de dire que c'était mon objectif, car dans une course, beaucoup de choses peuvent se passer. Un athlète peut être en méforme, être dans un jour sans, se blesser ou être victime d'une chute au cours de la course. Cependant, j'étais raisonnablement optimiste. Comment avez-vous vécu le feuilleton de votre exclusion temporaire de la finale, après votre abandon au 800m, puis votre réintégration ? Croyez-moi, j'ai vécu la situation le plus normalement du monde. Cela ne m'a pas du tout affecté et je n'étais à aucun moment inquiet. Vous venez de recevoir la médaille d'or (entretien réalisé mercredi soir, ndlr) et l'hymne national algérien a retenti au stade olympique de Londres. Comment avez-vous vécu ce moment ? (Très ému) Je ne peux pas exprimer ce que j'ai ressenti à ce moment-là. C'était un moment très émouvant et c'est certainement le plus beau de ma vie. Y a-t-il des personnes dont vous vous êtes rappelés à ce moment précis ? Oui, tous ceux que je connais : ma famille, mes amis, le peuple algérien en entier... Croyez-moi, beaucoup d'images ont défilé dans mon esprit et cela m'a rendu très fier de moi et de mon pays. J'aimerais, justement, préciser une chose. Allez-y... Nous avons tous connu le bonheur que la qualification de la sélection nationale de football pour le Mondial-2010 avait procuré au peuple algérien. J'imagine qu'un bonheur similaire a été ressenti par le peuple algérien. J'ai eu des échos du pays et c'est vraiment ma plus grande joie, plus même que mon sacre individuel. Comment avez-vous passé la nuit du mardi à mercredi, après votre victoire ? (Il rit longuement) Je n'ai pas pu dormir. En plus du bonheur incommensurable que je ressentais, les appels téléphoniques n'ont pas cessé. Tout le monde voulait me féliciter à tel point qu'aujourd'hui (mercredi, ndlr), je n'ai répondu à aucun appel. Vous êtes le premier à qui je parle au téléphone aujourd'hui. Je sais que plusieurs journalistes ont essayé de m'appeler. Qu'ils me pardonnent de n'avoir pas pu leur répondre, car j'étais vraiment occupé. On présume que votre famille a été la première à vous avoir appelé... Evidemment ! Y a-t-il des responsables de la Fédération algérienne d'athlétisme ou du ministère de la Jeunesse et des Sports qui vous ont appelé ? Après la course, M. El Hachemi Djiar m'a appelé pour me féliciter pour ma victoire. Aujourd'hui, j'ai reçu un message de félicitations du Président de la république à travers l'ambassadeur d'Algérie à Londres, ce qui m'a beaucoup réjoui. Ce message m'a rendu encore plus fier et m'a laissé mesurer la valeur de ma performance. Le Marocain Hicham El Guerroudj a déclaré, après la course, qu'il était convaincu de votre victoire. Un tel témoignage vous honore-t-il ? Oui et je l'en remercie beaucoup. Justement, c'est lui qui m'a remis la médaille. L'hommage d'un tel grand champion me motive pour faire encore mieux à l'avenir. Vous a-t-il dit quelque chose en particulier lorsqu'il vous a remis votre médaille ? Il m'a dit : «Le 1500m doit rester un bien maghrébin, de génération en génération.» Il voulait dire par là que c'est une spécialité sur laquelle Algériens et Marocains se sont succédé pour la dominer, avec Saïd Aouita au départ, puis Noureddine Morceli et lui et maintenant moi. J'espère être son digne héritier. Morceli et les anciens champions algériens vous ont-il appelé avant ou après la course ? Morcelli ne m'a pas appelé, mais il a suivi la course ici à Londres en direct. D'anciens champions tels Sief, Guerni et Benida-Merah ont été très contents pour moi et je les en remercie. A la fin de la course, vous avez célébré la victoire en reproduisant un geste qu'a l'habitude de faire le champion jamaïcain Usain Bolt. Etait-ce voulu ? Je n'ai pas du tout imité Bolt. Justement, vous me donnez l'occasion d'expliquer ce geste qui, visiblement, a été très mal compris : j'ai fait comme un archer qui tire une flèche, en mettant une main sur le drapeau algérien qui était collé sur mon maillot. C'était pour envoyer symboliquement mes salutations au peuple algérien via une flèche. D'ailleurs, quand j'ai mis, juste après, ma main sur mon front, comme si je voyais au loin, c'était une façon imagée de dire que la flèche est partie très loin, vers l'Algérie. Au risque de me répéter, je n'ai nullement imité Bolt. Tout le monde attend votre retour en Algérie, surtout les membres de votre famille qui ne vous ont plus vu depuis 7 mois. Quand serez-vous parmi eux ? Je leur passe le bonjour à travers les colonnes de votre journal et les assure qu'ils me manquent beaucoup. Actuellement, je ne sais pas exactement quand je serai de retour à Souk-Ahras car j'ai des engagements contractuels et des courses jusqu'à la fin de la saison. Doit-on comprendre par là que vous allez participer aux meetings qui restent de la saison d'athlétisme ? Je ne sais pas encore. Tout dépendra de l'évolution de ma blessure. Je souffre d'une inflammation de l'adducteur. J'espère que ce n'est pas grave. Quels sont vos prochains objectifs ? Je vais commencer à me préparer pour les grands rendez-vous de l'année prochaine. Inch'Allah, je vais confirmer le niveau que j'ai atteint et continuerai à honorer l'Algérie. Le record du monde du 1500m constitue-t-il l'un de vos objectifs ? Ce n'est pas une priorité, mais je m'y attaquerai un jour. Un dernier mot pour le peuple algérien ? Je lui transmets mes salutations et le remercie pour son soutien indéfectible. Saha aïdkoum à l'avance ! ---------------------- Makhloufi, un Algérien ordinaire au destin extraordinaire Profitant de notre visite à Souk-Ahras chez la famille Makhloufi, nous avons pu récolter des informations sur la personnalité de Taoufik, champion olympique du 1500m. A travers les témoignages croisés de son père, Younès, de sa mère, Chahla, et de son frère, Tahar, il nous est apparu que Taoufik Makhloufi, côté humain, est un Algérien ordinaire comme le commun des Algériens, avec les loisirs et ambitions des Algériens, sauf qu'il est en train de connaître un destin extraordinaire. Son père était amateur de cross, son jeune frère a été athlète Originaire de Sedrata, Taoufik Makhloufi est né le 27 avril 1988 au quartier populaire Mezghiche, dans une famille modeste qui compte 7 enfants (il a un frère et cinq sœurs et est le troisième de la fratrie), en plus des parents. A l'âge de 10 ans, il migre avec sa famille au quartier Goussim Abdelhak, plus connu sous le nom de Dallas 2. Son père, un retraité de l'Armée nationale populaire, pratiquait le cross régulièrement, mais en amateur seulement. Son jeune frère Tahar, 22 ans, était quant à lui licencié au sein du club de la Protection civile de Souk-Ahras, mais une grave blessure à un genou l'avait contraint à mettre un terme prématurément à sa carrière sportive. Repéré à l'occasion d'une course scolaire Makhloufi était loin de s'imaginer, jeune, qu'il deviendrait un grand sportif ou qu'il intègrerait un club de sport. C'est en 2003 que l'entraîneur d'athlétisme du club de la Protection civile, Ali Redjimi, l'a repéré dans une course scolaire, détectant en lui les qualités d'un futur champion. Il l'a convaincu de rejoindre le club pour pratiquer le demi-fond. C'est donc à l'âge de 15 ans que Taoufik Makhloufi a signé sa première licence. Les intimes l'appellent «Tou», sa mère le surnomme Bouteflika Quand vous vous adressez aux intimes du champion olympique, ne leur citez pas le nom de Taoufik car ce n'est pas ainsi qu'ils l'appellent. Pour eux, c'est tout simplement «Tou», diminutif de son prénom. Depuis son jeune âge, on le connaît, chez sa famille et ses amis, sous ce surnom. Il n'y a que sa mère qui l'appelle autrement : Bouteflika. L'explication ? «Il aime tellement l'Algérie et s'est tellement privé et sacrifié pour l'honorer au plus haut niveau qu'il me fait penser au président Abdelaziz Bouteflika, qui a beaucoup fait pour remettre l'Algérie sur le devant de la scène internationale», nous a-t-elle confié. Un fou du Barça et de Carlès Puyol Comme la majorité des jeunes Algériens, Makhloufi est un mordu du football, surtout quand il s'agit de compétitions internationales. Son jeune frère Tahar nous a confié que c'est un supporter acharné du FC Barcelone, dont il considère le style de jeu comme étant le plus attrayant au monde. Néanmoins, son idole n'est pas Messi, Xavi ou Iniesta comme on pourrait le supposer, mais plutôt le défenseur et capitaine d'équipe Carlès Puyol qu'il adore à la démesure, car admirant la détermination dont il fait preuve à chaque match, ce qui lui a valu le surnom de cœur de lion. En Play Station, il met Puyol meneur de jeu Son admiration pour Puyol le pousse même à choisir toujours l'équipe du Barça quand il joue à la Play Station. Plus même : son frère nous a révélé que, quand il compose son équipe, il place le défenseur central de l'équipe catalane au poste de... meneur de jeu. Il trouve plus de plaisir à le voir jouer le rôle habituellement dévolu à Lionel Messi, celui de construire le jeu, de délivrer des passes décisives et d'inscrire de très jolis buts. Amateur de disco, de dance et d'électro et fan d'Inna En dehors du sport, le principal hobby de Taoufik Makhloufi est la musique. Normal pour un jeune ! Sur ce plan, on peut même dire qu'il est plutôt branché car il est fan des musiques disco, dance et électro. Son idole est la chanteuse roumaine de dance-pop Inna, très en vogue ces derniers temps. Selon Tahar, son frère n'est pas du tout branché sur la musique algérienne, n'en écoutant que quelques morceaux très rarement, quand ça lui chante. Ses plats préférés : les fritures et la chakhchoukha de sa mère La maman du champion olympique du 1500m nous a révélé une de ses caractéristiques : il n'est pas trop porté sur les plats préparés en sauce. Cela fait qu'il n'aime pas trop les plats populaires algériens, à l'exception de la chakhchoukha dont il raffole quand c'est elle qui la lui prépare. Sa préférence va plutôt vers les fritures. Tout ce qui est frit est bon pour lui : pommes de terre, poivron, viande... En l'occurrence, les frites constituent son plat préféré, même si c'est peu recommandé pour un sportif de haut niveau. Célibataire, son cœur est à prendre Quand on parle de famille, on pense aussi au mariage. Pour l'instant, et selon les parents de Makhloufi, il n'y a rien à l'horizon sur ce plan, surtout qu'il est encore jeune et son cœur est à prendre. Du moins, leur fils ne leur en a pas parlé. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ne le bloqueront pas dans le cas où il se déciderait à convoler en justes noces car ils font confiance à la justesse de son choix et à la sagesse dont il fera preuve pour désigner celle qui partagera sa vie.