Au soir du constat d'impasse fait par le patron de l'OMC, il y a plus de pays pour regretter ce nouvel échec que pour faire des concessions à la table des négociations. Nervosité, impatience, fatigue, coups bas, chantage. C'est dans une ambiance plombée que Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a mis fin à neuf jours de travaux visant à libéraliser les marchés des produits agricoles et industriels dans le cadre des négociations du Cycle de Doha. Plusieurs négociateurs, la mine déconfite, ont aussitôt commencé le jeu de recherche de boucs émissaires. Susan Schwab, la négociatrice américaine, a presque versé une larme en disant que les Etats-Unis tenaient malgré tout à un accord. Les rumeurs veulent que le président américain George Bush aurait téléphoné personnellement à une vingtaine de chefs d'Etat, leur demandant d'accepter un compromis à Genève. En réalité, alors que des progrès inattendus avaient été réalisés vendredi, de nombreux sujets n'ont pu être abordés, faute de temps, provoquant la frustration et la colère des nombreuses délégations. La journée de mardi dernier n'a du reste pas commencé sous les meilleurs auspices. La veille, de fortes dissensions avaient marqué la réunion du groupe des Sept (Etats-Unis, Union européenne, Australie, Japon, Brésil, Chine, Inde), une création de Pascal Lamy, chargée de trouver un consensus en comité restreint. Selon des diplomates, l'échec des discussions était déjà évident. Le service d'information de l'OMC a fait savoir à quelques médias qu'un compromis s'avérait impossible sur le sujet de la clause de sauvegarde dans les échanges des produits agricoles. L'Inde, l'Indonésie, l'Argentine et la Bolivie étaient les coupables désignés. En réalité, un consensus était impossible sur plusieurs autres dossiers. "La première réunion de mardi était inutile, explique un diplomate. Les ministres qui avaient travaillé jusqu'à 3 heures du matin étaient visiblement épuisés et se contentaient de répéter les positions déjà connues." L'OMC a dès lors cherché une parade pour sauver la face sans pour autant abandonner l'espoir d'un consensus de dernière minute. La réunion des Sept s'est prolongée jusqu'à la fin de l'après-midi. En fin de compte, à 19 h30, Pascal Lamy a décidé d'assumer le bilan négatif. Il faut dire que ce dernier a tenté un grand pari en convoquant cette mini-ministérielle (une trentaine de pays). Les diplomates commerciaux travaillent d'arrache-pied depuis sept ans à Genève sur le Cycle de Doha et plusieurs projets d'accords ont circulé. Les derniers portant sur l'agriculture et les produits industriels datent du 11 juillet dernier. Face aux nombreux points en suspens, il fallait donner une impulsion politique. Mais les circonstances sont particulièrement difficiles en ce mois de juillet. Beaucoup de doutes ont été exprimés sur la crédibilité de la participation américaine. Susan Schwab représente une administration en fin de règne et les délégués se sont demandé si le prochain gouvernement à Washington allait respecter les engagements pris à Genève. Deux sénateurs américains ont même écrit une lettre au président Bush, lui disant qu'il n'avait pas l'autorité d'engager les Etats-Unis dans des négociations commerciales. La délégation européenne menée par son chef négociateur Peter Mandelson est venue à Genève les ailes coupées. L'UE, sous la présidence française, lui a infligé un comité de surveillance présent à Genève lui interdisant toute initiative. En gros, Peter Mandelson n'avait pas le mandat d'offrir quoi que ce soit dans le dossier agricole, mais il pouvait tout faire pour obtenir des parts de marchés dans les produits industriels. En pleines négociations, le président français, Nicolas Sarkozy, lui a même demandé de venir rendre des comptes à Paris. Du côté des pays émergents, l'Inde a rejoint les négociations avec retard. A New Delhi, le gouvernement vient de remporter de justesse un vote de confiance au parlement. La situation reste fragile et des élections anticipées ne sont pas exclues. Le négociateur indien, Kamal Nath, ne pouvait accepter de concession pouvant déplaire à son électorat, paysan en grande majorité. L'autre chef de file des pays émergents, le Brésilien Celso Amorim était dans les meilleures dispositions. Mais lorsqu'il a accepté les propositions de Pascal Lamy vendredi, il a été aussitôt qualifié de traître par le G20, une coalition des grands pays émergents, très active à l'OMC. Les six dossiers en cause Les négociateurs ont buté sur plusieurs sujets o Clause de sauvegarde. Il s'agit d'une mesure qu'un pays en développement peut prendre lorsqu'il estime que des importations massives à bas prix menacent la production locale. Les Etats-Unis et d'autres exportateurs agricoles veulent fixer le seuil à 40% de hausse des importations pour justifier une telle mesure. L'Inde le veut à 10%. o Coton. Lors de précédentes conférences, les pays africains producteurs de coton qui subissent les effets négatifs des subventions massives payées aux producteurs américains et européens, ont obtenu des promesses pour mettre fin à cette concurrence déloyale. "Nous sommes à Genève depuis neuf jours et ce sujet n'a pas été abordé une seule fois", a déploré le ministre de l'Agriculture du Burkina Faso. o Droits de douane à l'importation de produits agricoles. Le Japon impose des droits de douane dépassant les 100% sur l'importation de certains produits, notamment le riz. Il est question de baisser cette taxe de 70%. Pour le Japon, une telle mesure entraînerait la fin de l'agriculture indigène. o Banane. L'Union européenne impose des taxes sur les bananes importées des pays d'Amérique latine pour protéger les exportations en provenance de ses propres pays et ceux du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique. Les pays sud-américains ne veulent plus de ce régime discriminatoire. o Indications géographiques (AOC). Ce sujet ne fait pas partie du Cycle de Doha, mais la Suisse et l'UE en ont fait une priorité et veulent l'inclure dans tout accord sur l'agriculture. Il s'agit de protéger les produits spécifiques liés à une région ou à une culture (Gruyère, Jambon de Parme par exemple). Les Etats-Unis, l'Australie, l'Argentine et d'autres pays refusent d'entrer en matière. o Anti-concentration (produits industriels). Cette clause est voulue par les Etats-Unis, l'UE et le Japon. Elle vise à interdire la protection par les droits de douane d'un secteur d'activités dans son ensemble. Les pays émergents estiment qu'elle mettrait leurs industries naissantes en danger face à la concurrence étrangère.