Il n'a pas fait des œuvres par dizaine, mais une seule qui a fait parler d'elle à chaque fois qu'elle est présentée dans une arène cinématographique lors de cérémonies compétitives ou pas. Une seule œuvre donc au tableau, H'nifa, une vie brûlée coréalisée avec Sami Allam qu'a enfantée Ramdane Iftini et qui s'est avérée si l'on se fie aux trophées qu'elle a raflés comme un produit de bonne facture. Dans cette œuvre qui nous révèle bien sûr un nouveau cinéaste, il est question de la vie riche et sulfureuse de la chanteuse H'nifa, mais aussi de tout le contexte lyrique dans lequel a baigné et l'Algérie et cette femme libre comme Si M'hand U M'hand. Iftini aurait voulu faire et dire plus, mais la passion est nécessaire mais pas suffisante pour mettre au monde une œuvre irréprochable.Le Maghreb : Pensez-vous avoir tout dit à propos de cette femme atypique qu'est H'nifa ? Ramdane Iftini : Prétendre pouvoir faire la biographie d'un(e) artiste en une heure serait prétentieux. Nous avons essayé de cerner avec le plus d'objectivité possible, les épisodes les plus marquants et les plus significatifs de sa vie de femme et de sa vie d'artiste. Ce documentaire n'est qu'un humble apport pour faire connaître cette grande dame de la chanson kabyle tout en espérant que d'autres cinéastes, d'autres écrivains continuent ce travail de mémoire. Dans votre document, H'nifa, une vie brûlée, l'on sent que quelquefois votre personnage –H'nifa- vous échappe au profit de tout le contexte artistique qui a jalonné l'époque. Est-ce en rapport avec une carence d'images ? Hnifa a eu une vie tumultueuse et tourmentée. C'était une rebelle, comment voulez-vous, dès lors qu'elle ne nous échappe pas …? Le choix de replacer Hnifa dans un contexte historique, social et culturel a été un choix délibéré de notre part lors de l'écriture du texte et de son adaptation pour le cinéma. Hnifa a été en quelque sorte le fil conducteur qui permettait de faire connaître cette époque. Nous savions d'avance que nous serions confrontés à un manque d'images, c'est pour cela que nous avions décidé de procéder à des reconstitutions pour combler ce déficit. Le manque de temps et d'argent ne nous a pas permis de tourner toutes les scènes que nous avions prévues, mais comme dit l'adage kabyle “ Win itsruzun asalu iteddu aken yufa macci aken yebgha ” (Celui qui ouvre un chemin dans la neige avance comme il peut et non comme il veut) La famille de l'artiste est-elle allée à la rencontre de ce film documentaire ? Si oui, comment a-t-elle réagi, sachant que dans le film vous avez quelque peu abordé la vie sulfureuse de l'artiste ? Franchement, je ne sais pas si des gens de sa famille ont vu le film. Par contre,je sais que, lors de la projection du documentaire, en présence de mon coréalisateur Sami Allam, dans son village natal à Ighil M'henni, , l'accueil a été chaleureux et les gens du village ont apprécié l'objectivité du travail réalisé. H'nifa, une vie brulée a raflé deux trophées, L'olivier d'or et le prix du panorama du cinéma, dans le cadre d'Alger capitale de la culture arabe. Qu'est-ce que ce film vous a appris sur vous ? Le plus important n'est pas ce que j'ai appris sur moi mais ce que les gens pensent de mon travail. Lorsqu'un produit est propre (Zeddig) les gens savent l'apprécier à sa juste valeur. Je suis convaincu qu'un bel ouvrage ne peut être que l'aboutissement d'une mise en synergie de compétences complémentaires et cela a été le cas pour ce film coréalisé avec Sami Allam, Rachid Hamoudi et toute la petite équipe qui nous a accompagnée. Le cinéma comme tout le monde le sait nécessite des investissements très lourds. Pourquoi avoir tenté cette aventure dans un pays où les mécanismes de la production notamment les aides financières n'existent pas ou sont très peu ? Etant arrivé au cinéma un peu par effraction, je ne pense pas avoir l'expertise requise pour parler ès qualité des problèmes que rencontre ce secteur.Toutefois, s'il est vrai que le cinéma nécessite des investissements très lourds, il n'en demeure pas moins qu'il a aussi et surtout besoin de gens passionnés qui le portent. Quel a été le déclencheur pour aborder le portrait en langue kabyle d'une chanteuse kabyle ? L'idée d'une biographie de Hnifa revient à Rachid Hamoudi qui a écrit le texte dans les années 90. J'étais alors éditeur et devais l'éditer mais cela n'a pu se faire. Lorsque j'ai revu Rachid, dix ans plus tard, nous avons décidé d'en faire un documentaire. Voilà comment ce projet a abouti. Comment situez-vous les produits cinématographiques réalisés depuis quelques temps en langue amazighe, par rapport à ce qui se fait dans d'autres langues ? A l'instar des autres productions cinématographiques nationales, le cinéma d'expression amazighe vit les mêmes problèmes, à savoir un manque de scénarii de qualité, un manque de moyens techniques et financiers, un réseau de distribution quasi inexistant etc…Lors du festival du film amazigh de Sétif, j'ai eu l'occasion de voir des films algériens et marocains en tamazight. Nos voisins Marocains qui ont raflé le premier prix et cela n'est pas un hasard, ont présenté de très bons films tant sur le plan technique que sur la qualité, la pertinence et la contemporanéité des sujets abordés. Pour ce qui est de la production nationale, mis à part l'excellent film de Amor Hakkar “La maison jaune ”, la tendance générale en est encore aux robes kabyles chatoyantes et aux déhanchements frénétiques, aux burnous immaculés et aux incantations pour retrouver un âge d'or mythique “ du peuple amazighe et de ses valeurs ancestrales ”. Le cinéma d'expression amazighe est otage des passéistes. Il est nécessaire de faire un cinéma d'expression amazighe d'aujourd'hui pour les gens d'aujourd'hui, c'est-à-dire les jeunes. Si H'nifa était vivante, que lui diriez- vous ? “Chante Hnifa, chante… ” Votre film qui a été montré dans le cadre de “ Alger, capitale de la culture arabe” et vu seulement par une poignée de gens dans des circonstances plutôt “ officielles ”. Sera-t-il à l'affiche de nos salles ? Hnifa, une vie brûlée doit normalement être diffusé à la télévision algérienne et sera à l'affiche dans quelques salles à travers le territoire national dans les jours qui viennent. Où est-ce que vous en êtes avec votre projet filmique qui concerne des événements peu connus de la révolution ? Nous travaillons actuellement avec la même équipe, sur un nouveau projet de documentaire fiction qui se propose de traiter de la préparation, du déroulement et des effets de “ l'Affaire oiseau bleu ”. L' “ Affaire oiseau bleu ” était un complot de la police française qui visait à créer un contre maquis en wilaya 3 et qui fût déjoué par le FLN qui réussira à armer plus de 600 hommes qui rallieront le maquis fin 1956. La recherche documentaire et les investigations ont commencé depuis presque deux années et nous pensons, si tout se passe bien, donner le premier coup de manivelle bientôt. Entretien Réalisé