Benachour Mohamed Les mesures prohibitives arrêtées par les pouvoirs publics portant sur les horaires de fermeture des bars et boites de nuit, fixés à 22 heures, pendant la saison estivale, et 20 heures à partir d'octobre prochain, ont suscité l'exaspération des cabaretiers et taverniers. A fortiori, la prohibition est l'expression la plus connue du conservatisme et des moralisateurs. «Fermer un cabaret à 20 ou 22 heures est synonyme d'interdiction brutale. On est bel et bien entré dans une ère de prohibition avec tous les dangers qui vont en découler», fait remarquer une source auprès de l'Association des commerçants et des investisseurs de la Corniche oranaise (ACICO). Cet arrêté a divisé la population de la corniche entre «secs» et «mouillés». Du fait même de la mise hors la loi du commerce des débits de boissons, au-delà de 20 heures, en instaurant cet arrêté, celui-ci va se trouver automatiquement pris en main par les organisations criminelles. D'après les gérants de bars et de boites de nuit, «l'arrêté constitue une intervention étatique dans la sphère économique qui va sûrement se révéler désastreuse. D'abord, elle n'interdit pas la consommation d'alcool, ce qui relève d'une incroyable bêtise: d'après l'arrêté, il est possible de consommer une boisson... mais pas dans des lieux appropriés, les bars, entre autres!». Il faut rappeler que dans la cohorte des walis de Boumerdes, Alger et Annaba, la wilaya d'Oran a signé un arrêté préconisant la fermeture de tous les débits de boissons alcoolisées à 22 heures, dès le 1er juin et à 20 heures à partir du mois d'octobre. Les tenanciers des bars et cabarets de la Corniche oranaise ont crié au «scandale». En fait, ils dénoncent une moralisation de la société mise en sourdine. Depuis 2008, ce sont une vingtaine de débits de boissons qui ont été fermées à Oran. Dans le milieu des boites on parle du gel de cet arrêté qui reste aussi «absurde qu'intempestif ». Enfin, et surtout, l'arrêté prétend décréter qu'une réalité ne doit plus exister. Or, ce n'est pas parce l'on proclame qu'une chose n'existe pas qu'elle cesse d'exister. En l'occurrence, cette chose, c'est le marché de l'alcool qui devait être géré d'une façon rationnelle. Selon un gérant de cabaret, «la soirée à la Corniche commence à partir de minuit et au-delà. On ne peut pas à travers ces mesures prohibitives changer les habitudes des Algériens ». Et d'ajouter: «cette prohibition peut générer un commerce informel de l'alcool qui sera géré par la pègre qui va sûrement se renforcer». «L'offre et la demande, après cette décision, vont désormais interagir dans la clandestinité. C'est un marché noir qui émerge. Avec toutes les conséquences néfastes qu'il implique», avertit-il. Pousser à la clandestinité Aux Etats-Unis, dans les années 20, c'est l'ensemble du commerce de l'alcool qui était interdit à toute la population. Les conséquences funestes qui en ont découlés sont connues. La pègre s'est vite appropriée le commerce de l'alcool et des fortunes colossales ont été amassées. La conséquence économique réside dans l'augmentation très forte des prix. En effet, en raison de l'interdiction du commerce d'alcool, l'offre se réduit. Le nombre de personnes prêtes à se risquer à exercer des actes délictueux n'est pas élevé, en effet. Or, la demande, elle, reste la même. La réaction sur le marché est donc logique: la demande étant supérieure à l'offre, les prix évoluent à la hausse, relève-t-on des prévisions des concernés. Les consommateurs craignent, de leur côté, la mise sur le marché des produits de remplacement, souvent frelatés, voire dangereux pour la santé. Quant à la conséquence la plus spectaculaire, elle réside dans une augmentation de la criminalité, et surtout du nombre de crimes de sang. L'expérience américaine est exemplaire à cet égard. Avec les profits colossaux que l'illégalité engendre, entre le formel pénalisé et informel agissant dans le noir, les bandits peuvent soudoyer tout le monde. Dans tous les cas de figure, l'intervention de l'Etat américain sur les mécanismes du marché de l'alcool aura aussi entraîné la production d'alcools de mauvaise qualité, une augmentation des prix et celle de la corruption. Un Etat de droit est la composante essentielle d'un marché légal. Les gérants de cabarets de la Corniche déclarent vouloir se conformer à des lois exhaustives qui délimitent clairement leur activité mais contestent, formellement, le fondement de cet arrêté. B.M.