«La médaille que j'ai remportée m'a permis de gagner l'amour et le respect du peuple algérien, cela vaut tout l'or du monde» Il n'était pas possible pour le Buteur de passer à côté d'un évènement qui a procuré une immense joie au peuple algérien pendant le mois de Ramadhan, la médaille olympique du 1500 mètres décrochée brillamment par Toufik Makhloufi que nous avons eu l'honneur de recevoir au siège du journal. Humble avec les pieds sur terre, c'est un homme charmant et attachant que nous avons découvert en nous intéressant à d'autres aspects de sa personnalité. L'enfant de Souk Ahras a répondu à toutes nos questions, appréciez. D'abord, nous vous souhaitons la bienvenue dans notre rédaction, nous sommes très fiers d'accueillir un grand champion olympique, celui qui a procuré une joie immense au peuple algérien. Je pense que c'est un devoir pour moi de répondre à votre invitation car je tiens, à travers vous, à préserver le contact avec le peuple algérien qui est ma seule et unique richesse. Je suis à votre entière disposition. Après plus d'un mois depuis votre exploit à Londres et cette belle victoire en finale du 1500 mètres, qu'est-ce qui a changé dans votre vie ? Sur le plan de la personnalité, je n'ai pas changé. Le Makhloufi que mes proches et mes amis connaissaient avant est toujours le même, un homme très modeste et qui va toujours vers les autres. Mais j'avoue que d'autres choses ont changé dans ma vie de tous les jours car après ma victoire à Londres, je suis désormais sous les feux de la rampe. Sur le plan professionnel, je ressens plus de responsabilité et plus de pression. Je ne suis plus cet athlète anonyme de qui on n'exigeait pas grand-chose. Aujourd'hui, je me dois de justifier ce nouveau rang et aussi d'être plus ambitieux avec des objectifs plus clairs. J'espère être à la hauteur des attentes des uns et des autres. Ce qui est donc nouveau pour vous, vous êtes devenu un athlète connu mondialement et un des grands favoris des prochaines échéances du 1500m, c'est cela ? Oui, c'est exactement ça, je suis passé du statut d'athlète normal, presque anonyme, à une star en la matière, surtout dans le monde arabe et musulman, qui est très fier de ce que j'ai réalisé aux Jeux olympiques. J'essaye aujourd'hui de m'adapter à cette nouvelle donne, tout en restant modeste comme je l'ai toujours été et en gardant les pieds sur terre. Soyez franc avec nous, depuis le jour où vous avez commencé à pratiquer ce sport, avez-vous un jour rêvé de gagner cette médaille olympique et faire sortir le peuple algérien dans la rue pour fêter ce succès ? Je vais effectivement être franc avec vous et je vais vous confier qu'étant jeune encore, je me disais qu'il faut que les gens connaissent le nom de Makhloufi, qu'il faut que je me fraye un chemin dans ce monde de l'athlétisme et dans la société algérienne. Je me disais que Makhloufi doit faire quelque chose, il n'est pas question que tous ces efforts partent en fumée. Dieu merci, aujourd'hui mon rêve s'est réalisé, je suis récompensé, je n'ai pas déçu tous ceux qui ont placé leur confiance en moi, que ce soient mes proches ou ma famille, je suis très fier de leur avoir procuré cette joie et ce sentiment de fierté. Maintenant, il faut continuer sur cette lancée. Au-delà de ce titre olympique, peut-on dire que nous sommes en train d'assister à la naissance d'un autre Morceli, d'un autre Aouita ou d'un autre El Gueroudj ? Ecoutez-moi bien. Croyez-moi, je n'ai réalisé l'ampleur de la victoire que lorsque je suis rentré en Algérie. C'est là, en voyant la ferveur dans les yeux de ceux qui sont sortis dans la rue pour m'accueillir, leur joie et leur fierté, que je me suis rendu compte que ce que je venais de réaliser était très important. Lorsque je suis arrivé à l'aéroport, lorsque j'ai vu tout cela, j'ai été envahi par des sentiments que je ne peux pas décrire. Si j'avais su que j'allais donner toute cette joie au peuple algérien, j'aurais été champion olympique bien avant, et j'ai même pensé à plus que ça. A quoi ? Je me suis dit qu'un peuple comme celui-là mérite qu'on se sacrifie pour lui au sens propre du terme. J'aurais été capable de donner ma vie pour lui. Comment a été votre enfance et qu'est-ce qui a changé aujourd'hui sur le plan social après ce nouveau statut qui fait de vous une star mondiale de l'athlétisme ? Naturellement, mon niveau de vie s'est beaucoup amélioré. Je n'ai pas eu une enfance difficile, j'ai eu une enfance normale, mon père travaillait à la gendarmerie nationale et je ne manquais pas de grand-chose. Nous n'étions pas pauvres et nous n'étions pas riches non plus. Mais aujourd'hui, ça va beaucoup mieux. Je dois dire aussi que le fait de n'avoir pas eu tout ce que je voulais quand j'étais gamin m'a poussé à me surpasser davantage pour réussir et pour améliorer notre niveau de vie. Aujourd'hui, je me dois d'aider ma famille et mes proches. Il parait que votre père était très sévère avec vous, prônant une éducation à l'ancienne, celle qui a tendance à disparaître aujourd'hui. Ne pensez-vous pas que cela a contribué à faire de vous un homme responsable qui savait ce qu'il allait faire dans sa vie ? Je ne peux pas le nier. Effectivement, son éducation et la manière avec laquelle il nous a élevés a eu un impact positif sur ma carrière. C'est vrai, il était sévère, mais c'était dans notre intérêt. C'est un père qui avait peur pour ses enfants, peur de la rue. Il voulait que nous réussissions tous dans nos études car, pour lui, c'était le seul moyen de garantir un bel avenir. En ce qui me concerne, il ne prêtait pas une grande attention à ma carrière sportive qu'il voyait comme un loisir et rien de plus. Pour lui, les études étaient beaucoup plus importantes. Quand je suis arrivé en terminale, il a fait l'impossible pour que je réussisse mon bac. Il était tout le temps sur nos têtes, comme on dit, et cela nous agaçait. Mais notre façon de penser l'agaçait aussi. Il avait peur pour nous, il ne faisait pas de différence entre les filles et les garçons, nous étions tous traités sur un pied d'égalité. Aujourd'hui, on comprend tout cela. Il est fier de vous aujourd'hui, n'est-ce pas ? Evidemment, très fier même, lui et toute ma famille ainsi que tout le peuple algérien. On croit savoir que vous avez de tout temps souffert du manque de moyens pour vous entraîner. Vous vous contentiez souvent d'aller courir en forêt, contrairement aux autres athlètes étrangers qui bénéficiaient de beaucoup de moyens pour se préparer. Est-ce vrai ? Oui, j'ai beaucoup souffert de ça car on manque de beaucoup de moyens en Algérie. Ici, on ne donne pas beaucoup d'importance aux talents, qui sont très mal considérés. Pourquoi selon vous ? L'Etat algérien a donné tous les moyens nécessaires, dois-je l'avouer, mais c'est les responsables du sport en Algérie qui ne sont pas à leur place. Pensez-vous que si les moyens sont réunis, d'autres talents vont exploser ou doit-on leur conseiller d'aller courir dans la forêt comme vous ? (Rires.) La forêt est incontournable dans la préparation, l'athlète doit aussi souffrir pour réussir, rien ne vient en dormant. Mais les instances concernées doivent réunir les moyens nécessaires pour que d'autres sportifs puissent s'affirmer à l'échelle mondiale. Chez nous, l'athlète doit se débrouiller tout seul pour trouver un endroit où s'entraîner, pour trouver un entraîneur et un emploi en même temps. Sachez qu'il y a des athlètes qui n'ont même pas d'argent de poche. Je ne vous parle pas du logement et d'autres choses encore. Prenez comme exemple le jeune Abderrahmane Aânou qui a décroché la deuxième place au championnat du monde des jeunes au Canada. Il est délaissé et on ne lui porte aucun intérêt, comme si on avait 100 champions du monde en Algérie. Vous avez été honoré par plusieurs structures et plusieurs organismes étatiques ou autres, vous avez décroché des contrats de sponsoring, vous avez reçu des récompenses, vous avez gagné de l'argent, estimez-vous avoir été récompensé à votre juste valeur ? Je suis quelqu'un qui se contente de peu. Ce que j'ai eu me suffit. Ce que j'ai réalisé me permet même de vivre sans argent car la médaille que j'ai remportée vaut plus que tout l'argent du monde. Et vous savez pourquoi, parce qu'elle m'a permis de gagner l'estime, l'amour et le respect du peuple algérien. Pour moi, cela vaut tout l'or du monde. Cela dit, ce que j'ai gagné n'est rien par rapport à ce que gagnent d'autres sportifs. C'est peu ? C'est même très peu par rapport à ce que gagnent d'autres. L'athlétisme en Algérie est marginalisé. C'est une médaille d'or olympique, c'est la plus haute distinction internationale. Parmi les cadeaux que vous avez reçus, une Golf série 6, mais apparemment, vous n'avez pas encore le permis de conduire... (Il rit longuement.) Oui, c'est vrai, je n'ai pas encore le permis, mais je conduis bien. Je suis en train de le passer, j'ai déjà réussi l'examen théorique, il ne reste que l'examen pratique. Vous ne pensez-vous pas que la ville de Souk Ahras est plus célèbre aujourd'hui après l'exploit de... (Il nous coupe.) ... Antar Yahia. Oui, Antar Yahia à Oum Dourmane, puis votre médaille olympique à Londres, sans oublier la défunte Warda el Djazaïria. Grâce à vous tous, Souk Ahras est au devant de l'actualité aujourd'hui. Un commentaire ? Je suis très fier de cette ville, et je vous fais savoir qu'il y a aussi d'autres grandes personnalités de l'Etat qui sont de Souk Ahras, mais également de grands artistes, comme celui que j'ai rencontré dernièrement à Djenane El Mithak. C'est un grand artiste peintre qui vent ses toiles à des millions de dollars. J'ai été très surpris quand j'ai appris qu'il est de Souk Ahras. Cela dit, moi, je me sens d'abord algérien. Vous avez aussi rencontré Noureddine Morceli. Que vous vous êtes dit ? Je l'ai rencontré après mon retour au pays. J'ai découvert en lui un homme charmant avec de grandes valeurs. C'est la première fois que je l'ai rencontré, j'avais tellement envie de lui parler que j'avais presque oublié le ministre. Il m'a donné son numéro et il m'a demandé de ne pas hésiter à l'appeler si j'avais besoin de quoi que ce soit. Si vous le permettez, on va parler maintenant de football pour tester vos connaissances dans ce domaine. Vous vous y intéressez ? Je m'y intéresse un peu, surtout quand il s'agit de l'Equipe nationale. Quel club supportez-vous ? Je ne supporte aucun club, je suis un supporter de l'Equipe nationale seulement. Mais je soutiens nos clubs qui participent aux compétitions internationales, africaines ou arabes, car il s'agit du drapeau algérien. Avez-vous suivi le match Libye-Algérie ? Non, je n'ai pas pu le voir, mais j'ai été très content lorsque j'ai appris que nous avons gagné. Cela va nous permettre de jouer plus tranquillement le match retour. Que pensez-vous de ce qui s'est passé après le match ? C'est désolant de voir des incidents pareils se produire entre deux équipes de deux pays frères, arabes et musulmans. Cela fait mal au cœur, on n'en aurait pas dû en arriver là. Il faut qu'on soit fair-play, le perdant doit serrer la main du vainqueur, c'est cela le sport. Un conseil à donner aux Algériens en prévision du match retour ? Si on prétend vraiment qu'on est des gens civilisés, il faut qu'on soit fair-play. La violence ternit notre image, et celui qui prétend être le meilleur n'a qu'à le prouver sur le terrain, dans les règles. Quels sont les joueurs qui vous plaisent actuellement ? J'aime bien Feghouli, c'est un excellent joueur. Avant, j'avais une préférence pour Belhadj qui donnait l'air de conduire une moto à gauche. Que pensez-vous d'Halilhodzic ? C'est un entraîneur compétent, il a réalisé de très bons résultats et j'espère qu'on réussira avec lui. Entre lui et Saâdane, lequel préférez-vous ? Sincèrement, je préfère Saâdane car ce qu'il a réalisé n'est pas du tout facile. Avez-vous oublié que c'est lui qui a fait sortir le peuple dans la rue après la victoire d'Oum Dourmane, et que c'est lui qui nous a qualifié au Mondial ? Rêvez-vous que Souk Ahras puisse avoir un grand club qui jouera dans la cour des grands ? J'aimerais que Souk Ahras puisse avoir des grands clubs dans tous les sports. Il faut s'occuper de cette wilaya qui est délaissée afin de préserver nos jeunes de la délinquance. Quels sont les supporters que vous aimez le plus ? Les supporters de l'Equipe nationale uniquement, du nord au sud et d'est en ouest. Quel club supportez-vous en Europe ? Barcelone. Votre entraîneur préféré ? Guardiola. Votre joueur préféré ? Le phénomène Messi. Votre plat préféré ? Chekhchoukha des mains de ma mère. Votre acteur préféré ? Athmane Ariouet. Votre voiture préférée ? J'ai actuellement une Golf série 6, c'est mon premier véhicule, mais j'ai une préférence pour Land Rover. Avez-vous trouvé votre moitié ou pas encore ? Pas encore, je ne suis pas pressé. ---------------------------------------- Senouci, lauréat du baccalauréat et détenteur de la meilleure moyenne, au côté du champion olympique, Toufik Makhloufi Jeudi dernier n'était pas un jour comme les autres au siège des rédactions du Buteur et d'El Heddaf qui ont été honorés de la visite du champion olympique en titre du 1500 mètres, Toufik Makhloufi. Ce n'était pas un jour comme les autres car, en plus de l'enfant de Souk Ahras, un autre symbole de la réussite nous a honorés à son tour par sa visite. Il s'agit de Anis Senouci, lauréat du baccalauréat 2012 avec une moyenne de 18,99, la meilleure à l'échelle nationale. Si Makhloufi avait ramené avec lui la médaille d'or décrochée haut la main à Londres, Anis Senouci a lui aussi ramené la sienne, celle dont l'a décoré le président de la République Abdelaziz Bouteflika. Les deux hommes, symbole de la réussite de l'Algérien, ont montré de l'admiration l'un pour l'autre et étaient très contents de faire cette surprenante rencontre. Makhloufi et Senouci ont posé ensemble au siège du Buteur et El Heddaf pour la postérité et pour l'histoire...