Ce n'est pas parce que Ben Ali a rendu le tablier et chargé ses mallet-tes d'or que le benalisme a sombré et disparu à jamais du décor du Jasmin au coût d'inachevé. Ben Ali est toujours présent dans les rouages des hautes sphères. Les clameurs de la victoire ne se sont pas encore tues que déjà le peuple crie de nouveau à la justice, à la démocratie. Comment imaginer un régime chancelant relayé par un relent de RCD qui occupe les postes clés dans le gouvernement, ces mêmes ministres qui ont muselé le peuple tunisien des décennies durant. Le peuple, à suivre les déclarations rapportées par les nombreuses chaînes de télévision, réclame à corps et à cri la démocratisation de la vie nationale et repousse du revers de la main les résidus du régime qui s'est suicidé face à la colère de l'homme de la rue qui ne demande que justice, paix et vie sociale équilibrée en attendant des jours meilleurs. Certes, le gouvernement d'unité nationale a ouvert la porte aux partis de l'opposition. Ces derniers ont récolté des miettes. Les anciens, pourtant sévèrement rejetés, ont eu droit à tous les honneurs pour garder le Premier ministère, le ministère de l'Intérieur et celui des Affaires étrangères. Les citoyens n'en reviennent tout simplement pas de ce jeu de dames mal ficelé au départ. Le peuple se sent relégué aux derniers retranchements. «Plus personne ne nous empêchera de dire ce que nous avons à dire. Et là, ce que nous voulons dire, c'est que, maintenant qu'on a mis (le président) Ben Ali dehors, nous ne voulons plus de son parti non plus», a lancé le jeune homme. Avec une cinquantaine de ses pairs, il a pris part à une manifestation spontanée dans l'artère principale de Kram, en banlieue nord de la capitale. Cette rue en a vu d'autres au cours de ce que les Tunisiens appellent maintenant «la révolution du Jasmin»: plusieurs voitures brûlées y ont été laissées à l'abandon et quelques commerces liés à la famille de l'ex-président y ont été saccagés. Un peu partout, les protestataires ont repris en les modifiant les slogans des manifestations des dernières semaines. Au lieu de demander le départ de l'ex-dictateur, ils ont demandé hier la tête du premier ministre, Mohammed Ghannouchi, et l'abolition de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Lors de son accession au pouvoir, en 1987, le clan Ben Ali avait muselé l'opposition, si bien que le RCD a régné en parti unique pendant plus de 20 ans. Dans le nouveau cabinet, 3 des 19 ministres sont des visages bien connus de l'opposition tunisienne. Néjib Chebbi a été nommé ministre du Développement régional, Ahmed Ibrahim est devenu ministre de l'Enseignement supérieur et Mustapha Ben Jaafar s'est vu confier le ministère de la Santé. Des personnalités de la société civile ont aussi hérité de portefeuilles. Ce sont ces nominations qui ont soulevé l'ire des manifestants. «On ne veut plus du RCD. Tant que le cancer est dans le corps, la Tunisie va être malade». Plusieurs Tunisiens rencontrés hier estimaient cependant que la présence du RCD dans le gouvernement est un mal nécessaire.