Un oranais est rentré chez lui le soir du lendemain de l'Aid. Il n'en croyait pas ses yeux. Encore moins ses oreilles. Il se disait qu'il avait rêvé toute la journée qu'il avait passé en ville pour quelques courses dans différentes administrations. En arrivant à la station de l'autobus, les usagers formaient une ligne nette, les uns derrières les autres. L'autobus arrive et aucune bousculade. Personne ne tente de brûler la chaîne. Et tout le monde a embarqué dans d'excellentes conditions. Dans l'autobus qu'il avait emprunté, un jeune lui avait cédé son siège. L'autre jeune, celui en charge de la billetterie, s'est excusé en lui rendant le change en petite monnaie et l'a remercié d'avoir réglé le prix du ticket. Un ancien voisin qu'il n'avait pas vu depuis des lustres, s'est précipité vers lui pour l'embrasser et lui souhaiter Aid mabrouk. Arrivé à destination, Kaddour quitte l'autobus et à peine qu'un autre passager l'ait légèrement bousculé que ce dernier se confond en salamalek et en excuses. Kaddour n'en revenait tout simplement pas. Il se croyait ailleurs qu'à Oran tant les mœurs avaient changé l'espace d'une nuit. Mais il est vite retombé sur ses pieds. Il a vu les lions de la mairie d'Oran bien en place. Et puis cela tombe bien. Avec la rentrée des classes, il avait besoin de quelques documents d'Etat civil pour des dossiers administratifs et autres. Devant le guichet, à peine une dizaine de personnes. Chacune attendait patiemment son tour. Au chrono, moins de cinq minutes pour que chacun règle son cas. Kaddour aussi. Comme les autres qui l'ont précédé. Le préposé le salue et s'excuse d'avoir mis tant de temps avec les autres. Kaddour exprime ses besoins. Sa requête est honorée en moins de trois minutes, signature du supérieur hiérarchique incluse. Profitant de la belle étoile de ce début de matinée, Kaddour va au marché pour quelques petits achats. Surtout des fines herbes. Un dinar le bouquet de persil. Autant pour la coriandre et la menthe fraîche. Le tout bien enveloppé dans un sachet de plastique transparent. Kaddour est aux anges. Elhamdou lillah ! Devant la grande poste, il lève son regard sur le fronton. Et comme par hasard, la grosse pendule affichait l'heure exacte à la seconde près. Dix heures. Il en profite pour se présenter au guichet afin de retirer de l'argent de son compte postal. Cela lui a pris dix minutes incluant les bonnes formules d'accueil du préposé et l'au revoir lorsque la transaction a été conclue. Chez le buraliste, à quelques mètres de là, Kaddour achète son paquet de cigarettes et ses deux journaux préférés. Il a été servi en un clin d'œil. Avec toutes les courses qu'il avait programmées, Kaddour était convaincu qu'il en avait pour la journée, tout au moins la matinée et une bonne partie de l'après-midi. Erreur. Il n'est que onze du matin. Alors, bon pour une pause-café avant de retourner chez lui pour le repas de midi. Le garçon de café prend la commande, passe un chiffon blanc neige sur la table, ajuste les autres chaises et vide le cendrier qu'il essuie avec un torchon autre que celui réservé aux tables. Un service parfait et irréprochable accompagné du bonjour, s'il vous plaît, merci et au revoir. Kaddour en a fini pour la matinée. Retour chez lui en autobus. Sitôt à bord, un jeune lui cède sa place assise. Le receveur tout aussi poli et souriant que son collègue du matin. Sur le trottoir, les usagers étaient irréprochables. À table, il raconte sa matinée à sa conjointe. Evidemment elle ne l'a pas cru. Pire, elle pensait que son mari décollait. Surtout quand il lui avait annoncé avoir vu le premier panneau d'arrêt du tramway planté à un coin de rues de Saint Eugène. Surtout qu'il lui avait encore dit qu'Oran aura bientôt son métro ! Kaddour el meskine avait rêvé de jours meilleurs et d'une vie moins compliquée !