K.Issam Les patrons et les experts algériens partagent la même vision quant à l'adhésion de l'Algérie au projet d'une zone maghrébine de libre échange. Autrement dit, les Algériens ne tireront pas profit si leur pays devient la vache laitière qui nourrit grassement et sans réel intérêt les pays maghrébins. Dans la cohorte de la GZale (Grande zone arabe de libre échange), ce projet peut nuire substantiellement à la production nationale. Et puis ça sert vraiment à quoi d'intégrer des accords qui s'enchâssent comme des poupées gigognes ? Pour rappel, le projet de création d'une zone maghrébine de libre échange a été évoqué en juin passé dans la capitale libyenne Tripoli par les pays de l'Union du Maghreb arabe. Tel qu'il était évoqué, ce projet n'attire pas l'adhésion du patronat algérien et de plusieurs experts qui penchent plutôt vers la création d'une «communauté économique maghrébine, basée sur des échanges commerciaux équilibrés». Ainsi, le patronat et les économistes algériens se placent sur la même position des autorités algériennes sur ce projet. De prime abord, le patronat algérien estime qu'il est plus profitable à l'Algérie d'opter uniquement pour «une ouverture commerciale graduelle», excluant tout autre accord lié à des exigences extra commerciales. En effet, par le biais de son ministre du Commerce Mustapha Benbada, l'Algérie s'est prononcée pour un simple accord de libre échange commercial, restant sceptique quant aux désirs de certains pays de l'UMA qui militent, quant à eux, pour un accord commercial élargi à une libre circulation des personnes et des marchandises et allant même des avantages dans l'attribution des marchés publics. Réda Hamiani, le président du Forum des Chefs d'Entreprises (FCE), s'est déclaré favorable à des échanges commerciaux maghrébins «équilibrés ».Il a aussi préconisé à cet effet la mise en place d'une nomenclature de produits à échanger dans le cadre de cette zone. «Il faudrait faire une sélection des produits qui peuvent supporter la concurrence et ceux qui ne le peuvent pas, définir ce qui peut être échangé sans que l'Algérie ne soit pas perdante», a-t-il expliqué à l'APS, plaidant ainsi implicitement à l'établissement d'une liste négative de produits exclus d'avantages douaniers comme cela a été fait pour la Zone arabe de libre échange (Zale). Réda Hamiani a toutefois suggéré une ouverture commerciale progressive qui tient compte des intérêts de l'économie nationale, soutenant, dans la foulée, la création de ce bloc économique régional. «Si on doit ouvrir, alors faisons le intelligemment et graduellement», a-t-il prôné, rappelant dans ce sens «les politiques d'ouverture commerciale menées par l'Algérie dans le passé, qui ont montré leurs limites». En effet, le déséquilibre dans la production industrielle entre l'Algérie, où ce secteur représente à peine 5% du PIB et la Tunisie et le Maroc, où il dépasse les 18%, engendrerait systématiquement des échanges déséquilibrés, d'après le patron des patrons. Sur ce registre, il préconise le raffermissement de la production nationale pour mettre à niveau l'Algérie au niveau de la production industrielle de ses voisins. Le président du FCE soutient donc la proposition algérienne d'aller vers une communauté économique maghrébine, au lieu d'une zone de libre échange commerciale. Un scénario d'ouverture commerciale de l'Algérie sur ses voisins maghrébins doit se faire dans le cadre d'une complémentarité économique, relève-t-on de ses explications. «C'est à ce type de réflexions qu'il faut se livrer», a-t-il souligné en suggérant la tenue de réunions techniques et professionnelles pour définir cette démarche. La CAP au diapason du FCE Le président de la Confédération algérienne du patronat (CAP), Boualem M'rakach, abonde dans le même sens et préconise l'établissement d'une nomenclature des produits sur la base d'une complémentarité économique entre les pays maghrébins. «Il faut aller vers des relations commerciales adéquates basées sur des échanges commerciaux équilibrés », a-t-il affirmé, estimant que les pays de l'UMA sont à un stade «de définition de cette zone qui nécessite d'engager les mécanismes adéquats pour obtenir les résultats escomptés ». «Pour créer cette dynamique commerciale, il faut qu'il y ait une relation adéquate et équilibrée entre les cinq pays sur la base d'identification de projets économiques complémentaires», a indiqué le patron de la CAP, dont l'organisation est partie prenante dans les négociations engagées par le patronat maghrébin pour la création de cette future zone. Rappelant les actions prises en 2009 à Alger par le forum des hommes d'affaires maghrébins, il a expliqué «que la CAP s'est engagée avec les quatre autres organisations patronales maghrébines à créer au sein du monde entrepreneurial maghrébin les mécanismes de cette intégration». Par ailleurs, il a considéré que le libre échange n'inclut pas forcément la circulation des personnes, puisque plusieurs blocs commerciaux dans le monde fonctionnent sans cette exigence, citant l'exemple de l'accord algéro-européen. De son côté, l'économiste Abdelhak Lamiri s'est montré catégorique en affirmant que pour le moment, le pays «n'est pas prêt à adhérer à aucune zone de libre échange». Les économistes alertent les responsables algériens «Techniquement, l'Algérie a intérêt à avoir le moins de zones de libre échange et de dispositions en matière de commerce extérieur car, elle risque de perdre beaucoup en matière d'entreprises et d'emploi», a expliqué Abdelhak Lamiri, admettant que les conditions d'une intégration réussie à tout espace régional de libre échange ne sont pas encore réunies pour l'Algérie. S'agissant des perspectives de l'intégration économique maghrébine, le même expert a répondu qu' «elle sera très faible pour les cinq à dix prochaines années, alors que le commerce intermaghrébin continuera d'être marginal». Et pour cause, «les économies maghrébines sont très peu complémentaires. Elles exportent des produits à faible contenu technologique et importent le savoir faire et la technologie à partir de régions plus développées comme l'Europe, les Etats-Unis ou l'Asie», a-t-il fait valoir. De son côté, l'économiste et membre du comité d'experts du Forum économique de Davos, Arslane Chikhaoui, n'a pas divergé de la vision de son collègue Abdelhak Lamiri. D'après lui, les réserves émises par le gouvernement algérien «s'expliquent par le fait que ces mêmes autorités ont pris un temps de pause pour mettre de l'ordre sur le plan économique et permettre la mise en place, à moyen terme, d'un environnement économique transparent permettant le développement de la petite et moyenne industrie pour soutenir une croissance durable». Aujourd'hui, la priorité pour l'Algérie est «de moraliser un tant soit peu l'environnement des affaires et de mettre en place les conditions saines d'une économie sociale de marché», a souligné Arslane Chikhaoui. L'Algérie s'est rendue compte, à travers son expérience avec la Zale, que les produits importés auprès de cette zone «ne faisaient que transiter par les pays arabes (...) sans aucune valeur ajoutée», a-t-il fait observer in fine.