Par Hiba Sérine A.K. Retour sur une semaine houleuse entre l'OMC et l'Europe. Négociations et tractations ont mobilisé les représentants de chaque partie jusqu'à 4 heures du matin dans la nuit du jeudi à vendredi. Pascal Lamy confie la recherche d'un consensus aux grandes puissances.Pascal Lamy, le directeur de l'Organisation mondiale du commerce, (OMC) n'était pas à la fête mercredi, troisième jour de la conférence ministérielle chargée de trouver un consensus sur les volets Agriculture et Produits industriels du Cycle de Doha. L'air grave, il a fait comprendre que les discussions menées durant les deux premiers jours s'étaient soldées par un blocage. S'adressant à l'ensemble des membres de l'organisation mercredi matin, le Français a annoncé qu'il en tirait les conséquences et modifiait l'architecture des négociations. Un comité restreint à sept pays (Australie, Etats-Unis, Japon Union européenne, Brésil, Chine et Inde) prend le relais; à lui de trouver un consensus dans les prochaines 24 heures. "Les membres doivent travailler ensemble avec davantage conscience de l'urgence", a-t-il martelé. Les résultats, s'il y en a, seront communiqués aux ministres ce jeudi. Sinon, ce sera le retour à la case départ. Du coup, la conférence sur les Services, programmée aujourd'hui et qui devait permettre aux pays de signaler les secteurs qu'ils entendent ouvrir à la concurrence, a été renvoyée à vendredi. Selon la conseillère fédérale Doris Leuthard, qui représente la Suisse à la conférence de l'OMC, plusieurs ministres, dont elle-même, sont déçus de la nouvelle disposition. Elle a estimé que le comité restreint ne représente pas tous les intérêts. Allant dans le même sens, un délégué africain qui a fait le voyage jusqu'à Genève se dit également exclu des négociations. Optimisme de mise Ce n'est pas pour autant que l'ambiance était plombée à la conférence mercredi. Les rencontres bilatérales et en groupes se sont poursuivies toute la journée. Les délégations promettent à qui veut les entendre qu'elles iront jusqu'au bout pour aboutir à un accord. "Je suis optimiste, a déclaré Kamal Nath, ministre indien du Commerce et l'un des chefs de file des pays émergents. Les Etats-Unis bougent, c'est insuffisant, mais c'est un bon signe", a-t-il déclaré. Et d'ajouter que l'Inde allait aussi mettre des offres généreuses sur la table, notamment dans les Services. Le ministre Nath revient de loin. Le gouvernement indien a obtenu mardi dernier un vote de confiance au parlement in extremis. Quelques secondes après le décompte des voix, il signalait son arrivée à Genève depuis New Delhi. L'optimisme de Kamal Nath ou encore celui de Doris Leuthard n'a pas empêché que les différentes délégations s'accusent mutuellement de ne pas faire assez d'efforts. Pour les pays industrialisés, le dossier agricole est déjà ficelé et l'attention devrait désormais être concentrée sur l'ouverture des marchés des pays émergents pour les produits industriels. Doris Leuthard a noté des positions constructives chez quelques pays émergents, dont la Malaisie. Ce dossier apparaît comme crucial. Présente à Genève, la Confederation of Indian Industry explique que si le projet d'accord actuel est signé, des milliers de petites entreprises et des millions d'emplois seront sacrifiés. De son côté, la Chambre américaine du commerce, qui revendique un plus grand accès aux marchés, a convié "les journalistes qui bossent durant de longues heures" à un cocktail dans un bar genevois Des questions ont fusé suite au refus de la négociatrice américaine Susan Schwab, exprimé mardi devant la presse, d'entrer en matière sur les Indications géographiques. Ce sujet est impératif pour l'UE. Mais, selon un ministre présent à la table des négociations mardi, Susan Schwab aurait tenu un discours plus conciliant. Côté européen, le torchon brûle toujours entre le chef négociateur et le "comité de contrôle" conduit par la secrétaire d'Etat française au Commerce extérieur, Anne-Marie Idrac. Peter Mandelson aurait vivement critiqué la France sur le dossier Banane mardi et a averti qu'il pourrait conduire à l'échec des négociations. Fait qui n'est pas passé inaperçu: le négociateur européen ne prend plus la parole devant la presse, mais communique par le biais d'un blog. Négociations jusqu'à 4h du matin Des négociations entre les sept principales puissances commerciales, entamées mercredi après-midi, ont duré jusqu'à 4h00 du matin jeudi, a indiqué un délégué. Il a noté que jamais des discussions aussi intensives n'ont eu lieu depuis la conférence de Hong Kong en 2005. La réunion à sept (Etats-Unis, Union européenne, Inde, Brésil, Japon, Australie, Chine), sous l'égide du directeur général de l'OMC Pascal Lamy, a duré au total plus de douze heures. Les négociateurs européen et américain, Peter Mandelson et Susan Schwab, ont insisté pour avancer dans les négociations sur les produits industriels et demandé des concessions supplémentaires aux pays émergents. Parmi les sujets les plus controversés, une " clause anti-concentration ", exigée par l'Union européenne, qui empêcherait les pays émergents d'exclure des secteurs entiers de leur économie du champ de l'ouverture de leurs marchés. Mais tant les Brésiliens que les Indiens jugent qu'il s'agit d'une " mauvaise idée ". Pascal Lamy a décidé de créer mercredi des sous-groupes dans les réunions du " salon vert ", les discussions entre la quarantaine de pays conviés à la table des discussions n'ayant pas permis de progresser suffisamment vite jusqu'ici. Sarkozy menace d'un veto, mise au point de Mandelson Le président français Nicolas Sarkozy a affirmé jeudi à Batz-sur-Mer (ouest) que la France ne signerait pas en l'état l'accord en discussion à l'OMC à Genève, suscitant une mise au point immédiate du Commissaire européen Peter Mandelson. " A l'OMC, cet accord qui est sur la table, s'il n'est pas modifié, nous ne le signerons pas ", a déclaré le chef de l'Etat, président en exercice de l'Union européenne, lors d'une réunion avec des restaurateurs à Batz-sur-Mer, en Bretagne. A Genève, le commissaire européen au Commerce Peter Mandelson, dont les relations avec M. Sarkozy sont notoirement tendues, a rapidement voulu mettre les choses au point en rappelant qu'il avait mandat pour négocier au nom de l'ensemble de l'UE." La Commission est chargée de négocier ici à l'OMC au nom de tous les Etats membres ", a-t-il dit aux journalistes, ajoutant: " Nous continuerons ainsi sur la base du mandat que nous avons ". Les ministres d'une quarantaine de pays sont réunis depuis lundi à Genève pour tenter de sauver le cycle de négociations de Doha, lancé fin 2001 dans la capitale du Qatar. Face aux blocages, le directeur de l'OMC Pascal Lamy a réuni depuis mercredi un comité de sept grands acteurs de l'Organisation dans l'espoir de susciter un accord qui pourrait être soumis ensuite à l'ensemble des 153 pays membres. Les responsables du commerce des Etats-Unis, de l'Union européenne, de l'Inde, du Brésil, du Japon, de l'Australie et de la Chine ont poursuivi leurs discussions jusqu'à près de quatre heures du matin dans la nuit de mercredi à jeudi. " Nous ne sommes pas encore arrivés à un point de convergence. Sur certains points clé de la négociation, les positions restent encore trop éloignées ", a reconnu M. Lamy jeudi matin, lors de la réunion du comité des négociations commerciales qui rassemble tous les pays membres.Jeudi matin, le ministre français de l'Agriculture Michel Barnier avait fait part de son pessimisme, insistant sur l'absence de" " réciprocité de la part des pays émergents. " Je ne vois pas de lumière (...) à l'horizon entre des intérêts extrêmement contradictoires ", a-t-il dit sur la chaîne d'information LCI. " L'UE a fait de très gros efforts notamment en faisant des propositions pour son agriculture et nous attendons la réciprocité des grand pays émergents comme le Brésil et la Chine et nous ne voyons rien venir ", a-t-il ajouté. M. Lamy a aussi dû faire face à la fronde de huit délégations (Suisse, Indonésie, Argentine, Kenya, Ile Maurice, Turquie, Egypte et Taiwan) qui se sont plaintes de la décision de réunir un comité restreint.Il a néanmoins décidé de reprendre les réunions en comité restreint dès jeudi après-midi. Parmi les points d'achoppement figure l'ouverture des marchés des pays en développement aux produits industriels des pays du nord. L'objectif est de parvenir à un accord équilibré entre les concessions que les pays riches devront faire en matière agricole, et celles que devront consentir les pays émergents en ouvrant leur marché aux produits industriels.